Xavier Privas.

Gaston Couté, l'enfant terrible de la chanson, décédé prématurément, en pleine jeunesse, en plein talent, avant la guerre, s'était amusé à faire une caricature assez spirituellement rosse de son ami Xavier Privas.

Il le représentait en moulin à chansons, paroles et musique.

L'excellent aîné s'amusait tout le premier de l'irrévérencieuse plaisanterie de son cadet.

Un moulin à chansons, soit ! Seulement n'oublions pas que le meunier aimait d'amour la belle meunière.

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J'ai fait la connaissance de Xavier Privas vers 1905, par l'intermédiaire d'un autre chansonnier excellent, Alphonse Coutard, trop modeste pour ne pas sortir de l'ombre où il aimait vivre. Xavier Privas était alors le gros homme corpulent, au teint rougeaud, à figure de « bon gendarme », comme disait encore Gaston Couté que nous avons tous vu, entendu, applaudi. Quand il chantait, il plaquait au piano, de toutes ses forces, des accords impromptus. Qu'on me passe l'expression, mais il semblait marteler ses chansons de la voix et du geste, frapper ses airs sur l'instrument comme sur une enclume. Il lançait les strophes d'une voix mâle, profonde, mais un peu sourde et rocailleuse.

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Abondant, généreux, ardent même, il souhaitait que la chanson revînt à sa tradition la plus noble, c'est-à-dire qu'elle fût un instrument d'éducation au service du peuple. La chanson moralisatrice, la chanson entraîneuse d'hommes et, au besoin, la chanson vengeresse, voilà ce qu'il aimait par-dessus tout, ce qu'il désirait faire.

Il en fit donc. Il en fit même beaucoup :

Aux rimeurs errants,
Je lègue et confie
Mon arme : ironie
Pour cingler les grands

Au frère qui traîne
Et misère et peine
Par villes, par champs,
Je lègue mes chants
Dont les airs touchants
Calment, des méchants,

La haine...

C'était un homme pitoyable, généreux, infiniment bon. Je sais de lui bien des gestes touchants pour des bohèmes qui ne l'avaient pas toujours ménagé — ce qu'il savait — et auxquels il pardonnait tout quand il les croyait dans la peine.

Ce n'était pas non plus un poète médiocre, car on n'est jamais un poète médiocre quand on a du cœur. Il chantait le Travail, la Bonté, la Fraternité. Il chantait les grandes vertus et il faisait mieux encore : il les pratiquait.

Il a su vieillir courageusement, au milieu des adversités, en conservant son âme de poète fraîche comme une âme d'enfant.

Il ne pouvait pas croire au mal, car il ne pratiquait que le bien de toutes manières et toujours de son mieux, et toujours pour mieux faire encore.

Il y avait en lui de la candeur des gamins de Paris tout à la fois très naïfs et très avertis, de ces enfants qu'il a chantés en les comparant aux moineaux des squares, « vrais fils de bohème » vivant « le divin poème de la libre vie et du rire clair », du rire vengeur de Figaro, narquois et caustique, mais tout près des larmes. Car, Figaro, comme on sait, se hâtait de rire de tout de peur d'en pleurer.

Gabriel REUILLARD.

(L'Ami du lettré. Année littéraire & artistique pour 1928, Grasset, 1928, pp. 162-164)