ÉCHOS

Mort de Francis Latouche. — La question des langues et les progrès de l'italien en Suisse. — Les noms de la pomme de terre en France. — Les Manuscrits inédits de Mark Twain. — Société Française de musique allemande. — Publications du Mercure de France. — Le Sottisier universel.

Mort de Francis Latouche. — Un autobus dérape rue de Vaugirard, l'avant monte sur le trottoir, et Francis Latouche, qui passait, est écrasé debout contre le numéro 34. Peut-on imaginer une fatalité plus cruellement tragique et plus atroce ? Il avait vingt-huit ans. Fils d'un ingénieur de la Marine, il fit de solides études classiques au collège des Jésuites de Jersey et au lycée de Nantes. On le destinait à la carrière médicale et il prit son P.C.N., mais, devenu orphelin, il s'abandonna à son goût pour la littérature. Il voyagea aussi, hors de France, et se fixa pendant quelques temps en Angleterre ; il n'était à Paris que depuis moins de deux ans.

Grand et de forte carrure, l'impression de vigueur physique qu'il donnait était toute apparente. On remarquait tout aussitôt chez lui la rareté et la sobriété des gestes, la grâce des mouvements, les inflexions douces de la voix, l'élégance des manières, comme une indolence de toute la personne, contrastant vivement avec sa stature et sa corpulence. Son visage entièrement rasé, au teint pâle presque blême parfois faisait penser à un masque antique. Les traits toutefois s'animaient souvent de façon très expressive et les yeux, derrière le lorgnon, s'éclairaient de lueurs soudaines. Peu combatif, nonchalant et dédaigneux même de l'activité pratique, il n'avait de passion que l'étude et le culte des choses belles. Francis Latouche était un artiste, un poète.

Dans le peu de temps qu'il fut parmi nous, il s'était acquis des sympathies nombreuses et quelques vives amitiés. Malgré sa réserve un peu fière et son indépendance d'esprit, il y avait en lui quelque chose de curieusement séduisant à quoi peu de gens résistaient. Il était mon secrétaire depuis quelque peu plus d'un an, et tout de suite j'avais pu apprécier son intelligence et ses qualités de cœur. Peu à peu nous étions devenus des amis ; la communion intellectuelle était facile avec lui et il m'avait accordé sa confiance comme à un frère de beaucoup son aîné.

Francis Latouche avait des ambitions littéraires qu'il était très capable de justifier. On en aurait jugé avant peu puisqu'il rassemblait les meilleurs de ses poèmes pour les publier en un recueil sévèrement choisi : car il avait peu d'indulgence pour lui-même. Rien chez lui de cette hâte fiévreuse qui pousse à faire imprimer les productions juvéniles sans mérite ; rien non plus de ce besoin de réclame à tout prix dont tant d'autres sont affligés. Là encore on retrouvait cette discrétion naturelle, cette distinction d'homme bien élevé qui donnait tant de charme son commerce.

Pendant son séjour en Angleterre, il avait édité une luxueuse plaquette contenant vingt-cinq Sonnets Païens. Sa véritable originalité n'y apparaît pas encore, mais il s'était adonné volontiers à cette discipline du sonnet, plus propre qu'aucune autre à assouplir et à rendre nette la forme de la pensée et l'invention de l’image et l'on ne saurait regretter que ces « sonnets païens » ne soient pas rigoureusement orthodoxes et réguliers tant on leur trouve de sûreté et de grâce. Ses vers récents sont plus personnels comme en témoignent les poèmes parus dans Pan et ici-même (1). Il y a quelques mois il publiait, Antinoüs, « épisode dramatique en un acte et en prose », et il laisse inédits un grand nombre de poèmes et des nouvelles où s'affirmait son jeune et sûr talent.

Francis Latouche, le poète exquisement sensible et délicat, a été surpris par une mort tragique et odieusement brutale qui nous plonge dans une profonde tristesse, et les Lettres Françaises perdent un de ceux qui auraient certainement ajouté à leur gloire. — Henry-D. DAVRAY.

Mercure de France, 1er février 1913, p. 668-669.