Etienne Martel.

« Mon frère, m'écrivait Pierre Martel, était de ceux qui doivent mourir jeunes, périr inachevés. Mon frère est mort de bonté, de générosité, en héros après avoir vécu en saint. »

A moins de dix-huit ans, Etienne Allard, né en 1897 à Martel, dans le Lot, étudiant à Toulouse, quittera la Faculté pour devancer son appel aux armées. Il reviendra avant que sonnent ses vingt ans, ornés de dix-huit mois d'une campagne très dure, d'une grave blessure et d'une belle citation.

1926. — Etienne Allard est devenu Etienne Martel. Il a, durant quatre ans, parcouru l'Espagne, enseigné les enfants du capitaine général de Catalogne, depuis premier ministre : Primo de Rivera ; il a séjourné dans le Midi viticole pour le compte du Télégramme de Toulouse, où il collabore. Il a, dans ses voyages, poursuivi ses rêves littéraires, écrit à La Vie des peuples, à Oc, au Bon Plaisir, aux Feuillets occitans, à La Tramontane, aux Cahiers libres, au Feu. Surtout, il a lié une précieuse fraternité de dilection et, sous un pseudonyme au double prénom qui nous donne, comme leur œuvre, l'illusion d'un seul cerveau et d'un seul cœur, paraît aux Cahiers occitans et signé Pierre-Etienne Martel, Vin rouge, histoire romancée du soulèvement viticole de 1907.

La critique impartiale — celle qui n'apprécie pas à l'étalon de la signature — distingue Vin rouge parmi les rares belles œuvres annuelles d'une surproduction littéraire. De son Midi, Vin rouge conquiert la capitale, et de solides espoirs se fondent sur le nom de Pierre-Etienne Martel.

L'éditeur Grasset se fait présenter, un nouveau manuscrit La Rencontre de Cervantes et de don Quichotte, qui sera le premier volume d'une nouvelle collection Les Écrits.

Et, au printemps de 1927, la mort d'Etienne Martel, « moins de trente ans », aura devancé de six heures l'arrivée à Toulouse du contrat d'édition... le livre a suivi son sort, qui était de paraître.

La sollicitude fraternelle du survivant veille sur la renommée du disparu : Pierre Martel s'est voué à l'achèvement de leur œuvre commune et se propose de rendre cette œuvre mi-posthume digne des desseins de son frère spirituel.

Etienne Martel est parti, mais sa carrière commence parmi nous : par les soins affectueux de Pierre, sa mort aura marqué son entrée dans la vie littéraire.

Henri MARIOL.

(L'Ami du lettré. Année littéraire & artistique pour 1928, Grasset, 1928, pp. 171-173)