« L's houmes conséqueints d'par chin » |
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Les très vieux Coutançais rient encore quand on évoque l'inauguration du buste de Remy de Gourmont, dans le jardin public de cette paisible cité épiscopale. Un attaché de cabinet facétieux, chargé de rédiger le discours de je ne sais quel personnage officiel, avait volontairement contrepéter le nom de l'écrivain, qui fut ainsi baptisé Raymond de Gourmy à la grande joie silencieuse des assistants. Il eût aimé cette plaisanterie qui tournait en ridicule un quelconque mandarin de la littérature ou de la politique, car il était totalement dépourvu de ce sens du respect auquel on reconnaît les conformistes. Il n'en était pas moins et comment ! fier de son nom. D'une vieille famille cotentinaise d'imprimeurs, célèbre au XVIe siècle, mais qu'il aimait faire remonter aux Vikings sous le patronyme scandinave de Gormund, il appartenait à cette petite noblesse souvent impécunieuse qui faisait naguère l'orgueil de tout un peuple frotté de littérature. Il naît le 4 avril 1858, à Bazoches-en-Houlme, sur les marches d'une Normandie à laquelle il resta toujours fidèle, par son tempérament bien plus d'ailleurs que par quelque velléité régionaliste. Bref, il était assez normand pour ne point le proclamer... Après ses études au lycée de Coutances et à l'université de Caen, il s'installe à Paris pour y faire carrière dans les lettres (Jean Mabire). A une époque où la conscience régionale commençait tout juste à s'éveiller, Remy de Gourmont fut un régionaliste sans le savoir. Il ne milita pas ; en 1896, le groupe du Boués-Jaun se constitua à Paris autour de Louis Beuve sans que Remy de Gourmont paraisse y prêter attention. Mais son attachement à Coutances, où il revenait chaque été ; la situation en Normandie de nombre de ses récits : son premier roman, Merlette (1886), Sixtine, Les Chevaux de Diomède, Un cœur virginal, et bien d'autres écrits ; son caractère surtout, fait à la fois de fierté solitaire et de scepticisme, montrent que c'est bien, en la personne de Remy de Gourmont, un Normand qui s'est élevé, il y a un siècle, au premier rang des lettres françaises (Jacques Mauvoisin). Il a écrit que la véritable patrie est celle où l'on éprouva les premières sensations fortes. Né en Normandie, il y avait ressenti ces sensations, et il aimait sa race et sa province. Tout est normand en lui, depuis ses origines, puisqu'il descendait de Cormon, le roi scandinave, jusqu'à son art. Il avait épuré et simplifié son style comme son autre ancêtre Malherbe, et pour mieux nous convaincre, ce qui est encore très normand ; mais, au temps de ses premiers livres, on retrouvait en lui l'amour des mots rares, des parures et des bijoux somptueux ou singuliers, de l'orfèvrerie, des broderies éclatantes, de la basse-latinité et de l'imagerie de couleurs vives. Ainsi Flaubert et Barbey d'Aurevilly, qu'il aimait beaucoup. Ainsi Féret, qu'il aimait aussi et qui l'amusait. Ainsi Beuve, qui écrit en patois pour la sonorité des mots, qu'il ne choisit pas au hasard. Oserai-je parler de Jean Lorrain, qui portait des bagues à tous les doigts, et qui, dans son ignorance, se croyait byzantin ? Cet amour de l'éclat et de la parure est un héritage des Vikings (Fernand Fleuret). Ce n'est peut-être pas le plus grand écrivain du Cotentin. Mais c'est sans doute celui chez qui le tempérament normand est le plus accentué. Non pas qu'il s'agisse d'un romancier « régionaliste », bien au contraire. Seulement ce qui marque l'emprise d'une race et d'un terroir ce n'est pas une profession de foi mais une manière de penser et une façon de vivre... Et toute la philosophie de Rémy de Gourmont est normande et même nordique (Henri Landemer). Il faut remonter à l'année 1922 pour connaître l'origine de l'aérodrome de Lessay et beaucoup seront surpris d'apprendre que sa création avait été liée à la littérature et à Rémy de Gourmont en particulier, cet écrivain coutançais qui faillit d'ailleurs donner son nom au terrain d'aviation. Voici en quelles circonstances : Le dimanche 24 septembre 1922, devait avoir lieu à Coutances, en présence de nombreuses personnalités du monde littéraire, l'inauguration d'un buste en l'honneur de l'écrivain Rémy de Gourmont. Mme Louise Faure-Favier, collaboratrice au journal parisien le Temps, eut l'idée de faire survoler la cérémonie par un avion qui déverserait sur la ville des milliers d'exemplaires de l'un des poèmes de l'auteur coutançais intitulé « la Forêt », au moment de l'enlèvement du voile traditionnel. Le samedi après-midi, la journaliste s'envolait du Bourget en direction de Coutances, à bord d'un avion Farman F-90 piloté par André Marc. En l'absence d'aéroport dans la région, l'avion se posait sur le champ de foire de Lessay. Après un atterrissage assez difficile, l'équipage abandonnait l'appareil pour rejoindre Coutances en voiture. Le lendemain matin, retour à Lessay pour le vol prévu. Malheureusement, c'est la panne. Une défaillance de la magnéto empêche le décollage et il faut attendre le lundi pour demander à Paris pièce de rechange et mécanicien. Durant ce temps d'immobilisation forcée, l'appareil attirait bien des curieux et l'on vit même les enfants des écoles, amenés par leurs instituteurs, défiler devant cet engin qu'ils voyaient pour la première fois et assaillir de questions le pilote et sa passagère. Pour tromper son attente, Mme Faure-Favier visitait l'abbaye puis décidait de rendre visite au maire de la bourgade, M. Fauvel, pour lui faire part de l'idée qui lui était venue : la construction dans la lande de Lessay d'un aérodrome qui desservirait tout le Cotentin, aérodrome qui, proposait-elle, pourrait porter le nom de R. de Gourmont. M. Fauvel accueillit l'idée très favorablement d'autant plus qu'il avait été le camarade d'enfance de R. de Gourmont avec lequel il se rendait fréquemment à Geffosses où demeurait sa tante Mme de Longueval. Que l'ordre nous vienne du gouvernement, conclut-il, et nous nous mettrons à la besogne. L'aéroport de Lessay sera vite achevé. » Le lendemain, l'avion remis en état repartait pour Paris, non sans avoir lâché, avec quelque retard il est vrai, environ 3000 poèmes au-dessus de la cathédrale (Michel Pinel). En marge de tous nos écrivains tant son génie fut divers, Rémy de Gourmont qui vint au monde dans l'Orne mais naquit aux Lettres à Coutances, est, avant tout, dit André Gide, « un homme qui pense », un héritier de Saint-Evremond et de Voltaire ; subtil et curieux de toutes choses et c'est encore un trait de nos écrivains, cette curiosité qui, si souvent, les conduit à ne point accepter de se cantonner dans un seul domaine critique littéraire intransigeant, philologue d'une rare érudition dans Le latin mystique, l'Esthétique de la langue française, les Promenades littéraires, La Culture des Idées, les deux livres des Masques, il est aussi un essayiste d'une lucidité rare dans ses Epilogues et, encore, dans ses Divertissements, un poète qui sait goûter : L'ivresse des jardins, la tendresse des roses... Il est enfin, pour nous, l'auteur charmant et narquois de La Petite Ville et la « Petite Ville » lui a dressé, dans son beau jardin, un buste qui se mire aux eaux calmes d'un bassin (Georges Laisney).
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