On peut lire dans cette anthologie quatre poèmes : « Berceuse », « Le soir », « Le verger », et « Fra i sospesi ».

Ces poèmes sont précédés d'une bibliographie des poèmes de Gourmont ; d'une Etude par Jean de Gourmont ; d'un poème de Charles-Théophile Féret ; d'un texte de Louis Dumur.


Etude

Rémy de Gourmont naquit au château de la Motte, à Bazoches-en-Houlme (Orne), le 4 avril 1858, d'une vieille famille depuis longtemps fixée en Normandie et qui, selon la tradition, remonterait au vieux roi Gormon, prince de Danemark.

L'un de ses neveux serait venu en Normandie à la suite de Rollon et y fit souche d'une famille qui devait, aux XVe et XVIe siècles, produire cette généalogie de savants, peintres, graveurs imprimeurs : les Gilles, Jean, François et Robert de Gourmont, qui timbrèrent leurs admirables éditions de leurs armes : « D'argent au croissant de sable, au chef de gueules, chargé de trois roses d'or. » Ce fut Gilles de Gourmont qui imprima en France le premier livre en caractères grecs. En outre, par sa grand'mère maternelle, Mlle de Malherbe, Rémy de Gourmont se rattachait à la famille de François Malherbe.

Il passa son enfance à Bazoches, en pleine campagne, dans un paysage qu'il a noté dans Sixtine et dans ses Histoires magiques. C'est peut-être dans ce dernier recueil que l'on retrouverait les plus fraîches images de son enfance, et jusqu'aux légendes familiales dont il fut d'abord troublé. Il avait une dizaine d'années lorsque ses parents vinrent se fixer au Manoir du Mesnil-Villeman, dans la Manche, petit château bâti au bord d'un étang, encerclé de bois de hêtres. Il nous a laissé dans le Songe d'une femme, l'odeur de ce paysage et jusqu'au dessin des allées. Simone est une feuille morte cueillie dans l'avenue qui conduit à l'église de ce village.

Après des études intelligentes au lycée de Coutances, où l'un de ses professeurs, Blier, devina son génie, Rémy de Gourmont vint à Caen faire son droit, mais il y continua surtout ses études littéraires. Lorsque, en 1883, il arriva à Paris, déjà tenté par le métier d'écrivain, il entra presque aussitôt à la Bibliothèque nationale, où il continua ses propres travaux. Ce passage dans la plus riche bibliothèque du monde ne lui aura pas été inutile, puisqu'il y prit le goût de la méthode et de la précision. On sait qu'à la suite d'un article intitulé le Joujou Patriotisme, paru dans le Mercure de France (1891), il fut révoqué de ses fonctions de bibliothécaire. De cette époque date le commencement de son indépendance et de sa production.

C'était à la Bibliothèque nationale que son compagnon de captivité et d'érudition. Louis Denise, était venu le prendre et le conduire à Alfred Vallette, Louis Dumur, Albert Samain, etc., pour fonder le Mercure de France, cette revue où a paru presque tout son œuvre et à laquelle il collabora jusqu'à son dernier jour. On peut dire que sa vie et son œuvre sont associés à la vie du Mercure. Dès les premiers numéros, il y donne des essais, des notes sur la littérature anglaise, italienne, en même temps qu'il y publiait ses premiers essais philosophiques : l'Idéalisme (1893) ses premiers contes (Proses moroses) et son théâtre (Histoire tragique de la Princesse Phenissa, Théodat, le Vieux Roi).

En 1890, paraissait Sixtine, roman de la vie cérébrale, qui est sa première œuvre importante : il a mis dans ce roman complexe et difficile tous les événements de sa vie et de sa pensée de cette époque.

Les Chevaux de Diomède, qui parut en 1897, est comme une suite à Sixtine ; mais, dans ce dernier roman le style s'est épuré, simplifié, et les idées se sont clarifiées. Le Songe d'une femme (1899) et Un cœur virginal (1907) marqueront l'évolution de sa conception du roman : Un cœur virginal est, en effet, un chef-d'œuvre de simplicité et de pureté, et un vrai roman d'où les idées se dégagent seulement des faits de l'aventure contée.

Mais il faut remonter à 1895, avec le Latin mystique, œuvre d'érudition, qui est aussi un manifeste, et comme une rupture avec la littérature classique et le cliché. Ce sont ces travaux qui le conduiront aux études de linguistique, dont l'Esthétique de la langue française, la Culture des Idées, et le Problème du Style sont l'expression variée et complexe. Rémy de Gourmont fut peut-être avant tout un grammairien ou plutôt un amoureux de la langue. Il a écrit: « Les mots m'ont donné peut-être de plus nombreuses joies que les idées, et de plus décisives. »

A l'époque où il débuta dans les lettres, le naturalisme s'étalait d'une manière indécente dans le roman et jusque dans la philosophie où il se manifestait par un bas matérialisme. Rémy de Gourmont s'écarta de cette école, et s'attacha à Villiers de l'Isle-Adam qui fut bien le grand précurseur du symbolisme, non seulement par son esthétique, mais par sa philosophie hégélienne. Villiers et Mallarmé furent les deux grandes piétés littéraires de Rémy de Gourmont ; je ne dis pas influences, car il était trop personnel pour ne pas s'assimiler et faire siennes toutes les influences. Comment dire toutes les philosophies qu'il traversa, avec un mélange de mysticisme : Hegel, Schopenhauer, Kant, Nietzsche, Spencer, précisèrent sa pensée. Mais ces philosophies, il les traversa sans s'y brûler, toujours intact et confiant dans la vie, dans sa brièveté même. Longtemps dans ces Épilogues qui constituent ses Essais et sa vraie philosophie, — si on peut donner ce nom à une œuvre qui fuit la systématisation et ne craint pas de se contredire, — il ironisa l'idée de progrès, la religion du moment, il accumula les négations et s'en fit une sorte de dogmatisme. Sa philosophie devait aboutir à cette loi de constance intellectuelle qu'il fit sienne, d'après les découvertes scientifiques de Quinton. Cette loi de constance de notre intelligence et de notre sensibilité, ce fut la grande certitude de sa pensée. Déjà la Physique de l'amour avait voulu remettre l'homme à sa place, dans l'échelle des êtres, et la Physique des mœurs, qu'il préparait, devait compléter ses idées sur ce sujet. La Revue des Idées propagea, étayée par la science d'un Quinton et d'un Bohn, cette conception physique de la vie. On dira mieux un jour quelle fut l'œuvre critique de Rémy de Gourmont.

Il a, à propos de Sainte-Beuve, défini le rôle du critique créateur de valeurs. C'était sa propre définition qu'il nous donnait. Sous un titre modeste, ses Promenades littéraires et philosophiques sont sans doute l'œuvre critique la plus importante de notre époque

Il ne faut pas oublier que Rémy de Gourmont fut poète, poète dans sa prose d'Une nuit au Luxembourg. Les Divertissements sont le recueil de toute sa poésie, de tous les rythmes et images qui le tentèrent. Au cours de sa vie littéraire, il a jeté, comme des roses dans une allée, de petites plaquettes de vers et de proses rares : les Litanies de la Rose, les Saintes du Paradis, Fleurs de Jadis, etc...

La vie de Rémy de Gourmont n'a pas d'histoire officielle ; rien ne la troubla officiellement. Il a vécu libre, de toute, entrave, et laissa l'élite intellectuelle venir à lui. Sa vie fut tout intérieure, et c'est dans son intelligence (l'intelligence est de la sensibilité cristallisée) qu'il trouva les plus grandes joies. Il parlait peu, mais pas plus dans la conversation que dans ses écrits, il ne prononça jamais une parole vaine. Il avait le respect des mots. L'œuvre de Rémy de Gourmont est considérable. On en trouvera la nomenclature presque complète dans la brochure de M. Paul Delior, sur Rémy de Gourmont et son œuvre.

Jean de GOURMONT.


A RÉMY DE GOURMONT

(Extrait du Verger des Muses.)

Le cerveau bourdonnant de critique érudite,
Et les reins lubrifiés par les jeux d'Aphrodite,
Il est aussi hautain d'esprit qu'humble de cœur.
— Riche avare de ce trésor intérieur,
La Liberté, que l'amitié guette et mutile,
Les coffres, qu'il entrouvre avec dédain, rutilent
De somptueux, subtils, et barbares joyaux.
Les longs visages de vierges, des fabliaux,
Avec leurs cous pensifs, aux vieux bois se profilent.
Et voici Nicolette et le clerc Théophile,
De très vieilles chansons avec les airs notés,
Les roides chapes d'or des Mots peints et sculptés,
Parchemins de SOTIE et veau fauve des SOMMES...
Beaucoup de livres, peu d'amis. — Il fuit les hommes.
L'ont-ils trahi ? — Du moins ce fier n'a pas daigné
Nous roucouler de plainte lâche, il a saigné
Sous son manteau ! — Il vit solitaire et rebelle.
Mais se cachant de Dieu, les Saintes, les plus belles,
Pour ouïr son pervers et mystique latin,
Se désailent au lit du chaste, libertin.
Madeleine, Thamar, les Ardentes, qui surent !
L'enseignèrent comment soupire la luxure...
Or à ces blancs mangers de céleste bourdeau
Simone, doit rester derrière le rideau.
Oh ! ce n'est point l'amie, ou la mortelle épouse,
Dont les bouches béatifiques sont jalouses,
Mais de la seule où cet hérétique ait eu foi,
Qu'à chaque neuve aurore avec un neuf émoi
Il quête, que nul homme encor n'a possédée,
Qu'il croit jà pantelante, et prise, et dénudée,
Quand la blanche fumée, hélas ! s'évanouit,
Mais laisse le chasseur à jamais ébloui.

Ch.-Th. FÉRET.


De Louis DUMUR :

« Dans ses diverses attitudes et dans ses recherches divergentes, Rémy de Gourmont a été l'expression de notre époque instable... En perspective de chacune des avenues tracées dans la forêt littéraire par l'ingéniosité ou l'inquiétude de nos contemporains, se profile sa silhouette étonnante ou grandiose. Y avait-il lui-même troué les premières avancées, la hache en main et le geste défricheur ? S'y était-il engagé sur les pas de hardis pionniers ? Suivait-il ? Précédait-il ? Quoi qu'il en soit, il s'appariait si bien à son temps, qu'aussitôt qu'une voie nouvelle, un goût nouveau, une mode inédite, une direction imprévue se faisait jour, une œuvre de Gourmont apparaissait qui lui répondait étroitement Nul mieux que lui ni plus complètement n'a rendu notre vie. Nul mieux que lui ni plus complètement ne saura faire valoir notre effort. Il sera notre mandataire devant l'avenir. Quand la plus lointaine postérité voudra se faire une idée de ce que nous fûmes entre les années de l'esthétique d'hier et celles du réalisme néo-classique de demain, de ce que fut notre immense bibliothèque, de ce que fut cette génération qui fit le pont entre le conflit de 1870 et la grande guerre qui s'ouvrit en 1914, la page qu'elle devra lire sera, signée Rémy de Gourmont. »

(Le Mercure de France.)

Louis DUMUR.

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