Gaston Couté (1880-1911) |
Mesdames, Messieurs, Chers Camarades, Homme, tu es un pendule oscillant Entre une larme et un sourire ? Cette belle pensée de Lord Byron s'offre à ma mémoire, à l'heure où je viens, au nom de la Chanson et de ses adeptes, saluer la dépouille d'un poète de talent considérable, de caractère indépendant et de cœur généreux. N'est-ce pas le sourire aux lèvres et le couplet joyeux à l'esprit, que le paysan philosophe que nous pleurons a fustigé l'hypocrisie sociale et cinglé le vice humain ? Poète rustique, ce « Mistral de la Beauce » comme l'appellent ses admirateurs et ses amis, a chanté la splendeur de la nature, célébré la vie dans toutes nos joies et prêché l'amour. La terre natale, en mère jalouse, réclame aujourd'hui ce déraciné dont Paris, la ville tentaculaire, a brisé le corps, mais n'a pu atteindre l'âme. « La misère, les privations, a écrit George Sand, le travail ou l'oisiveté forcés, également destructifs pour la jeunesse ; un climat malsain, des conditions d'existence déplorables, c'en est bien assez pour ruiner la sève la plus généreuse ! » Eh bien ! dans ce milieu déprimant, dans cette atmosphère funeste, la sève poétique, puissante et saine de Gaston Couté n'a jamais été amoindrie dans sa force, dans sa fraîcheur, dans sa pureté ! Son œuvre colorée, imagée et originale défendra son nom contre l'oubli des hommes, et quand renaîtront les saisons fleuries, les belles filles et les joyeux gâs de sa terre beauceronne rediront dans leurs promenades du soir, « sous les étoiles qui brillent, parmi la plaine aux récoltes où les moulins virevoltent », la chanson gracieuse du Beau Cœur de Mai et la cantilène mélodieuse des Mains Blanches. Et les pauvres diables de la ville, les humbles, les opprimés, tous les parias qu'il a défendus avec tant de courage et de fermeté puiseront dans ses vers l'énergie nécessaire à la lutte pour cette vie misérable, que le grand Shakespeare définit par ces mots : « Demain et demain et demain, c'est ainsi que, de jour en jour, à petits pas, nous nous glissons jusqu'à la dernière syllabe du temps inscrit sur le livre de nos destins, et tous nos hiers n'ont été que des fous qui nous ont ouvert la route vers la poussière et la mort. La vie, ce n'est qu'une ombre qui marche, un pauvre comédien qui gambade et s'agite sur le théâtre pendant l'heure qui lui est accordée, et dont on n'entend plus parler ensuite ; c'est un conte plein de tapage et de fureur et qui ne signifie rien. » Ce conte est terminé pour toi, pauvre petit gâs de la Beauce ! Va reposer en paix auprès des tiens. Nous garderons pieusement ton souvenir, car les poètes qui meurent jeunes sont non seulement aimés des Dieux, mais aussi des hommes ! Xavier Privas, le 30 juin 1911. [Communiqué par François Robin, janvier 2011] Gaston Couté, La Chanson d'un gâs qu'a mal tourné, Éditions Le Vent du ch'min, 145, rue Amelot. Paris, 1980. |