Je déplore trop « la grande absence » de Remy de Gourmont pour ne pas me réjouir que la collection Bouquins lui consacre enfin un volume. Il est regrettable qu'on ait attendu le cent cinquantenaire de la naissance de l'auteur de Sixtine, mais cela vaut mieux que d'attendre le centenaire (2015) de sa mort. Cela dit, Gourmont a-t-il le volume qu'il méritait ? La fatalité Gourmont ne frappe-t-elle pas une fois de plus celui qui, écrivain majeur, est aujourd'hui le plus « illustre inconnu » de la littérature française ?

Le titre, La Culture des idées, n'est guère heureux. Titre d'un des ouvrages recueillis dans le volume, il ne saurait désigner l'ensemble sans provoquer de confusion bibliographique. À vouloir le retenir malgré tout, comme révélateur de la manière Gourmont, il eût fallu le compléter d'une mention du type et autres textes, et autres dissociations, ou — encore plus gourmontien — et autres insinuations.

Là n'est pas le pis. J'ai dans l'idée qu'un Bouquins doit offrir une certaine unité (voir le catalogue de la collection), or ce volume est particulièrement disparate. Gourmont s'étant illustré dans tous les genres, rien n'interdisait de mettre en évidence cette diversité, mais à condition que chaque aspect de son talent soit représenté. Au lieu de cela, nous avons une sélection arbitraire et inane, qui noie, par exemple, les poèmes en prose de la Petite Ville dans les Promenades philosophiques et dans les textes « guerriers » de Pendant l'Orage. Plus grave, en reprenant la première série des Épilogues (1895-1898), on s'interdit la possibilité d'un volume futur qui serait entièrement consacré à ces « réflexions sur la vie » ou « sur les choses du temps », écrites par Gourmont, presque sans discontinuer, de 1895 à 1915.

On s'étonnera enfin que la bibliographie s'arrête à 2000, comme si depuis cette date il y avait un désert éditorial gourmontin. Or, au cours de cette période furent édités ou réédités un Cahier de l'Herne, Merlette, Sixtine, Une nuit au Luxembourg, Couleurs, Proses moroses, Un cœur virginal, L'Idéalisme, etc. Et même un roman inédit : Le Désarroi.

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De Charles Dantzig encore les éditions Grasset ont eu la bonne idée de rééditer l'excellente petite biographie : Remy de Gourmont. Cher vieux daim ! Mais pourquoi l'avoir sabotée en la désagrémentant d'une préface quelque peu déplacée et en grande partie illisible ? Cette préface est présentée comme ayant été écrite « de chic » : ex nihilo (...nihil) eût été plus approprié.

Quitte à faire une préface à cette réédition du premier livre de l'auteur, il eût été intéressant de savoir, l'ouvrage étant de commande, si c'était lui-même qui avait proposé Gourmont, ou s'il l'avait découvert à cette occasion. Une évocation de ses visites des lieux gourmontiens, de sa rencontre à Coutances (la Petite Ville) avec René Le Texier, le bibliothécaire de l'époque, eût été aussi la bienvenue.

Il suffit ! l'essentiel est que des textes majeurs de Gourmont soient de nouveau accessibles et que Cher vieux daim ! lui permette de gagner « quelques amateurs de plus ». Merci, monsieur Dantzig.

Ch. B.

P. S. : Une chose qui m'avait échappé est que Portrait d'une séductrice, par Jean Chalon a disparu dans l'édition Grasset. Dans la troisième édition (Livre de poche, 2015), allez savoir pourquoi, la préface est devenue postface.

Écrit à propos de :

— Remy de Gourmont, La Culture des idées, préface de Charles Dantzig, collection Bouquins, Robert Laffont, 2008.

— Charles Dantzig, Remy de Gourmont. Cher vieux daim !, Grasset, 2008.