ÉCHOS DIVERS ET COMMUNICATIONS

Léon Cladel. — Léon Cladel est mort le 21 juillet dans sa petite maison de Sèvres. Il était né le 22 mars 1834, à Montauban. Il fut un écrivain trop artiste pour pénétrer dans les masses, mais aucun des lecteurs de notre Recueil n'ignore son œuvre, et point n'est besoin de l'énumérer ici. Nous ne saurions mieux rendre hommage au talent de Léon Cladel qu'en reproduisant les lignes suivantes, extraites du discours que M. Emile Zola, au nom de la Société des Gens de Lettres, prononça au Père-Lachaise :

« Pendant les trente années de son dur et glorieux labeur, il est resté fidèle à la terre d'où il était sorti, il a aimé les humbles et les souffrants qu'il avait coudoyés dans sa jeunesse. Ses héros préférés, ce sont les va-nu-pieds des champs et des villes, tous ceux que la vie sociale écrase ; ce sont aussi les simples, les grands et les tendres, dont chaque heure, dans la bataille de l'existence, est un héroïsme. Il les prenait parmi le peuple. Il leur soufflait l'âme naïve et forte des foules, il les faisait à son image ; car, même sous l'usure de notre terrible Paris, il avait gardé la simplicité et une tranquille grandeur. Il s'était mis véritablement à part dans notre monde littéraire...

« ... Cladel n'a voulu être et n'a été qu'un écrivain. Seulement, être un écrivain, pour lui, exigeait une somme d'efforts surhumains, demandait une vie de conscience et de travail acharné, car il s'était fait du style une idée de haute perfection, hérissée de telles difficultés à vaincre qu'il agonisait à la peine. On raconte qu'il a recommencé, qu'il a récrit des manuscrits jusqu'à trois fois. La poursuite du mot juste le jetait dans des angoisses infinies. Tout devenait un sujet de scrupules, la ponctuation, le rythme des phrases et des alinéas. J'ai connu chez Flaubert ce tourment de la belle prose sonore, parfaite et définitive. Il n'en est pas de plus torturant ni de plus délicieux. Et cela devient d'un grand et superbe exemple, en nos temps de prose bâclée, de journalisme hâtif, d'articles fabriqués à la grosse sur des coins de table.

« Le pis est qu'un si noble labeur n'est presque jamais récompensé du vivant de l'écrivain. Ces œuvres si soignées, si voulues, ne se laissent point aisément pénétrer par la foule. Leur beauté a besoin, d'une sorte d'initiation, elles demeurent le culte d'une élite. C'est ce qui fait que Cladel n'a point rencontré les succès retentissants, les acclamations de ce Paris si prompt à s'engouer parfois. Je ne crois pas qu'il en ait souffert, car il avait le cœur solide et haut...

« N'était-ce point un spectacle, fait pour étonner, ces œuvres où il ne glorifiait que les petits et les misérables, et qui n'allaient point à la foule, à l'immense peuple illettré ? Seuls, les poètes, les artistes, en sentaient le fin et puissant travail, les difficultés vaincues, la hautaine réussite. Il était un maître, il tenait tout un coin de notre littérature, il avait sa griffe de lion qui marquait chacune de ses pages. Dans cette petite maison de Sèvres, si simple, vivait à l'écart du grand public, adoré des seuls, fidèles de la parfaite littérature, un des écrivains les plus personnels, et les plus probes, de la seconde moitié de ce siècle. »

Léon Cladel avait de grandes sympathies et de ferventes admirations parmi la jeunesse lettrée. Mais pourquoi des gens qui n'en avaient point reçu mandat — et des moins autorisés — ont-ils à propos de cette mort parlé ou écrit au nom de la jeunesse littéraire ? Nous désavouons véhémentement les inepties dont ils composèrent leurs maladroits panégyriques.

Mercure de France, septembre 1892, pp. 94-95.