C'est Louis Dumur qui, un soir de la fin de 1889, au café François 1er avait eu avec Edouard Dubus et G.-Albert Aurier la conversation d'où résulta la résurrection du très ancien Mercure de France. Les trois jeunes gens tombèrent d'accord pour proposer à Vallette la direction de la nouvelle revue. Après un quart d'heure de réflexion, Vallette accepta et alla chercher Albert Samain et Louis Denise, qui amena Remy de Gourmont. Jean Court fut recruté par Dubus, Julien Leclercq par Aurier, Ernest Raynaud par Dumur et Jules Renard par Raynaud. L'assemblée constitutive se tint au Café Français, près de la gare Saint-Lazare, et le 25 décembre parut le premier numéro du Mercure de France daté de janvier 1890 (A. Billy).

Quand je songe à tout le temps qu'on passait à bavarder rue de Condé ! Gourmont serait bien surpris maintenant où la maison est devenue éperdument laborieuse ! Lui qui venait là, le soir, à pas menus, s'asseyait en bas chez Léautaud, puis, quand arrivait l'heure de la libération du patron, montait chez celui-ci, s'asseyait dans son même fauteuil auprès de Vallette, où il ne faisait pas bon qu'un étranger s'assît dès 6 heures du soir !

Et, dans cette vieille pièce au curieux parquetage ancien de l'hôtel de Beaumarchais, entre chien et loup, le jour tombant, on distillait, à trois ou quatre conjurés, un poison délicieux tour à tour pour l'intelligence et pour le cœur ; servi aux uns par les autres (A. Rouveyre).

Au courant du mois de décembre de cette année-là [1889], un de mes amis de la Bibliothèque nationale, Louis Denise, qui voulut oublier la poésie par amour pour les oiseaux, me demanda sans guère de préambule si je ne voulais pas m'associer à quelques jeunes gens qui fondaient une petite revue douée de ce titre archaïque le Mercure de France. J'acquiesçai, cependant qu'il me racontait comment leur petit groupe, ayant découvert les capacités administratives d'Alfred Vallette, avait décidé de se mettre sous sa direction (R.G.).

Remy de Gourmont qui, cette année-là, 1892, nous donna un très court mais très précieux article "L'Ivresse Verbale" était déjà regardé comme une des têtes de notre génération littéraire. [...] c'étaient nos revues, le Mercure surtout, qui devaient le mettre en lumière... Louis Denise, ami personnel d'Alfred Vallette, le lui avait amené. Idée heureuse. Gourmont fit la gloire du Mercure et le Mercure à son tour consacra la maîtrise de Gourmont.

Personne ne le connaissait, car il n'avait encore travaillé qu'à des livres de vulgarisation, mais c'était déjà un bénédictin d'une lecture inouïe, d'une conscience inflexible et d'une curiosité d'esprit insatiable ; à la fois poète, philologue, romancier, esthète, scientiste, historien, philosophe, je ne sais trop quelle est la corde qui pouvait lui manquer (H. Mazel).

... Dans les premiers jours de janvier 1890, notre groupe était composé de G.-Albert Aurier, Jean Court, Louis Denise, Edouard Dubus, Louis Dumur, Rémy de Gourmont, Julien Leclercq, Ernest Raynaud, Jules Renard, Albert Samain... (A. Vallette)

Les revues qui virent le jour à la fin du XIXe siècle se soucièrent principalement de liberté [...]. Ainsi le Mercure de France, fondé en 1890, fut la revue du symbolisme. Remy de Gourmont y donna des articles qu'il n'aurait pu placer dans les journaux de l'époque (J. Brenner).

Il s'arrêtait chaque jour au Mercure de France qui, revue et maison d'éditions, lui est redevable en grande partie de son autorité et de son prestige. (Léautaud)

A la fin de 1889, le petit groupe d'écrivains de la Pléiade décidait de créer une revue plus importante, ouverte à tous les auteurs de talent, français et étrangers. Il comprenait Alfred Vallette, Louis Dumur, Albert Samain, Louis Denise, Ernest Raynaud, Albert Aurier, Jean Court, Rachilde, Julien Leclercq et Édouard Dubus.

Au cours des réunions préparatoires qui se tinrent chez Jules Renard, présenté par son ami Ernest Raynaud, Édouard Dubus fit prévaloir comme titre de la future revue, le Mercure de France. Alfred Vallette en fut le directeur et l'administrateur ; le premier fascicule du Mercure de France parut en janvier 1890. Ses bureaux furent installés dans un modeste immeuble, 15, rue de l'Échaudé.

Au cours de cette année 1890, de nouveaux collaborateurs rallièrent la jeune revue : Remy de Gourmont, Laurent Tailhade, qui devait y publier, sous le pseudonyme de Dom Juniperien, tant d'articles violents, Saint-Pol-Roux, Morice, Roinard, P. Quillard, Herold, A. Fontainas, etc.

Toute la génération symboliste devait d'ailleurs collaborer au Mercure. Très éclectique, ouverte à tous les talents, quelle que fût leur école ou leur nationalité, donnant parfois, outre de nombreuses traductions d'auteurs étrangers, des textes originaux allemands, anglais, scandinaves, etc., le Mercure de France allait s'efforcer de devenir l'instrument de culture intellectuelle qu'il n'a cessé d'être depuis lors sous l'habile et sage direction d'Alfred Vallette (Jaulme & Moncel).

Un de nos grands rêves était d'être reçus au Mercure, cénacle fermé et désiré s'il en fût. Seuls les hommes de ma génération peuvent dire ce que contenaient ces simples mots : être invité au Mercure ! [...] Mais il faudrait écrire une véritable histoire, un Larousse du Mercure, si l'on voulait raconter les débuts, la vie, les amours de cette admirable maison d'honnêtes gens (Léon-Paul Fargue).

La perte, pour le Mercure de France, fut irréparable. Trente années durant - et quelles années ! celles de la victoire du Symbolisme - le Mercure avait fondé sa réputation sur Remy de Gourmont, sur son indépendance, sur sa puissance de travail, sur son érudition, sur son génie. [...] Gourmont fera du Mercure l'organe officiel, les Douze Tables du Symbolisme, la revue qui donnera le ton au Paris d'alors et à toute la France et à l'Europe. Le rédacteur en chef, Alfred Vallette, [...] eut l'adresse, autant que le mérite, de laisser à Gourmont l'initiative. Depuis son premier article consacré à l'Axel de Villiers de l'Isle-Adam jusqu'à sa mort, le Mercure de France reçut sa collaboration constante et tous ses soins. On ne peut séparer Gourmont de l'histoire de la revue, non plus qu'on ne saurait aborder le Symbolisme sans évoquer, au premier plan, le Mercure. Le Symbolisme, le Mercure de France, Remy de Gourmont, cette trinité domine l'une des époques les plus fécondes de la littérature française. Gourmont - qui ne croyait en rien - n'aurait pas aimé que l'on parlât d'injustice, d'ingratitude devant le silence que le Mercure de France a gardé, tout l'an dernier, sur lui, et pourtant Gourmont était né le 4 avril 1858 et l'on a fêté bien des centenaires qui n'avaient pas sa verdeur (N. Arnaud , 1959).