Manoir de Mesnil-Villeman
Gavray (Manche) [1887]

Bonjour, ma chère adorée, je me suis levé assez tard. Vaguer par les jardins, me refamiliariser avec les choses, me reposer les yeux aux verts, aux pourpres, aux violets des feuilles, me mène jusqu'à 10 h. et je remonte vivre un peu avec toi, en cette chambre, au second étage, avec une vue de hêtres, de marronniers, de toutes sortes d'arbres qui sont mon horizon, où j'ai rêvé jadis, où je me retrouve comme étranger .

Manoir de Mesnil-Villeman
Samedi, 3 septembre1887

Il fait un affreux temps gris. Pourtant devant moi, le soleil, de temps en temps, entre deux nuages, illumine un grand laurier-palme aux feuilles vernies (Lettres à Sixtine).

Mesnil-Villeman - où il vint à huit ans - petit manoir entouré d'arbres et même d'arbres rares, comme vous en avez vu au jardin de Coutances : tuya gigantea, cèdre theodora, araucaria, velingtonia, etc. ; [...] surtout de magnifiques et harmonieux hêtres, dont un hêtre pourpre, et une avenue de châtaigniers et une de hêtres - un étang couvert d'algues vertes ; un colombier fort curieux, et surtout un jardin étonnant où tout fusionnait : fleurs, fruits, légumes - une multitude d'oiseaux nichant dans le bois voisin, et enfin, au bout de l'avenue de châtaigniers, une très vieille église qui, à mon avis, est antérieure, comme construction, à l'occupation normande. L'habitation en elle-même, sauf son toit Louis XVI, sa girouette et ses belles cheminées en briques rouges qui se reflétaient dans l'étang, n'avait guère de caractère. Pour la garder des vents d'ouest, on avait, en bordure de l'étang, planté des tuyas qui cachaient une vaste prairie formant parc et un horizon assez étendu vers la mer (lettre de H. de Gourmont, frère de Remy, au docteur P. Voivenel).

J'avais une dizaine d'années à cette époque, et je me souviens très bien du facteur apportant ces lettres quotidiennes de Sixtine [...]. Levé tôt, [Remy] travaillait dans sa chambre jusqu'à midi et couvrait de son écriture précise et sans ratures de nombreuses pages de papier. Je le revois dans cette petite chambre du Manoir, au second étage, à l'ombre d'un tilleul centenaire à travers les branches duquel on devinait le long ruban d'une avenue de hêtres en ogives, et dans le lointain l'église du village, l'église de Simone. Par une autre fenêtre, le regard tombait sur un jardin aux allées enchevêtrées d'arbres et d'arbustes, une sorte de paradou de lianes et de plantes sauvages qui déferlaient dans les sentiers comme des vagues, et, plus loin, au delà d'une terrasse que surplombait les palmes pleureuses des marronniers, un petit bois sacré, dont la masse de verdure intense se dessinait comme l'architecture d'une cathédrale sombre et gigantesque : on y entrait par une porte taillée dans l'extravagance des branches. Au fond de ce petit bois traversé par un ruisseau fragile au fond duquel les herbes couchées par le courant semblaient des chevelures soyeuses, Remy, détournant le lit de ce ruisseau, s'était, dans l'odorante argile, taillé une île, où il venait, Robinson volontaire et momentané, lire, écrire, jardiner aussi. Il y cultivait les idées, les rêves, les framboisiers aux baies sanglantes, les seringhas qui sentent l'amour, des fleurs, des feuilles et des branches (J. de Gourmont, Souvenirs sur Remy).

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