Gérard d'Houville (1875-1963) |
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Mme de Régnier, qui signe ses romans et les chroniques qu'elle publie dans le Gaulois du pseudonyme de Gérard d'Houville, est encore l'auteur d'une série de poèmes, éparpillés en plusieurs revues, et qui n'ont pas encore été réunis en volumes. Les quelques pièces qu'ont rassemblées les anthologies nous permettent de juger de la maîtrise parfaite de son talent où il semble que l'art de Heredia s'est marié à celui de Henri de Régnier, en une simplicité d'un goût toujours sûr. Aucune femme ne manie avec plus de souplesse, dans les gestes de l'écriture, la langue française. Cette simplicité est savante ; dans cette poésie, il y a un rythme doux et tendre, dont le flux laisse en nous une émotion très subtile :
Ici, une image visuelle s'associe à une pensée abstraite : on voit l'une, on songe l'autre, et le mouvement des vers les mêle et les anime. Cette poésie s'enfonce jusqu'à l'âme comme un baiser : on la sent s'insinuer en soi, et c'est à la fois une émotion intellectuelle et un peu sensuelle :
J'aime encore le symbolisme sans trop de mystère de cette strophe : Ne vous plaignez pas trop d'avoir un cœur très sombre, Cette inspiration se souvient de Mallarmé : Gérard d'Houville évoque, suggère, plus qu'elle ne décrit, elle indique, insinue une joie, une douleur plus qu'elle ne la clame, et cette dignité aristocratique nous repose des cris impudiques et quelquefois vulgaires de quelques autres poétesses. Quand je refermerai mes grands yeux dans la mort, Voici les mois et les saisons évoqués par la robe ou le parfum d'une fleur dans l'intimité du chez-soi : Mars qui sent La violette bleue et la jacinthe lisse, Voici : Les pivoines de juin tout en nacre et en soie Mais, chez ce poète encore, nous trouverons les motifs de sa poésie dans la nostalgie de sa terre ancestrale, dont elle essaie d'imaginer le ciel brûlant :
Et dans ces Stances aux dames créoles, elle fait revivre pour elle l'atmosphère des Antilles, et dans l'évocation de l'existence de ses aïeules berce son propre rêve :
C'est en elle que leur cœur revit, ce cœur qui lui a légué « sa flamme héréditaire et sa langueur » :
Rêve ensoleillé, et cette vivante et réelle expression d'une race, sa poésie et son enfant, permettent à la poétesse de vivre imaginativement et artistiquement dans une atmosphère de tiède langueur, où ses pensées, comme ses aïeules, se balancent, paresseuses et tristes, en s'éventant. Mais je voudrais montrer encore un autre aspect du talent de Gérard d'Houville, ce don qu'elle possède d'évoquer les images les plus belles du paganisme, en les vivifiant de la sève de sa sensibilité féminine. Voici Psyché :
PSYCHÉ (1) Elle passe sans bruit dans la maison déserte Elle passe sans bruit dans la maison de songe, Parfois, son beau genou brille comme la lune ................................................................... Elle revient sans bruit quand naît l'aube rosée, ................................................................... C'est qu'elle a vu dormir parmi les peaux de bête Elle a vu le sourire inhumain de sa bouche, Elle fuit en pleurant son étrange démence ; Du Bouquet de Pensées, suite de poèmes qui parurent dans la Revue des Deux Mondes de décembre 1900, je détache cette petite fleur au parfum sensuel. La poétesse chante la fragilité de la beauté féminine que l'art du sculpteur peut fixer pour quelques siècles ou quelques années, ce qui, dans l'infini du temps, s'équivaut. Eternité mensongère de l'art, aussi éphémère presque que les formes fugitives qu'il tente de sauver de l'oubli. La beauté d'une femme est autant dans le parfum et le rayonnement de sa chair que dans la ligne de son corps. Aujourd'hui je suis triste. Ecoute, ô cher potier ! (1) Revue des Deux Mondes, 1er février 1905. A consulter : Nicolas Malais, « Marie de Régnier, la Parnassienne ingénue », Magazine du Bibliophile, février 2004 |