Tous les écrivains doivent aimer les bibliophiles (Petits Crayons).

La distraction du bouquinage lui fut d'un grand secours. Les momies, rangées dans leurs cercueils, attendaient d'une fantaisie la résurrection momentanée. Il en sauva quelques-unes, les Promenades de Stendhal, qu'il ne possédait pas, un vieux bréviaire historié d'armoiries et un lexique vénitien (Sixtine).

Mais pour l'homme que n'inquiète ni la rareté, ni la condition d'un livre, les quais sont un trésor. Cette librairie en plein air est bien supérieure d'organisation à toutes les bibliothèques. Tous les classiques sont là, depuis Homère jusqu'à Hugo ; voici des dictionnaires de toutes langues ; voici, surtout, l'inattendu. Que cherchez-vous ? demandais-je à un flâneur. Je cherche ce que je trouve, me répondit-il avec sagesse. Les quais sont respectables, si le savoir humain n'est pas une illusion (Dialogues des Amateurs).

On le voyait sur les quais, fouillant aux boîtes des bouquinistes (Fontainas).

Mais que de livres, c'est de la folie, que de livres sur les quais! Paris, Port-de-Mer, donne sur des livres. La plus belle bibliothèque du monde! devait écrire Rémy de Gourmont, qui connaissait les quais et qui avait inventorié chaque boîte des bouquinistes (Cendrars).

Il dépose auprès de lui quelque livre ou quelque brochure qu'il vient d'acheter aux bouquinistes du quai, dont il fouille patiemment les boîtes. Il caresse amicalement sa trouvaille (H. de Régnier).

A chaque dimanche c'était une nouvelle édition originale qu'il avait découverte et achetée et qu'il me montrait presque orgueilleusement. Un rayon de sa bibliothèque était réservé tout entier à ces « trésors » (Léautaud).

Remarque : On ne trouve jamais de Gourmont sur les quais : le plaisir intellectuel qu'on goûte en ses livres est d'une qualité si précieuse et si rare qu'on veut garder près de soi les sources où il s'alimente. Remy de Gourmont ne peut se lire ni « en diagonale » ni en autobus. Il y faut du calme et de l'attention. Chaque phrase est une papillotte qu'il faut déshabiller. Et il y a toujours quelque chose dans la papillotte (G. Pagès).

J'ai acheté hier, en flânant sur les quais (où on ne trouve plus rien, disent ceux qui savent chercher, mais qui ne savent pas trouver), deux petits livres, plus curieux encore qu'ils ne sont rares. L'un, De l'abus des nudités de gorge, insinue que les femmes montrent trop de leur peau, et l'autre, Apothéose du beau sexe, est d'avis qu'elles n'en montrent pas assez. Il va même beaucoup plus loin dans la galanterie, mais tenons nous en à ce point de vue. Le premier de ces livrets présente l'opinion du XVIIe siècle ; le second donne celle du XVIIIe. Comme il faut peu de temps pour que les idées des honnêtes gens changent du tout au tout ! (Le Chat de misère)

Par un bel après-midi de fin d'été je flânais le long des quais. J'allai m'accoter entre deux boîtes de bouquinistes suivant dans son mouvement un homme qui, à son insu, me traînait à sa suite depuis un bon moment déjà et qui était allé s'installer dans cette espèce d'embrasure donnant sur le fleuve, accoudé sur un in-folio, genre antiphonaire à reliure cassée, qu'il venait de dénicher dans un fatras d'imprimés (Cendrars).

La vraie compagnie de Gourmont, c'étaient ses livres. Il les appelait d'ailleurs « ses compagnons de silence » ! (L. Corpechot)

Lorsque nous sortîmes, le soir tombait sur la Seine, et M. Rémy de Gourmont, dernier pèlerin des quais déserts, se hâtait avec des livres sous sa houppelande d'alchimiste (Prosper Lagemur).

Le long des quais, à chaque crépuscule, quelqu'un me dépassait. C'était un homme robuste, dans la force de l'âge. Il portait manteau noir, chapeau haut de forme et foulard blanc négligemment noué autour du cou. Il marchait vite, des papiers sous le bras, stationnant un instant devant chaque boîte, prenant parfois un livre et, après l'avoir vite feuilleté, le remettant soigneusement à sa place.

Quelquefois je le vis appeler le bouquiniste et payer le livre... (Apollinaire)

Remy de Gourmont n'a jamais gardé un étalage. En termes de métier, c'était un « chineur », c'est-à-dire un revendeur. « C'est après sa révocation de la Bibliothèque nationale qu'il se mit à fouiller dans les boîtes, des parapets... Il se tenait de préférence du côté de l'Institut. On pouvait l'y voir dès le matin attendant les bouquinistes et se précipitant, dès leur arrivée, sur le contenu de leur poussette... II était seul le matin, seul l'après-midi, toujours seul avec l'horrible mal qui lui rongeait la face. Inlassablement, il fouillait le contenu des boîtes, anxieux de retrouver ce qui avait pu échapper à ses premières investigations. Les livres qu'il destinait à la vente trouvaient un abri rue Mazarine où il possédait une remise. »

Il ne les vendait pas lui-même, mais les remettait à une « madame B..., non loin ; du pont des Arts, et chaque soir venait très ponctuellement quérir la recette. C'est aussi à cette commerçante qu'il confiait les livres neufs dont il voulait se défaire, les ayant reçus en hommage des auteurs. Il en demandait le prix uniforme de 75 centimes par exemplaire. Mais pour les livres anciens, la cote était beaucoup plus élevée » (L'Homme des Bloy, cité par L. Laloy).

Je ne passe jamais sans tristesse devant les boîtes de livres qui bordent les rives de la Seine. C'est là que je viendrai dormir. Que dis-je ? Est-ce que je n'y dors pas déjà ? Peuplé de tout ce qui s'imprime sous la calotte des cieux, ce cimetière enferme en ses profondeurs les pâles enfants de ma plume. Si je fouillais cette nécropole, j'y trouverais ma chair et mon sang sous la forme d'une encre décomposée. Que d'oubliés gisent là côte à côte qui ont rêvé de vivre dans l'estime et la mémoire des hommes ! La nuit, échappant au cadenas vigilant du bouquiniste, ils mènent un cortège plus fantastique que celui de Raffet. Laissez reposer les morts ! Nul ne longe cette fosse commune sans concevoir la vanité du métier d'écrire.

Je dois pourtant à ces sépulcres une des surprises agréables de ma vie. J'ai reçu, il y a quelques mois, étant à la campagne, une lettre de G.-L. Tautain qui me disait en substance : « En bouquinant près du Pont des Arts, j'ai trouvé, dans un vieux numéro de Minerva, une étude de vous sur Remy de Gourmont. Elle m'a intéressé. N'en auriez-vous pas d'autres du même genre ? Nous pourrions en faire un volume. »

Ainsi est né ce recueil, plus miraculeusement sauvé de l'Océan du papier jauni que Moïse des eaux du Nil. La tombe rendait la vie. Ce qui était poussière reprenait les apparences de la jeunesse et de la fraîcheur. Grâces soient rendues à la curiosité de G.-L. Tautain, aux soins précieux du bouquiniste, au lecteur ingrat qui se défit un jour de ce vieux numéro d'une ancienne revue. L'oiseau phénix n'eût pas ressuscité sans eux (Jacques Bainville, Le Critique mort jeune).