Gaston Picard, « Remy de Gourmont, normand », Scripta n°20, septembre-octobre 1935, p. 9

REMY DE GOURMONT, normand

par Gaston PICARD

Si Paris a Villon, la Provence Mistral, la Normandie a Rémy de Gourmont.

Le 27 septembre consacre le 20e anniversaire de la mort de Rémy C'est l'instant de rappeler que l'auteur d'Un Cœur Virginal, naquit le 4 avril 1858, au Château de La Motte, à Bazouches-en-Houlme, dans l'Orne. Et celui qui trouva dans l'écriture le mode d'expression de sa pensée, discrète quant à la parole, apprit au Château de La Motte à tenir une plume, à preuve cette première lettre, ce billet qu'il envoyait à sa sœur : « Ma chère petite Marie, je t'écris une jolie petite lettre parce que tu es bien jolie. Adieu, ma petite sœur. Je t'embrasse de tout mon cœur. Rémy ».

Il avait neuf ans. Une année plus tard, il suivait ses parents au Manoir du Mesnil (Manche) qui devint le domaine familial. Dans la suite, le Lycée de Coutances posséda en lui un élève excellent. Caen le vit s'inscrire à la Faculté de Droit. Quand nous aurons noté qu'il prit un vif plaisir à hanter les grèves, à goûter les joies qu'offre la mer, il nous restera à le suivre à Paris, où il commença de vivre sa vie d'homme de lettres. Mais non sans dire qu'il revint volontiers au pays normand et plus spécialement à Coutances, où il descendit chez sa sœur, en la maison qui voisine avec le jardin public. Au demeurant on sait qu'à travers le livre appelé La Petite Ville, Rémy de Gourmont a fixé le visage, les aspects de Coutances, — de la cathédrale où figurent les armes des Gourmont, ses ancêtres, au jardin public où nous saluons depuis 1922, son buste, œuvre de Madame Suzanne de Gourmont, la femme de Jean de Gourmont, son frère.

Certes, il est permis de ne pas partager toujours les aperçus de l'auteur des Epilogues, mais il est défendu d'ignorer Rémy de Gourmont, artiste au moins qu'il était penseur, et dont l'œuvre contient plus d'un joyau, — des Divertissements aux Lettres à l'Amazone. Aussi la Normandie s'honore d'être le berceau de l'écrivain. Et Coutances, qui marqua par des fêtes d'un caractère non seulement littéraire mais régionaliste l'inauguration du buste, vénère en la forme qui apparaît parmi les beaux arbres de son jardin Rémy de Gourmont, grand écrivain et grand normand.


André Veinstein, « L'Alliance intellectuelle : Les conférences », n° 27, octobre-novembre-décembre 1936, p. 10-14

L'Alliance Intellectuelle

Scripta sous la signature de son chroniqueur théâtral, André Veinstein, membre du comité de rédaction, spécialement délégué pour les fêtes du Cinquantenaire du Symbolisme, a le plaisir de publier, en exclusivité, un compte rendu détaillé des importantes conférences qui viennent d'avoir lieu à Vichy, sous la présidence de l'Alliance Intellectuelle.

LES CONFERENCES

Dans le parc des sources, où l'air que l'on respire a un peu le goût fade et tiède de l'eau que l'on boit, les gastro-hépatiques qui s'intéressent à la poésie pourraient aisément concevoir, à la lecture des affiches, qu'il leur serait bientôt donné de fêter le Cinquantenaire du Symbolisme avec une magnificence sans égale :

« Conférence sur le Symbolisme par Jacques de Lacretelle.

Audition de poèmes symbolistes et de mélodies inspirées des Poètes Symbolistes.

Masques et Bergamasques, divertissement chorégraphique avec poésie et chant de René Fauchois, musique de Gabriel Fauré.

Pelléas et Mélisandre, livre de Maurice Maeterlink, musique de Claude Debussy.

Deuxième conférence sur le symbolisme par Paul Valéry.

Grand festival de musique consacré à Wagner, Maurice Ravel, Claude Debussy, Caplet, Charles Bordes.

Audition du premier acte d'Ariane et Barbe Bleue, livret de Maeterlinck, musique de Paul Douglas, sous la direction d'Albert Wolff. »

Au casino dont les premières pierres ont été posées à l'époque où les Symbolistes firent leurs premières rimes, trois soirées de « grand gala » étaient consacrées à l'exécution de ce programme ; et si les conférences en constituaient la nature essentielle, le théâtre symboliste, la musique symboliste, leur servaient d'illustrations vivantes.

Mais il s'agissait avant tout de définir ce que l'on doit entendre par « Symbolisme » : Tel fut le sujet de la conférence — introduction de Lacretelle — Le Symbolisme lui paraît être assez bien caractérisé par une formule de Rémy de Gourmont qui est, à la vérité, plus une théorie qu'une véritable définition : « La poésie doit être l'expression du libre et personnel développement de l'individu total ». C'est ainsi qu'à l'aurore du Symbolisme, si Arthur Rimbaud rejeta les règles de la prosodie classique inaptes à faire de la poésie « une manière de voir et de sentir » du moins, pour parvenir pleinement à cet idéal, dût-il se soumettre à la seule règle de la liberté dans l'art. Et cette conception, propre naguère à Rimbaud, reprise par Mallarmé dans sa fameuse déclaration de 1892, par Verlaine dans son Art Poétique, paraît bien constituer le principe même de la poésie symboliste.

Après avoir systématisé le Symbolisme dans le passé, Lacretelle s'est appliqué à le systématiser dans le présent : et cela, par transparence, à travers la production contemporaine. Pour lui, l'influence du Symbolisme a la force d'une hérédité : Il considère en effet que notre littérature tire son origine même du Symbolisme. L'analyse intime qui constitua le caractère essentiel du roman, avec Proust, Mauriac, Duhamel, Céline dont la jeunesse a été toute exaltée par les luttes ardentes du Symbolisme, se déduit tout naturellement de la formule de Gourmont préconisant un art libre, totalitaire et individualiste.

***

Le titre de la conférence de Paul Valéry était : L'existence du Symbolisme. L'illustre académicien s'est tout d'abord attaché à montrer que le Symbolisme est né en fêtant son « Cinquantenaire ». C'est qu'en effet les écrivains qui répondent au titre de « Symbolistes » n'ont jamais, à leur époque, usé et abusé du Symbolisme comme on le fait à la nôtre. Ce qui demeure certain c'est que les Symbolistes le sont à présent : Ils ne le furent pas. Sans doute, Valéry admet qu'il existait bien, entre 1860 et 1900, un certain nombre d'auditeurs qui formaient groupe ; mais, ajoute-t-il, rien n'existait de ce qui sert aujourd'hui à le désigner : « Le Symbolisme naît donc à l'âge heureux de cinquante ans… après fortune faite ».

Puis, cest à cette naissance même du Symbolisme que Valéry nous ait assister. Pour cela, souvenirs et documents à l'appui, il choisit trois étalons : classique, romantique, réaliste, auxquels il mesure les différents types d'œuvres qui paraissent entre 1860 et 1900, époque que nous soupçonnons aujourd'hui de Symbolisme. Or, il apparaît que certains ouvrages — Illumination de Rimbaud, l'Après-midi d'un Faune de Mallarmé, par exemple — ne sauraient s'adapter à aucune des trois précédentes mesures.. Il faut donc fabriquer une autre mesure, valable pour ce nouveau type d'œuvres. Mais cette tâche présente une insurmontable difficulté : Les œuvres considérées, qu'elles émanent d'un Rimbaud, d'un Verlaine, d'un Mallarmé, d'un Villiers de l'Isle-Adam, d'un Maeterlink, d'un Moréas, d'un Verhaeren, d'un Henri de Régnier, d'un Viellé-Griffin, d'un Dujardin, présentent chacune, des différences absolument irréductibles — doctrines, moyens, manières de sentir et d'exécuter. En quoi va donc consister leur unité ?

Valéry ne la trouvant pas, cette unité, dans les caractères sensibles de leur art, — ce qui l'amène à affirmer l'inexistence d'une esthétique symboliste — il la fait résider finalement dans une négation : Les poètes symbolistes, quelles que fussent leur différence, s'accordaient dans un commun renoncement au suffrage du nombre, dans une commune indifférence et, parfois, dans une commune hostilité au « groupe influent » ou « au critique influent ». Ainsi, leur unité réside dans des faits inesthétiques.

En marge de la société littéraire de leur temps, les Symbolistes parviennent à se faire leurs revues, leurs éditions et — nous citons Valéry — « à se former peu à peu ce petit public de leur choix, dont on a dit autant de mal que d'eux eux-mêmes ». Or, former un public, cela supposa une collaboration féconde sur le fruit essentiel du Symbolisme. Et Valéry en fait découler deux conséquences : Le lecteur devient l'individu capable d'un effort intellectuel suffisant pour suivre son auteur ; une voie nouvelle est ouverte aux esprits inventifs, puisque le lecteur « laborieux et raffiné » acceptera des textes à difficultés, à effets insolites, à essais prosodiques et même graphiques. Ainsi, parti d'une considération anesthétique, Valéry arrive à un principe technique qui nous fait apparaître le Symbolisme comme une époque d'invention.

Innombrables sont en effet les innovations d'alors. Les matières les plus différentes président à leur réalisation : les sciences, la musique, la philosophie, la philologie, l'occultisme, les littératures étrangères. La correspondance des différents arts entre eux devient un véritable système. Signalons encore des essais, nombreux, de modifications de la syntaxe et du vocabulaire. Jamais on ne connut, affirme Valéry, de mouvement littéraire plus savant, plus inquiet d'idées que celui qui fut déclenché par les symbolistes vers 1886.

Autour de ces auteurs, un groupe de fidèles, « honorés du beau titre de « snob » par des moqueurs qui ne savaient pas l'anglais » dit le conférencier, remplit, poursuit-il, une fonction très réelle et très utile, en faisant sortir de l'inconnu bon nombre d'auteurs et d'ouvrages dont la renommée est, aujourd'hui, solidement établie.

Poussant plus avant son étude, Valéry définit quelle fut la résolution commune à ces auteurs, séparés, au reste, par de multiples différences : Ce fut « de ne pas sacrifier, à d'autres vérités, celles délibérément choisies ou édifiées par eux-mêmes ». Etat d'esprit original et singulier dont la puissance ne trouva jamais une manifestation complète et s'éteignit vers la première année de ce siècle.

En terminant, Valéry revient sur l'idée dominante de sa conférence : à savoir que le Symbolisme n'est pas une école, qu'il admet au contraire, une quantité d'écoles, et des plus dissemblables. Et leurs adeptes eurent comme raison de vivre et de produire, une véritable foi dont l'émotion poétique constitua l'essence même.

L'ALLIANCE INTELLECTUELLE

L'intérêt que possédait le programme en lui-même, fut singulièrement accru par la présence d'un groupe d'écrivains et journalistes étrangers qui avaient été conviés par l'Alliance Intellectuelle à y assister : Des Anglais, Sir John Erwine, Clive Bell ; un Belge : Pierre Daye ; un Italien : Corrado Alvaro ; un Espagnol : Francisco Madrid ; des Suisses : Charles et Edouard Korrodi ; la Hollande, la Pologne, la Suède, le Danemark, le Brésil avaient également leur représentant. Un certain nombre d'écrivains français — et des plus notables — les accompagnait, et nous ne doutons pas — rien que pour avoir entendu, un matin dans le parc, quelques bribes d'une passionnante conversation entre François Mauriac et l'un de ces écrivains étrangers ? que l'Alliance Intellectuelle n'ait réussi, dès sa première manifestation, à atteindre le but du plus haut intérêt que Jacques de Lacretelle, son délégué général, se propose, avec l'appui du Haut Commissariat du Tourisme : « Favoriser les relations entre les écrivains de tous les pays ».

Tel était, du moins, le but que différentes déclarations nous avaient fait connaître. Mais demeure-t-il tout à fait le même aujourd'hui ? Cette question nous est venue à l'esprit en lisant sur des papiers officiels que les diverses manifestations consacrées au Cinquantenaire du Symbolisme avaient lieu « sous la présidence de l'Alliance Intellectuelle, pour le rayonnement de la France à l'étranger ». Notre intention n'est nullement de nous élever ici contre cette formule qui, en la circonstance, convenait parfaitement ni de nous élever contre ce qu'elle contient : On ne fera jamais assez, pensons-nous, pour propager le plus largement possible, à l'étranger, notre production intellectuelle. Notre remarque ne vaut que pour l'avenir, incontestablement brillant, qui est réservé à l'Alliance Intellectuelle. N'est-ce pas plutôt lorsqu'on se propose de « favoriser les relations entre les écrivains de tous les pays » que l'on parla à bon escient, d'alliance Une alliance n'existe, en effet, que si elle est, au moins bilatérale. Jusqu'à présent, du reste, dans le troc international des liens intellectuels, la France a donné plus qu'elle n'a reçu : C'est là, sans doute, un trait de son génie : Nous admirons plus un Shakespeare et un Cervantès que nous les connaissons. Car le symbolisme justement ! nous prouve, — de Lacretelle et Valéry ont insisté sur ce point — que nous avons dans l'influence des écrivains étrangers, plus à gagner qu'à perdre. C'est dains l’interréaction sans fin des arts appartenant à des temps et à des pays différents que réside la source la plus féconde de la vie des formes.

Après l'une des soirées du Cinquantenaire, nous avons aperçu au vestiaire l'un des écrivains étrangers. Figure étrange, comme il en est décrites dans les contes d'Andersen. Il donna son numéro et on lui remit un cache-nez orange qu'il noua sur son smoking. Comme nous aurions voulu le connaître, l'entendre parler, lui dont nous ignorons même le nom ! Nous avions peut-être aperçu l'un de ses livres dans la vitrine d'un libraire, mais... Et, en fait de paysages nordiques, nous ne connaissons que la baie de la Somme... S'il nous a fait à nouveau l'honneur d'accepter une invitation de l'Alliance, qu'on nous permette cette suggestion pour terminer : ne pourrait-on pas le prier de parler de son œuvre, de la littérature de son pays, pour le Grand Public.

André VEINSTEIN.