La mort de Marcel Chabrier.

Marcel Chabrier est mort subitement, le 2 septembre dernier, à Ypres, de la rupture d'un anévrisme. Son corps a été ramené a Paris et inhumé au cimetière Montparnasse le 5 septembre à trois heures de l'après-midi. La soudaineté de cette mort n'a pas permis d'en informer à temps tous les amis du défunt.

Nombre d'écrivains et d'artistes avec qui Chabrier était lié ont été oubliés. Legrand prie chacun d'eux de ne pas lui en tenir rigueur : il n'avait, pour l'envoi des lettres de faire part, qu'un tout petit carnet d'adresses et n'avait pas le coeur à recenser celles qui lui manquaient.

La mort de Marcel Chabrier n'interrompt pas l'oeuvre de Legrand-Chabrier. Legrand la poursuivra sous la signature commune, suivant le voeu de son ami. Dans le courant d'octobre paraîtra le dernier livré qu'ils aient achevé ensemble, mais les ouvrages futurs perpétueront l'esprit et l'art de Chabrier qu'une noble amitié ainsi continuera. Nous avons perdu un ami exquis, mais l'artiste nous reste.

Legrand-Chabrier donnait au dernier numéro de Vers et Prose un article d'une belle tenue sur Jules Renard et rappelait la simplicité émouvante de ses obsèques. Celles de Chabrier furent d'une aussi pure simplicité et aussi dignes: en défilant devant sa tombe nous jetâmes chacun une fleur sur le cercueil de l'écrivain et de l'ami.

Jean Royère, « Notes », La Phalange, n° 51, 20 septembre 1910, p. 282-283.


ÉCHOS

Mort de Marcel Chabrier. — Mort du douanier Rousseau. — Le Comité de la S. M. I. et M. Jean Marnold. — Une lettre de M. Teodor de Wyzewa. — A propos du monument de J.-J. Rousseau aux Charmettes. — Le Salon d'Automne. — Du Café. — Erratum. — Le Sottisier universel.

Mort de Marcel Chabrier. — Le 2 septembre 1910, Marcel Chabrier est mort subitement à Yppes, à la suite de la rupture d'us anévrisme. Il était né à Paris en novembre 1874 et était le fils aîné du compositeur Emmanuel Chabrier, l'auteur de Gwendoline.

Après avoir terminé ses études au Collège Rollin, il avait commencé ses études de médecine, mais il y prenait peu de goût; il ne les poursuivit pas ; il en fut d'ailleurs distrait par une grave maladie de sa mère, qu'il soigna pendant plusieurs années avec un admirable dévouement.

Jusqu'alors, rien ne semblait laisser prévoir que Marcel Chabrier se consacrerait tout entier aux lettres. Il apparaissait seulement comme un jeune homme très sensible, ayant hérité de son père un grand amour pour les choses d'art.

S'étant lié avec M. André Legrand, qui devait devenir son collaborateur, on peut dire que de leur amitié naquit pour tous les deux leur vocation. Ils furent d'abord deux amateurs très renseignés que des goûts littéraires semblables unissaient. Ce ne fut que peu à peu qu'ils se risquèrent à des essais timides qu'ils n'avaient même pas l'idée de montrer et détruisaient presque aussitôt; ce furent d'abord des essais dramatiques. Puis leur personnalité se dessina; ils entrevirent l'œuvre qu'ils pourraient faire ensemble. Le Livre de Claude Brodier fut le premier ouvrage qu'ils se décidèrent à publier. On se rappelle qu'il s'agit de l'histoire d'un écrivain qui, dégoûté de la vie des lettres à Paris, croit qu'il travaillera mieux dans son village : il y est regardé comme une sorte de fou, y vit entre une vieille mère et une vieille bonne qui le détournent de son œuvre, et finit par mourir assassiné. Ce livre parut en 1904, et c'est alors qu'apparut pour la première fois la signature Legrand-Chabrier. Il fut favorablement accueilli dans les milieux littéraires, mais c'est avec un recueil de nouvelles qui sont plutôt des petits poèmes en prose, Mangwa, paru en 1906, que leur manière personnelle se révéla. Ils s'y montrèrent avec un curieux style à facettes où l'on distinguait les influences combinées des Goncourt et de Jules Renard mises au service d'une sorte d'humour poétique très spécial. A cette série de petits tableaux japonais qui doit avoir une suite, succéda un roman, l'Amoureuse imprévue, paru en 1907. C'est déjà une œuvre d'une plus longue haleine où s'affirment les mêmes qualités, mais dans une langue plus sure et où la phrase courte alterne avec la grande phrase française. En 1908, ils firent paraître des notes de voyage : la Journée d'Arles, car Marcel Chabrier était un grand voyageur. Avec son ami André Legrand, il aimait visiter les villes d'art de France et de l'étranger. C'est même au cours d'un de leurs voyages que la mort le surprit. Il y avait un jour qu'ils étaient à Ypres ; ils avaient passé leur journée à admirer les merveilles du XVIIIe siècle du musée de cette ville, et ils se disposaient à repartir le lendemain.

La dernière œuvre à laquelle Marcel Chabrier ait collaboré avec André Legrand est un roman d'observation et d'humour, Liroquois, qui doit paraître le 15 octobre prochain.

Dans les dernières années, il avait collaboré dans les mêmes conditions au Mercure de France, à la Grande Revue, à Vers et Prose, à la Nouvelle Revue française, à l'Echo de Paris, au Paris-Journal, à presque toutes les jeunes revues.

Peu à peu le grand publie commençait à connaître le nom de Legrand-Chabrier. On entrevoyait pour les deux écrivains une belle vie toute consacrée à l'art, à qui ils demandaient toutes leurs joies.

Une mort brutale a brisé cette noble amitié. Du moins pouvons-nous être assurés que l'œuvre de Legrand-Chabrier se poursuivra selon la volonté expresse du défunt et qu'il a plusieurs fois manifestée. Ces deux artistes avaient en effet prévu le cas de la disparition de l'un d'eux ils voulaient qu'elle n'interrompît pas la vie littéraire du survivant, et que leurs noms restassent liés par delà cette mort.

Marcel Chabrier était une nature exquise, d'une urbanité charmante il ne laisse que des regrets parmi ceux qui l'ont connu. Un de ses plus grands désirs était de voir reprendre à l'Opéra Gwendoline, l'œuvre principale de son père, pour la mémoire duquel il avait un véritable culte, comme il l'a montré en publiant l'année dernière les délicieuses Lettres à Nanine. Il sera mort sans avoir eu cette légitime joie.

Il appartenait. à cette génération déjà si éprouvée par la mort il a disparu après Pierre de Querlon, S.-H. Coulangheon, Lucien Jean, Charles Louis Philippe.

Ses obsèques ont eu lieu au cimetière du Montparnasse le 6 septembre, à trois heures de l'après-midi.

Mercure de France, 16 septembre 1910, p. 375-377.