Paul Harel.

Ce sera un personnage de légende, ce bon Paul Harel ; aubergiste et poète, il exerça ces doubles fonctions dans un même amour de l'art ; le bon aloi était sa norme ; excellence des vins, succulence des mets, qualité des vers. On dirait de lui qu'il fut l'humaniste complet.

Il a rendu célèbre son village, Échauffour, dans l'Orne, où il naquit le 18 mars 1854 pour y mourir le 7 mars 1927. C'est là qu'à l'Enseigne du Grand Saint-André il fut auprès des grands écrivains, quand il lui plaisait, l'apôtre en action de la bonne chère, considérée comme une des convenances de la vie.

Harel fut un poète normand. Il ne chantait que ce qu'il connaissait et aimait, et donc son pays d'abord. Des titres hardis et parlants l'annoncèrent, sur des volumes qui tenaient les promesses de la couverture : Sous les pommiers (1879) ; Gousses d'ail et fleurs de serpolet (1881). Ensuite vinrent Aux champs (1886) et Les Voix de la glèbe (1895). Entre temps avaient paru une étude sur son maître le poète Gustave Le Vavasseur (1888), et des romans : Le Demi-Sang (1889), La Hanterie (1889), Gorgeansac (1898).

Échauffour étant moins loin de Paris que Maillane, Harel subit la tentation qu'évita Mistral. En 1895, il quitte son village pour venir fonder La Quinzaine, bonne revue qui dura, mais en d'autres mains. Le poète s'en retourne bientôt, et il n'abandonnera plus guère sa Normandie. En 1903, il publie des vers, Les Heures lointaines ; il fait jouer à l'Odéon, en 1906, une pièce en trois actes et en vers, L'Herbager qui posait le problème des familles nombreuses : le traditionaliste Karel est un précurseur. Il écrit encore des romans : Mlle de la Galaisière (1913), La Marquise de Fleuré (1923). Il a publié ses Souvenirs d'auberge (1894), qu'il complétera par A l'enseigne du Grand Saint-André, et par d'autres Souvenirs d'auberge qui formèrent avec les premiers l'édition définitive (1922). Il n'a point abandonné la lyre, à laquelle il a ajouté quelques cordes religieuses plus accentuées : en 1914, il donne Poèmes Mystiques et champêtres ; en 1918, Devant les morts, poèmes de guerre ; et enfin en 1921, La Vie et le mystère, un de ses plus beaux recueils. Jusqu'à ses derniers jours, il continua de souligner l'actualité la plus frappante de sonnets qu'il envoyait aux journaux amis.

Attaché à sa foi, à son pays, au beau langage, aux bonnes manières, au bien manger, ensemble familier et distant, aristocrate et peuple, ce fut un beau type survivant de la vieille France que Paul Harel.

Jean MORIENVAL.

(L'Ami du lettré . Année littéraire & artistique pour 1928, Grasset, 1928, pp. 173-174)