Nécrologies de Remy de Gourmont parues dans les quotidiens,
recensées et entoilées par Mikaël Lugan

LE FIGARO

Mercredi 29 septembre 1915, p. 3

M. REMY DE GOURMONT

M. Remy de Gourmont est mort hier à l'âge de cinquante-sept ans. Cette nouvelle très douloureuse affligera beaucoup de jeunes écrivains, malgré le tumulte de la guerre à laquelle ils participent, parce qu'ils considéraient le maître du Mercure de France comme le guide de leur jeunesse, l'ermite vénéré qui connaissait tous les secrets du jardin des racines grecques et latines, tous les secrets des plus belles fleurs de la littérature française.

Aucun écrivain n'aimait autant notre langue et ne la connaissait mieux. Bien peu la servirent aussi utilement que l'auteur de l'Esthétique de la langue française, avec plus d'originalité que le romancier de Sixtine, des Chevaux de Diomède, du Songe d'une femme, d'un Cœur original [sic] et de Couleurs (où le pur artiste se permit d'être virtuose et ne put s'empêcher de rester artiste) ; avec plus de charme que le poète des Saint du Paradis [sic], de Lilith et de Théobalt [sic], de Simone, avec plus d'autorité rapide et claire que le critique des Promenades littéraires et philosophiques, du Chemin de velours, etc.

Ecrivain, philosophe, linguiste, romancier, poète, M. Remy de Gourmont était sorti de la Bibliothèque nationale pour entrer au Mercure de France, comme un moine eût changé de couvent. Il y publiait ses Epilogues, ses Lettres à l'Amazone, qui sont des chefs-d'œuvre de chronique. Et il trouvait le loisir de collaborer à des journaux, soit au Temps, où il traça une série de portraits qui résume l'histoire du symbolisme, soit à la Dépêche de Toulouse, à la France et à la Nacion de Buenos-Aires.

La guerre ne l'avait pas arrêté dans son magnifique travail, et son dernier livre : Pendant l'orage, est un livre d'indignation contre la barbarie allemande. Il s'ajoutera à une œuvre qui marquera et durera dans notre littérature.

M. Remy de Gourmont laisse un fils [sic], M. Jean de Gourmont, qui est un de nos confrères et porte dignement son nom respecté. — R.G. [Régis Gignoux]

Vendredi 1er octobre 1915, p. 2

DEUIL

Les obsèques de M. Remy de Gourmont, dont nous avons annoncé le décès, auront lieu aujourd'hui 1er octobre, à 10h. ½ du matin, à l'église Saint-Thomas d'Aquin. On se réunira à l'église. L'inhumation aura lieu au Père Lachaise. Il ne sera pas envoyé de lettre de faire part. Le présent avis en tient lieu.

Samedi 2 octobre 1915, p. 2

DEUIL

En l'église Saint-Thomas d'Aquin ont eu lieu, hier matin, à dix heures et demie, les obsèques de M. Remy de Gourmont.

La levée du corps a été faite et l'absoute donnée par l'abbé Cabanoux, chanoine honoraire, curé de la paroisse.

Le deuil était conduit par le vicomte de Gourmont, M. Henry de Gourmont, M. Jean de Gourmont et M. de Gourmont, frères du défunt, et Mlle Marie de Gourmont, sa sœur.

Une assistance nombreuse, composée particulièrement des notabilités du monde des lettres et des arts était présente. On y remarquait :

MM. Alfred Vallette, directeur du Mercure de France ; Henri de Régnier, de l'Académie française ; Georges Lecomte, président de la Société des Gens de lettres ; Gustave Kahn, Rosny aîné, Paul Adam, Tristan Bernard, Jean Marnold, Henry de Groux, Henri Albert, etc.

L'inhumation a eu lieu au cimetière du Père-Lachaise, où des discours ont été prononcés par : MM. Henri de Régnier, de l'Académie française, au nom du Mercure de France ; Georges Lecomte, président de la Société des Gens de lettres ; Maurice Ajam, député, au nom de La France ; Dutot, au nom de la Dépêche de Toulouse ; Xavier de Carvalho, au nom de l'Amérique latine et de la Nation [sic], de Buenos-Aires.


LA DÉPÊCHE DE TOULOUSE

Jeudi 30 septembre 1915, p. 1

RÉMY DE GOURMONT

Une dépêche nous a appris cette nuit la mort de Rémy de Gourmont. C'est un nouveau deuil qui frappe la Dépêche. C'est une très grande perte pour les lettres françaises dont Rémy de Gourmont était l'un des représentants les plus brillants et les plus originaux.

Rémy de Gourmont, dont l'œuvre est si considérable et si diverse, avait fait le tour de toutes les idées. De là ce scepticisme désabusé et parfois cruel qu'on trouve au fond de ses livres. La guerre, à la possibilité de laquelle il ne semble pas avoir cru beaucoup, aura été pour lui, comme pour nombre d'hommes de sa génération, un réveil cruel. On lui doit quelques-unes des plus éloquentes imprécations qu'on ait fait entendre contre le Borusse odieux. Ce clair et libre esprit de France avait, dès les premiers jours de l'invasion, défendu le droit, la liberté, la civilisation gréco-latine contre le lourd Barbare traînant derrière lui toutes les brumes et toutes les broussailles de la forêt germanique. Sa contrition fut complète, et très certainement une ardente douleur patriotique a abrégé ses jours. Une très haute intelligence et un très bel artiste disparaît avec lui. Nous aurons plus d'une fois à revenir sur sa personnalité et sur son œuvre dans ce journal auquel il aimait à dire qu'il était particulièrement attaché. Aujourd'hui, quand tous les cœurs battent à la lecture des bulletins de guerre, nous devons nous borner à adresser à Rémy de Gourmont notre adieu ému et à sa famille l'expression de notre douloureuse sympathie.


L'HUMANITÉ

Samedi 2 octobre 1915, p. 2

Obsèques de Remy de Gourmont

Les obsèques de Remy de Gourmont ont été célébrées hier matin à dix heures et demie, au milieu d'une nombreuse assistance, composée particulièrement de notabilités du monde des lettres et des arts.

On remarquait MM. Alfred Vallette, directeur du Mercure de France ; Henri de Régnier, de l'Académie Française ; Georges Lecomte, président de la Société des Gens de Lettres ; Gustave Kahn, Rosny aîné, Paul Adam, Tristan Bernard, Jean Marnold, Henry de Groux, Henri Albert, etc.

Le deuil était conduit par les deux frères du défunt, MM. Jean et Henri de Gourmont. L'inhumation a eu lieu au cimetière du Père-Lachaise, où des discours ont été prononcés par MM. Henri de Régnier qui, au nom des amis de Remy de Gourmont, et particulièrement du Mercure de France, a retracé la vie de l'artiste, dont le nom est lié au souvenir du Symbolisme et que son goût pour la diversité devait conduire à aborder tous les genres littéraires, jusqu'à la critique ; Georges Lecomte, au nom de la Société des Gens de lettres et Maurice Ajam, député de la Sarthe, au nom du journal la France.

Mardi 5 octobre 1915, p. 3

Actualités Littéraires

Rémy de Gourmont

Si nous n'étions en guerre, il faudrait consacrer deux feuilletons entiers au très remarquable écrivain qui vient de mourir...

« Ecrivain » est le mot qui lui convient avant tous. Ecrivain, Rémy de Gourmont écrivait — et supérieurement. Mais peut-être ne faisait que cela, en ce sens que la « pensée » semblait n'être pour lui qu'une occasion de disserter. Durant trois pages, il soutenait une idée, sauf à l'abandonner à la dernière ligne pour l'idée diamétralement opposée. C'était un rhéteur au sens aimable et supérieur du mot. Son œuvre presque entière fut celle d'un anarchiste littéraire sinon d'un anarchiste tout court. Vint la guerre, et il renia (1) en quelques phrases tout ce qui, pendant des années, avait assis sa réputation et fait vendre ses livres. Puis, les événements se développant et le naturel revenant, non point certes au galop mais à un petit trot prudent, il entonna dans le Mercure de France cet admirable « M. Croquant et la guerre » qui est un chef-d'œuvre si « M. Bergeret » en est un. M. Croquant, c'est aussi M. Ubu. M. Ubu retiré des affaires, jadis exempté du service, aujourd'hui hors d'atteinte de la loi Dalhioz, ventripotent, nationaliste, extrémiste, et au-delà-du-rinhiste. En plus de cela, calotin comme il sied. M. Croquant est un type, et si Rémy de Gourmont n'a pas eu de peine à le découvrir, il a eu le mérite courageux d'en dessiner le premier la silhouette.

Au reste, le journaliste et le chroniqueur, amoureux de son art au point qu'il en abstrait toute logique et jusqu'au souvenir de ses propres écrits, ne doit point faire oublier le lettré et le styliste. L'œuvre de Gourmont est considérable. Et si sa science linguistique et phonétique peut paraître parfois plus audacieuse qu'impeccable, le romancier est sans reproche, et le critique étonnant : ses Masques resteront des modèles inégalés.

On absoudra facilement l'érotisme inutile et presque de « parti pris » qu'on rencontre dans certains de ses ouvrages. Il n'est pas démontré que considérer les choses de la vie sous cet angle spécial entraîne nécessairement à l'erreur.

Au total, Gourmont fut un maître. S'il est logique que l'Académie française lui ait trouvé trop de talent pour l'appeler à s'asseoir à côté de MM. René Bazin et Frédéric Masson, il est assez fâcheux — pour elle — que l'Académie Goncourt ne l'ait pas appelé « dans son sein » — car l'A.G. a aussi un sein... S'il a manqué à sa gloire décidément un peu terne, elle n'a pas, d'ailleurs, manqué à la sienne. Quand on a écrit les Livres des Masques, Sixtine, Le Pèlerin du Silence, voire Lilith, on peut se passer de dîner une fois l'an avec des écrivains qui ne les ont point lus ou qui, les ayant lus, ne les ont point compris, ce qui est peut-être plus grave encore.

L'œuvre de Gourmont est trop contradictoire, croyons-nous, pour demeurer. Il n'y a que l'affirmation ou la négation qui subsistent — ou encore le doute raisonné. Mais, pour employer un intolérable barbarisme, l'« auto-contradiction », est nécessairement fragile et fatalement passagère. D'ailleurs, Gourmont qui était tout mépris ne se souciait certainement pas de la pérennité... — V.S.

Nous aurons certainement occasion de citer sous cette rubrique et dans celle des « Contes et Nouvelles » des passages de Gourmont. Nous reproduisons aujourd'hui les petits articles suivants détachés de Pendant l'orage, dont le premier parle de nos amis Bonneff :

LES UNS ET LES AUTRES

Ils tombent à droite, ils tombent à gauche. Le troisième Bulletin des Ecrivains qui nous donne l'éloge de Pierre Gilbert, nous annonce la mort de Léon Bonneff. L'un appartenait à la Revue critique des Idées et des Livres, à la littérature nationaliste et néo-classique. L'autre appartenait à l'Humanité, à la littérature socialiste et naturaliste. L'un défendait la tradition, l'autre défendait la révolution, mais tous deux défendaient la France. Je crois bien qu'ils s'ignoraient l'un l'autre. Surtout, ceux qui aimaient l'un n'aimaient pas l'autre. On s'aperçoit maintenant que tous les deux servaient la même cause. J'ai réuni ces deux noms, parce qu'ils me sont tombés sous les yeux. J'aurais pu en prendre deux autres. Toutefois, de Bonneff, j'avais lu le dernier livre et j'en avais gardé une impression assez forte. C'était beaucoup moins de la littérature que des documents, mais des documents d'une rare intensité de vie et singulièrement poignants. Didier, homme du Peuple (2), c'est un genre que j'aime assez, parce qu'il ne s'appuie pas sur le vain talent littéraire, mais sur l'observation des mœurs et des faits sociaux. Bonneff est l'un de ceux qui nous avaient donné sur la guerre le livre documenté qu'il nous faudra et qui nous viendra certainement, mais je ne sais d'où, le livre de faits et non de déclamations, le livre sans anecdotes, sans larmes, sans gloire, le livre terrible. Méditez sur cette conception du livre de la guerre, jeunes gens qui nous reviendrez, l'œil et l'oreille encore troublés de ce que vous aurez vu et de ce que vous aurez entendu. En attendant, il nous faut compter ceux qui ne le feront pas et qui auraient pu le faire et notre tristesse augmente.

LES VALEURS

La guerre, une guerre comme celle-ci, est à la fois créatrice et destructrice de valeurs. Mais comme rien ne se crée de rien et qu'il y a toujours une matière préexistante, disons qu'elle est transformatrice de valeurs. Un homme qui était peu de chose dans son métier, ou qui même était quelque chose dans son métier sans éclat et d'une utilité limitée, devient à la guerre un homme d'action et d'initiative, passe au rang des meilleurs. On a vu cela, déjà, dans la carrière des généraux de Napoléon. Cela se renouvelle avec les présentes circonstances. On voit aussi le phénomène opposé : un général arrivé à son grade, je ne dis pas par l'intrigue, mais par le bon exercice de facultés surtout bureaucratiques, lorsqu'il est mêlé à l'action, tombe à plat et se relève bon tout au plus à faire un chef de dépôt ou un contrôleur. Quand ils n'ont point passé par la guerre, beaucoup se méprenaient sur leur vocation. Dans un autre ordre d'idées, on voit des polémistes, qui avaient atteint à un bon degré d'influence, se montrer tout à coup telles que de vieilles badernes et d'autres, méprisés, passer soudain au rang de maîtres. Les valeurs artistiques ou littéraires ont fréquemment subi la même oscillation. Très rares sont celles qui ont survécu au choc. Même retour : ce qui nous paraissait niaiserie prend tout à coup une valeur et, l'illusion aidant, nous semble très important. D'une façon générale, on ne demandait et elles ne donnent plus ce qu'elles avaient accoutumé de donner. Il est probable que la plupart de ces transformations de valeurs ne survivront pas à la guerre, mais elles auront du moins fait mieux voir l'influence des circonstances sur les jugements humains et démontré une fois de plus qu'il n'est pas d'absolu qui ne puisse être influencé par le relatif.

Le Chemin de velours.
Les Chevaux de Diomède.
Le Livre des Masques.
Le Deuxième livre des masques.
Sixtine.
Un Cœur virginal.

De même que tous les autres œuvres de Rémy de Gourmont sont en vente à la Librairie de l'Humanité. (Chaque volume 3.50).

(1) Voir Pendant l'orage.

(2) Didier, homme du peuple, est signé de Maurice Bonneff. — (N. de la R.)


LE TEMPS

Mercredi 29 septembre 1915, p. 4

DERNIERES NOUVELLES : MORT DE M. REMY DE GOURMONT

Nous apprenons avec un vif regret la mort de M. Remy de Gourmont. C'est un deuil pour le Temps, dont il fut de 1910 à 1913, l'un des collaborateurs littéraires et où il publia notamment des Souvenirs du symbolisme qu'on n'a peut-être pas oubliés. C'est un deuil aussi pour les lettres françaises, dont M. Remy de Gourmont était un des représentants les plus purs. M. Remy de Gourmont s'était révélé vers 1890, au temps de l'école symboliste, dont M. Charles Morice, dans sa célèbre Littérature de tout à l'heure, avait été l'enthousiaste prophète et dont il devint bientôt l'analyste impeccable. Son premier livre fut un roman intitulé Sixtine. Il publia en 1892 une étude littéraire sur le Latin mystique.

Sa collaboration au Mercure de France dont il n'avait pas tardé à devenir le rédacteur le plus considérable, lui conférait une autorité sans conteste sur la littérature nouvelle. C'est au Mercure de France qu'il a donné la plupart des études, des romans et des poèmes qui ont illustré son nom.

M. Remy de Gourmont était né le 4 avril 1858 au château de la Motte (Orne).

Après avoir fait ses études au lycée de Coutances et à l'université de Caen, il fut attaché à la Bibliothèque nationale. C'est vers cette époque de sa vie (1891), que sous l'influence des idées anarchistes qui avaient cours, il publia un article assez violent dans lequel il répudiait la cause de l'Alsace-Lorraine. Cet article le fit révoquer de ses fonctions à la Bibliothèque nationale. Il ne devait pas tarder à faire amende honorable à cet égard : on sait que son dernier livre, publié par l'éditeur Champion, Pendant l'orage, est une ardente protestation contre la guerre que l'Allemagne fait au monde civilisé.

M. Remy de Gourmont laisse un fils, M. Jean de Gourmont, qui s'est fait apprécier comme littérateur. Nous lui adressons, ainsi qu'à nos confrères du Mercure de France, l'expression de nos bien vives condoléances.

Dimanche 3 octobre 1915, p. 3

NECROLOGIE

Les obsèques de M. Remy de Gourmont ont eu lieu hier à Saint-Thomas d'Aquin, à 10 h. ½. L'absoute a été donnée par l'abbé Cabanoux, chanoine honoraire, curé de la paroisse.

Le deuil était conduit par le vicomte de Gourmont, M. Henry de Gourmont, M. Jean de Gourmont et M. de Gourmont, frères du défunt, et Mlle Marie de Gourmont, sa sœur.

Une assistance nombreuse, composée particulièrement des notabilités du monde des lettres et des arts, était présente. On y remarquait :

MM. Alfred Vallette, directeur du Mercure de France ; Henri de Régnier, de l'Académie française ; Georges Lecomte, président de la Société des Gens de lettres ; Gustave Kahn, Rosny aîné, Albert Métin, Paul Adam, Tristan Bernard, Jean Marnold, Henry de Groux, Henri Albert, prince Cantacuzène, Paul Fort, etc.

L'inhumation a eu lieu au cimetière du Père-Lachaise, où des discours ont été prononcés par : MM. Henri de Régnier, de l'Académie française, au nom du Mercure de France ; Georges Lecomte, président de la Société des gens de lettres ; Maurice Ajam, député, au nom de la France ; Dutot, au nom de la Dépêche de Toulouse ; enfin M. Xavier de Carvalho, au nom de l'Amérique latine et de la Nacion, de Buenos-Aires, a adressé un éloquent adieu à l'éminent écrivain.


LA CROIX

Jeudi 30 septembre 1915, p. 7

MORTS D'HIER

A Pau, le général de brigade Rings, du cadre de réserve, 71 ans, commandeur de la Légion d'honneur, père du capitaine mort il y a un an sur le champ de bataille. — A Paris, le littérateur Rémy de Gourmont, 57 ans, dont on ne peut que condamner les œuvres en bloc.

A consulter : Divers