Le Viking de service, « Les propos du Viking », Bulletin de l'Union amicale des Bas-Normands, n°5, 1er trimestre 1935, p. 9
Vous savez que la Cie Générale Transatlantique vient de se faire construire, aux frais de la Nation, un magnifique paquebot qui a reçu le nom de notre province.
Le transatlantique Normandie ira donner de nos nouvelles, en juin prochain, à nos petits amis d'Amérique.
C'est le plus gros bateau du monde. En lui donnant le nom de la plus maritime des régions françaises on lui a donné une noblesse de plus.
Mais si nous avons donné à ce beau navire le droit de porter les deux léopards dans son blason, nous aimerions, en revanche, à lui voir nous témoigner quelque reconnaissance envers la Normandie dont il est désormais l'enfant.
Ce fils renierait il sa mère ?
On pouvait le craindre et notre excellent ami, M. Georges Laisney, en qualité de grand maître des Ecrivains Normands, a rédigé un libellé contresigné par de nombreux membres de cette association, libellé adressé à M. le Ministre de la Marine Marchande, et lui demandant fort courtoisement, mais très fermement, à ce que les décorateurs tiennent compte, dans leurs travaux, du nom même porté par le navire.
M. le Ministre a daigné répondre. Je ne sais pas trop ce qu'il a répondu, sa prose n'ayant pas été communiquée à la presse, mais je me suis laissé dire qu'il répondait tout en ne répondant pas.
Il semble avéré que rien sur le paquebot Normandie ne rappellera les grandes figures de Flaubert, de Corneille, de Remy de Gourmont, de Barbey d'Aurevilly, de Guillaume le Conquérant, roi d'Angleterre et duc ; de Rollon enfin qui est la plus magnifique figure de marin dont un navire puisse s'inspirer ! !
Il y aura, dit on, une Normandie terrestre, une Normandie avec un pot de crème et une touffe de foin, une Normandie paysanne qui pourrait être aussi bien la Beauce, la Picardie, l'Agriculture, ou la Paysanne.
Il y aura aussi des fresques avec les « cavaliers normands ». On pourra même apercevoir dans un coin quelques drakkars.
En sorte que le paquebot Normandie ne sera en définitive pas moins Normand que n'importe quel autre navire, mais il ne le sera guère davantage.
Deux artistes normands, deux seulement, Quibel et Le Trividic, ont été sollicités. On eût aimé en voir d'autres.
Paris a dans ses armoiries une espèce de caravelle qui n'ayant ja-ja-jamais navigué, n'a pas beaucoup de mérite à ne sombrer jamais. Est-ce une raison pour accaparer, au détriment des vraies régions maritimes, l'éclat qu'elles pourraient retirer d'une propagande intelligente à bord de paquebots portant leurs noms ?
Le Viking n'est pas content et il ne vous l'envoie pas dire.
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