MARIUS ANDRÉ
POÈTE DE L'AMOUR

Lorsqu'il est parti, le 12 septembre 1926, il venait de réunir ses poèmes provençaux ; il venait de publier son Christophe Colomb ; il allait donner, lui, Français, son miracle espagnol, ses beaux quatrains andalous. Autant de couronnes que la mort lui enlève quand le sort venait à peine de les lui tendre.

Comment exprimer ce qu'il sentait en se voyant mourir ? Il n'était pas fatigué de la terre, il ne se sentait pas vaincu dans son cœur. Il parlait de la mort avec calme, sinon sans amertume, et continuait de louer les beautés du monde. Il avait vécu dans une fière et silencieuse pauvreté. Par vocation et délicatesse, il avait refusé les besognes mesquines. Il s'était voué à l'esprit, à la poésie, aux services nobles. La mort lui dérobait donc la justification de sa vie. Il avait à se confier à l'admiration, à la piété, à la fidélité de ses amis ; sa renommée leur était en grande partie remise ; d'ailleurs il ne doutait pas d'eux.

Ses poèmes sont et d'un art accompli et selon son cœur. En provençal, il est l'égal des meilleurs qui sont venus depuis Mistral. En espagnol, il a fait, le mot n'était pas trop fort, ce miracle : étranger et poète savant, il a ajouté à la poésie populaire d'Espagne non pas une; par hasard, mais cent fleurs d'une beauté émouvante. Et sa prose est d'une qualité magistrale, dont le don va jusqu'au naturel.

Un redresseur de torts infatigable, sans cesse occupé à rétablir, à réparer. Il a « réhabilité » Raymond Lulle, « réhabilité » Gongora. Lorsqu'il entreprit de réduire la gloire de Christophe Colomb, il obéissait à la même passion du juste. Il entreprenait en effet de reviser en France toute l'histoire si mal connue et si bien travestie des Amériques espagnoles, depuis la découverte et la conquête jusqu'aux guerres de leur indépendance... Il se plaisait à rassembler en intention et dans ses œuvres ces traditions convergentes, ces vertus complémentaires, que les chefs-d'œuvre réunissent au lieu de les opposer, l'amour courtois et l'honnêteté classique, le frisson et la raison, la prudence et le romanesque, la justice et le civisme.

* * *

Insistons sur le poète, citons le poète, afin de donner à l'hommage son plus grand prix. La glose ne vaut jamais un beau poème.

Où est la fontaine des larmes ? — Je ne sais plus où elle sourd — Tu n'aimes donc pas une femme — Ah ! j'en aime une avec passion.

Tu crois donc à l'amour qui dure ? — J'en crois ce jour, j'en crois demain — J'en crois sa blonde chevelure — Je crois à ses yeux, à ses mains.

A son front et à son sourire — A son corps parfaitement beau — A tout ce qui ne peut se dire... — Je crois aux roses, je crois au miel.

Livrez-vous aux réminiscences et aux comparaisons. Le climat moral de la Provence. Pétrarque. Aussi Apollinaire, on ne sait comment, bien qu'André soit antérieur : l'Apollinaire si net et si rapide du Bestiaire. Mais perce déjà, à travers les voiles contrariants de la traduction, l'accent unique qui seul fait un poète.

Pour l'amour tout est paradis. — Dans l'amour tout s'embellit. — La bouche fait-elle un souris ? — S'il est d'amour, le plus exquis.

Dans un jardin, rose qui naît — Où le soleil peut la flatter — Elle est plus rose et embrasée — Que si à l'ombre languissait.

Le buisson d'un nid a fleuri — Sur un roc a crû le gazon — Un arc en ciel a resplendi — C'est l'amour qui va et qui vient.

Dans son recueil, en regard de chaque poème provençal, André a présenté lui-même une traduction qui permet de suivre mot à mot. Pour le faire mieux entendre à Paris, on me permettra de préférer des versions plus poussées vers le poème, quand je le pourrais, presque aussi fidèles au sens, plus fidèles au rythme et au mouvement. A l'occasion, l'archaïsme y traduira mieux que nul autre procédé le sentiment initial du poème, sa gentillesse provençale.

Je ne sais plus si tu es oiseau — Ou fleur qui marche, fleur sorcière — Je ne sais si c'est le bleu du ciel — Qui le bleu de tes beaux yeux éclaire,

Ou bien si de toi les deux ont pris — Leur azur. Non plus si c'est l'aurore — Qui m'environne de son haleine — Ou si c'est le parfum de ta robe.

Je ne sais plus si ton sein frémit — Ou si c'est un couple de colombes — Je ne sais plus si le paradis — Est de l'autre côté de la tombe.

André est un poète de l'amour. Nous n'en avons pas beaucoup, mais dans ce qui suit, l'amour s'étend, je crois, au delà d'un seul désir, par un vague et délicat symbole qui fait songer au premier Moréas, au premier Le Cardonnel, au meilleur Viélé-Griffin.

Un pèlerin d'amour est allé. — Combien de chants vont s'épanouir ? — Un pèlerin d'amour est allé — Vers les plaines du nord.

Pour respirer le lys d'amour — Qui a orné un champ de neige — Pour couronner du lys d'amour — Toutes les autres fleurs.

Le lys a regret de l'azur — Du soleil et des papillons

— Le lys se meurt loin de l'azur — Et de l'air pur et tiède.

Le pèlerin au champ de neige — Combien de baisers vont fleurir ? — Souffle sur le lys et la neige —— La vertu du soleil.

Marius est de la plus subtile et réservée Provence ; il est grec, il est attique.

Mains cristallines qui vous baignez — Dans la fontaine consacrée —Mains si pures qui vous cachez — D'avoir un anneau d'émeraude.

Ne savez-vous que votre doux — Votre mortel effleurement — Est la première ivresse d'amour — Qu'aient savourée les chastes eaux ?

Mais vous ayant vues, la Dryade — Dont les mains ne vous valent pas — Pour se venger, elle s'est mise à

— Tarir la source qui vous aime.

Et cette chanson ?

Les trois filles de la Ciotat — O belle vierge couronnée !

— Qui vers la mer ont regardé — Qui sait si sont mariées ?

Ont-elles vu à l'horizon — Qui le dira ? Poindre les barques — Des trois promis, des trois garçons ? —Leur bouche soit du miel en barre.

Il avait part aux secrets du lyrisme contemporain, qui est avant tout une évocation, par images profondes, des choses ineffables. Mais il ne lui suffisait pas de traduire et de rendre ainsi le charme mystérieux du monde. Il voulait s'élever avec bonheur aux sentiments généraux et aux idées, aux pures idées abstraites, privilèges de l'âme humaine. Et les nouveaux symboles ne lui cachaient pas la grâce des anciens mythes, leur efficacité.

EUGENE MARSAN.

(L'Ami du lettré. Année littéraire & artistique pour 1929, Les Editions de France, 1928, pp. 147-151)