carte de visite offerte par la librairie Saunier

Avec Vallette, fondateur du Mercure de France, disparaît non seulement l'éditeur, mais l'ami de Pierre Louys, de Jean Moréas, de Rémy de Gourmont. Ce dernier, dont on vient de célébrer le vingtième anniversaire mortuaire, y tenait la rubrique des gloses. En marge de l'actualité, il dessinait de capricieuses arabesques, où il déployait beaucoup de courage, de paradoxes et d'érudition.

Lourd, trapu, à figure de Silène, à démarche de paysan et de chanoine, l'écrivain ne sortait guère de sa gouttière de la rue des Saints-Pères qu'au crépuscule. Alors, il errait avec délice dans la nuit de plus en plus épaissie. Il oubliait son infirmité. Car un lupus, qui lui mangeait une partie du visage, faisait de cet humanis[t]e courtois un objet d'horreur. France l'avait surnommé « le lépreux de la rue des Saints-Pères ».

De toute l'œuvre de Rémy de Gourmont, M. Bergeret avait surtout retenu l'éloge du limaçon, dans la Physiologie de l'amour [sic] :

« C'est Gourmont qui nous l'a révélé : le limaçon est le chef d'œuvre de la création. Vous ne vous en seriez pas douté ? C'est un Don Juan.

Et c'est aussi Narcisse, Sapho. Vous voulez des précisions ? Le limaçon, que vous écrasez d'un pied dédaigneux, possède les deux sexes, Il est, à son gré, mâle ou femelle. Il peut choisir en connaissance de cause.

De plus, ses amours durent une quinzaine de jours. Voilà qui vous met l'eau à la bouche ! »

Et de conclure :

« Le limaçon, c'est Rémy de Gourmont. Il n'est pas agréable à voir, mais ses amours sont héroïques. »

Istanbul, 31 octobre 1935.