Les journaux en ont rendu compte, même les journaux qui n'y étaient pas représentés. Je me suis bien réjoui à lire le « compte rendu », écrit d'avance, des ineffables Annales politiques et littéraires. On y apprend que Louise Faure-Favier lança du ciel sur Coutances émerveillé des poésies de Remy de Gourmont. Mais le hic, ma cousine, c'est que l'avion de Louise Faure-Favier était resté à Lessay, immobilisé par un petit accident d'atterrissage. Voyez, cousines de Cousine Yvonne, comme les journaux littéraires — oh ! combien ! — sont renseignés. C'est pourquoi je ne crois pas inutile d'y aller de mon petit compte rendu.

Quelque narquois historiographe des gens et des choses de la province, tels Jean Gaument et Camille Cé, se réjouirait à raconter par le menu les vicissitudes d'avant les fêtes. Je leur laisse là un joli sujet de nouvelle dont Joseph Quesnel pourra leur fournir tous les éléments. Ou peut-être cela tentera-t-il le sourire en coin de Gaston Le Révérend. En attendant, je livre à vos réflexions, lecteurs qui savez lire entre les lignes, ce paragraphe extrait du Journal de Coutances.

« Le Conseil (municipal) ne donna pas son approbation complète immédiatement. Il ne s'y opposa pas cependant par la suite... »

Voilà qui est, hélas ! bien normand.

Les dernières résistances furent vaincues. Grâces en soient rendues à Quesnel et au président du Comité gourmontien coutançais, M. Emile Le Denier, toujours dévoué à l'art et aux artistes.

La fête décidée, Coutances s'y mit de bon cœur. Ce fut populaire à souhait. Les maisons s'étaient parées de feuillage et — pourquoi, grands dieux ? — de tricolore. Les différents quartiers de la jolie petite ville rivalisèrent de fraîcheur et de grâce et, l'après-midi du dimanche, le défilé des chars fleuris fut un enchantement. Le char de la reine des reines, œuvre de Jean Thézeloup, était une réalisation du thème de la Rose cher au grand écrivain, et une réalisation qui lui eût plu : la « Rose au bois » était une bien jolie fille.

Mais je m'aperçois que je bouscule la chronologie...

La fête avait été ouverte dans l'après-midi du samedi par l'exposition des Imagiers du Pou-qui-grimpe ». Petite exposition, mais rien de négligeable. Un public nombreux, canalisé par de charmantes ouvreuses — décidément « à Coutances en Cotentin toutes les filles sont jolies » (1) — défila devant les étains et les ornements de Jean Thézeloup ; les dessins de Georges Laisney et de René Jouenne, les bois gravés de Joanny Durand, Pierre Le Conte, Berthe Martinie et Arlette Bouvier ; les animaux de Raymond Bigot ; les huiles très normandes du regretté François Enault et de M. et Mme Clément-Chassaigne. Mais le gros succès de l'exposition ce fut certainement la série de toiles consacrées par Joseph Quesnel à « l'Histoire d'une vieille Fille ».

Au théâtre, la soirée de gala commença par une conférence de M. Louis Dumur. — Voix basse, ton funèbre, style pompier dont les romans patriotiques à gros tirages ont dû lui donner l'habitude. — Mais les citations de Remy de Gourmont y furent très applaudies.

Des pages du maître furent lues ou chantées par d'excellents artistes qui firent applaudir par la même occasion les musiciens normands André Caplet, Henry Woollett et Robert Montfort. Les Coutançais purent entendre, pour la première fois sans doute, d'exquises descriptions de La petite ville qu'ils habitent et dont ils goûteront mieux maintenant le charme « très province ».

Une pièce inédite de Remy de Gourmont terminait la soirée. L'ombre d'une femme est bien de cet écrivain subtil et sensible : Un homme a aimé — rien qu'un instant mais vraiment aimé — une passante dans la foule, une femme dont il n'a même pas vu le visage, une silhouette, une ombre. Il épouse une autre femme. Une photographie ranime le souvenir de la passante. Jalousie. Mais la passante, c'était sa femme.

Dans l'après-midi du dimanche eut lieu l'inauguration du monument. Le public était compact dans les allées et sur les pelouses du jardin public. De nombreux admirateurs de Remy de Gourmont étaient venus de Paris et même de plus loin. Citons — outre les discoureurs — Mmes Rachilde, Louise Faure-Favier, Jeanne Ronsay, Claude Hariel, Bathorv ; MM. Alfred Val[l]ette, directeur du Mercure de France (qui eut l'heureuse inspiration .d'offrir les œuvres de Gourmont à la bibliothèque de la Ville), Lucien Corpechot, Jules de Gaultier, Gustave-Louis Tautain, directeur du Monde Nouveau, René-Louis Doyon, directeur de La Connaissance, Jean Royère, François Bernouard, Georges Le Cardonnel. La Normandie était dignement représentée par Charles-Théophile Féret, Louis Beuve, Gaston Le Révérend, Georges Laisney, sans oublier les membres de la famille de Gourmont : M. Henry de Gourmont, Mlle Marie de Gourmont (Remy lui envoyait Le livre des saintes avec cette dédicace : « A Sainte Marie de Gourmont »), M. Jean de Gourmont et Mme Suzanne de Gourmont. M. Sanin-Ca[no], correspondant de La Nacion, représentait l'Amérique latine et M. Hyrs, la Belgique.

Le buste, œuvre de Mme Suzanne de Gourmont, valut à son auteur les plus chaleureux applaudissements. C'est une œuvre de grand style traitée avec harmonie et sobriété. Genre assyrien, a-t-on dit. Assyrien,si vous voulez, mais par la barbe seulement. J'ai trouvé dans cette figure une profondeur et un sens du mystère qui l'égalent aux plus belles créations de la statuaire égyptienne.

Il y eut des discours nombreux : MM. Eugène Morel au nom de la « Société des Gens de Lettres », Maurice Souriau au nom du Ministre de l'Instruction Publique (successeur de celui qui avait révoqué Remy de Gourmont de ses fonctions de bibliothécaire à cause de son fameux Joujou patriotisme), Marcel Coulon, Dr Paul Voivenel, Dr Le Conte au nom de la Ville de Coutances. Tous ces discours ne furent pas également heureux, mais deux au moins furent très remarquables, celui de M. Eugène Morel, bref et complet, et celui du Docteur Voivenel, très curieuse étude du « drame intellectuel grandiose qu'un médecin a cru deviner dans l'œuvre d'un de nos plus grands écrivains ».

Hors série : Charles-Théophile Féret lut un très beau poème à la gloire du grand briseur d'idoles, fils lointain du vieux pirate Gormon, et lui offrit la palme de bouleau dont on honorait les dieux du Nord.

Du discours du Docteur Le Conte, il faut détacher ce passage : « Une fréquentation de près de quarante ans me permettait, je le croyais du moins, de connaître le caractère de nos paysans ; en quelques lignes, Remy de Gourmont m'en a appris plus sur eux que je ne l'avais fait dans toute ma carrière ».

Idée à retenir. En quoi Gourmont fut-il normand ? Quelle doit être sa situation dans la Normandie idéale ? La question est posée. Il faudra bien que quelque critique de chez nous apporte la réponse.

(1) Georges Laisney, La première chanson, poèmes 1907.

Marcel LEBARBIER.

La Mouette, n° 59, novembre 1922, pp. 266-268