"L'auberge aux draps de grosse toile A coup sûr ne me déplaît pas ;
Mais l'Hôtel de la belle Etoile,
Quel plaisir d'y dormir - sans draps !"
Quand je fis ce vœu téméraire,
Je me tendis un guet-apens,
Mais je ne croyais pas en faire
Si tôt l'épreuve à mes dépens.
Et voilà - grâce au sort espiègle -
Qu'à jeun depuis l'aube et très las,
J'ai couché dans un champ de seigle,
A l'Hôtel de l'Etoile, hélas !...
- Sous les toits de chaume aux fleurs jaunes,
Bâton en main, je vais cueillant
Les contes, les guerz et les sônes,
Redits près de l'âtre, en veillant. -
Un jour de juin, la plaine agreste Chauffait à blanc ; j'étais à bout.
Ni gens, ni toits... c'était, du reste,
En Cornouaille, - ça dit tout.
Quand à travers la lande aride
J'atteignis, du hasard conduit,
Le gîte où l'appétit me guide,
II était onze heures de nuit.
Et moi de frapper à la porte
Et de prier qu'on m'accueillît.
Une voix cria rude et forte :
- "Que cherchez-vous ?" - "Brave homme, un lit."
- "Je dors, passant. Décampez vite.
Ouvrir à cette heure est malsain."
Et pour quêter un nouveau gîte,
J'allai heurter chez le voisin.
- "Qui frappe à ma porte ?" s'écrie
Le voisin d'un ton courroucé.
"Brave homme, ouvrez-moi, je vous prie !
J'ai faim et je suis harassé."
- "Je veux dormir, allez au diable !
On n'entre pas dans ma maison."
Me faudra-t-il, chose incroyable !
Coucher à jeun sur le gazon ?...
Et de mon lourd bâton, pour arme,
De ci, de là, heurtant, frappant,
J'éveille les chiens au vacarme,
Et l'écho me répond : pan ! pan !
Le bourg résonne à mon tapage;
Mais tout reste clos et scellé.
Chacun fait le mort, et j'enrage...
Fin finale je m'en allai.
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Ce méchant village se nomme...
Mais pourquoi vous dire son nom,
Puisque les Bas-Bretons, en somme,
Ont mérité leur bon renom ?
- D'ailleurs ; en été, sur la dure
Coucher dehors n'est pas grand mal;
Et c'est, à défaut d'aventure,
Un incident original.
La nuit m'apportait sous ses voiles
Les parfums des champs exhalés,
Le ciel souriait plein d'étoiles;
Le grillon chantait dans les blés...
Je dormis peu. Ces yeux sans nombre
Ouverts sur moi, ces frais parfums,
Ce grillon même : tout dans l'ombre
Évoquait l'âme des défunts.
- Mais voici que l'aube me jette
Son trait de flamme; et du sillon,
Sonnant le réveil, l'alouette
S'élance en joyeux tourbillon.
Le rouge-gorge lui réplique ;
Et bientôt dans chaque buisson
J'entends, de mon lit bucolique,
Chanter merle, grive et pinson.
Partout babil, chansons, ramage,
Oh ! le doux concert argentin !
Chaque oiselet dans le feuillage
Fait sa prière du matin,
Et moi, pris au charme, je reste
L'oreille ouverte à leurs accords,
Sans me plaindre (je vous l'atteste !)
D'avoir passé la nuit dehors.
- Mais le soleil, naissant à peine,
Embrase les cieux envahis,-
Debout ! et, du mont à la plaine,
Arpentons encor le pays !
Et gaîment, sous la clarté sainte,
A travers la lande aux fleurs d'or
- Tout en ruminant cette complainte -
Je repars, et je dis encor :
"L'auberge aux draps de grosse toile
Est logis pour gens délicats,
Mais l'Hôtel de la belle Etoile,
Pour y dormir, l'on n'en meurt pas.»
Novembre 86
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