ÉCHOS

Pierre de Querlon. — Virgile Josz. — Le dernier descendant de Schiller. — Une lettre inédite de George Sand. — Les fêtes cornéliennes de Rouen. — Pour la suppression de l'Académie de France à Rome. — Publications du Mercure de France.

Virgile Josz. — Notre collaborateur Virgile Josz est mort le 16 juin, à Paris. C'est avec un sentiment de douloureuse surprise que ses nombreux amis du monde des lettres, des arts et du théâtre ont appris cet événement en apparence subit. Quelques jours avant sa mort, on avait vu Virgile Josz en parfait état de santé, et il avait apporté lui-même au Mercure l'article d'art ancien qui figure dans ce numéro. En réalité, notre ami souffrait depuis deux ans d'une néphrite chronique qui, ces derniers mois, avait pris, durant les crises, un tel caractère de gravité qu'une issue fatale était désormais à prévoir. S'il s'était soigné, il aurait probablement gagné quelques années ; mais il négligeait tout régime et, le surmenage aidant, le progrès de la maladie fut rapide. A la dernière crise, des accidents d'urémie se produisirent ; il fut emporté en trois jours. Il avait quarante-cinq ans.

Josz appartenait à une vieille famille huguenote française, qui avait émigré en Hongrie, où le nom de Josse s'était transformé en Josz. Les émigrés ne tardèrent d'ailleurs pas, là-bas, à redevenir catholiques, et ils occupèrent des situations importantes. Une légende qui a cours dans la famille, et qui repose, paraît-il, sur des données historiques assez sérieuses, veut même qu'un de ces ancêtres, durant une époque de troubles, ait été pendant vingt-quatre heures roi de Hongrie. Le fait est que notre ami, dans son allure, ses façons, son aspect physique et son caractère, avait vraiment quelque chose du magnat. Son père, ingénieur distingué, qui, né à Trieste, avait la nationalité autrichienne, avait beaucoup habité la France et, en 1870, il combattit sous le drapeau français. Du côté maternel, Virgile Josz tenait plus intimement encore à la France, et, né à Paris, il aimait à répéter qu'il était parisien de Paris.

Nul plus que lui n'aima, ne comprit et ne sut faire revivre le génie de la vieille France. Les siècles passés, le XVIIIe notamment, n'avaient pas de secret pour lui. On a surtout connu l'artiste, le critique d'art érudit, précieux, à l'œil impeccable. Mais sous l'artiste se cachait l'historien passionné, le fureteur inlassable de documents, qu'il savait faire valoir de la façon la plus intéressante. C'est pour cela que les livres et les articles qu'il a consacrés à l'art restent avant tout de captivants tableaux d'histoire. A ce titre, ses deux livres sur Fragonard et sur Watteau, qu'il devait compléter par un Chardin, sont bien prœuvre, et le seul reproche qu'on pourrait leur faire, c'est l'accumulation même des détails, de ces détails d'un pittoresque parfois infime, mais qui n'en avaient pour lui que plus de valeur, chacun d'eux constituant une trouvaille, étant le résultat d'une recherche souvent longue et toujours ingénieuse.

C'est dans les articles qu'il écrivit pour le Mercure de France et dont le dernier fut précisément une étude sur la maison de la rue de Condé, c'est dans sa rubrique d'art ancien toujours si curieuse, c'est dans son Watteau et dans son Fragonard qu'il faut surtout chercher la manifestation du talent si profondément original de Virgile Josz. Il y a là des pages admirables : descriptions de villes, mouvements de rues, évocations de mœurs ou profils de personnages, jusqu'à de maîtresses planches d'histoire telles que la mort de Louis XIV dans Watteau.

Outre sa collaboration à notre revue, Virgile Josz avait donné de nombreux articles au Gaulois et au Figaro, ayant généralement trait à l'histoire anecdotique de Paris, suivant l'à-propos de l'actualité ; des nouvelles à la Revue Bleue et à la Nouvelle Revue ; des articles sur les salons et les expositions à l'Européen. Il avait débuté par un roman, Hans Wyll, publié par le Gaulois.

Le théâtre, qui sollicitait vivement ce curieux de pittoresque, de décors, d'attitudes et de costumes, fut pour lui l'objet d'une constante prédilection. En collaboration avec Louis Dumur, il donna : Don Juan en Flandre, un acte, à l'Odéon, qui fut pour M. de Max l'occasion d'une brillante création ; au Nouveau-Théâtre, sous la direction de Paul Franck, Rembrandt, drame en cinq actes, où Abel Deval, dans le principal rôle, manifesta un talent souple, complet et puissant, et où Armand Bour dessina une silhouette extrêmement originale ; au théâtre Sarah-Bernhardt, l'été dernier, le Maquignon, drame populaire (époque du Consulat), dont le second acte fut très remarqué ; tout récemment enfin, Ma Bergère, pièce en quatre actes, dont la première, au Théâtre-Molière, à Bruxelles, pour le premier essai de décentralisation de M. Munie, obtint un véritable triomphe.

Outre son Chardin, qui n'existe malheureusement qu'à l'état de notes, Virgile Josz laisse, en collaboration avec Louis Dumur, deux pièces : un drame se passant à l'époque de la Régence, et une Dubarry.

Avec Virgile Josz, le Mercure de France perd un précieux collaborateur et la critique d'art un de ses représentants les plus autorisés.

Mercure de France, juillet 1904, pp. 282-284.