Au tombeau de Verhaeren

A nos compagnons M. et Mme de Saint-Hubert, en souvenir.

Wulveringhen, petit village sur la route de Furnes à Ypres. C'est là qu'Il repose. La plaine, sous la pluie, s'étend immense vers des horizons mélancoliques. Des arbres dressent leurs hautes cimes vers le ciel gris, des buissons de verdure s'inclinent dociles sous les rafales d'eau, et le long de la route dont les pavés luisent sous le vernis des ondées, les maisonnettes de la campagne flamande nous regardent passer, étonnées. Il pleut inlassablement ; mais nous avons résolu ce pieux pèlerinage et nous bandons nos volontés vers notre but !

Nous nous arrêtons. Voici le cimetière autour de l'église à haute flèche. Mais nous cherchons en vain la tombe. Des villageois, rares sous la pluie, répondent, ahuris, à nos demandes. Ils ignorent. Nous sonnons à la sacristie. Un bon curé chenu semble mal entendre nos questions. Il a l'air aussi surpris que ses paroissiens. Mais quand il sait que c'est à Wulveringhen que nous devons être, il nous indique le clocher proche, à cinq cents mètres de distance.

Nous allons. A l'angle du chemin qui mène au cimetière, un cabaret. Musique d'orchestrion. Des paysans, des soldats dansent. Le calme de l'heure est déchiré déplorablement. Nous nous hâtons vers le champ de repos. Peu à peu la mélopée de la pluie murmure, seule, aux gouttières des toits, aux ruisselets du bord de la route, dans les arbres.

Le cimetière est là, sur la place du village où les petites maisons sans étage fraîchement peintes se recueillent dévotieusement. Des allées d'arbres majestueux font un carré autour des tombes. La cure avec son pignon à redents, toute modeste, est au bout d'un ponceau qui enjambe l'eau verdie, dormant dans la paix de l'heure.

Dans un coin de la place, un charmant château pittoresque en briques blanches, datant de 1617, conserve l'aspect de l'ancien « prætorium » flamand élégant avec ses toits en pointe, sa tourelle svelte, ses pignons rappelant l'époque espagnole, son jardin délicieux entouré du fossé protecteur.

Et au milieu des tombes, l'église romane élève sa belle tour du XVIe siècle. Modeste pourtant dans son aspect primitif, elle invite pieusement à méditation.

Voici la simple pierre, sans ornement, polie comme un miroir :

EMILE VERHAEREN

1855-1916.

Il n'y a pas d'autre inscription. Une couronne — très commerciale — en perles, montée sur fil de fer, achève de se désagréger près du nom. On peut y lire, ou deviner : « Les Ecrivains belges à Emile Verhaeren ».

Le terrain autour de la dalle massive est soigneusement ratissé, un entourage en buis nain frissonne dans le vent.

Nos cœurs battent vite. Les hommes se sont découverts, les femmes ont baissé la tête et notre fillette incline la grâce de ses six ans sur le tombeau du grand Poète.

Notre hommage est muet. Il ne faut point troubler la gravité sereine de ce cimetière unique. Toute la Flandre s'évoque là comme Il l'aima et la chanta. Et son grand cœur a dû rêver pour y dormir son éternel sommeil un décor comme celui de cette humble place de village. Seuls, les petites gens de ses légendes viennent y frôler, sans le savoir, son âme éparse. Parfois aussi quelques fervents pèlerins.

Voici le vieux sonneur qui sort de l'église porteur de son trousseau de clefs jetant de petits cris aigus.

Léopold ROSY.

26 août 1923.

Le Thyrse, Tome XXe, 25e année, 1923, pp. 446-447