La Nouvelle Littérature. 1895-1905, « Bibliothèque internationale d'édition »
E. Sansot & Cie, 53 rue Saint-André-des-Arts, 1906


DEUXIEME PARTIE

L'EVOLUTION DES GENRES

CHAPITRE I

LA CRITIQUE

[...] M. RÉMY DE GOUMONT — Essentiellement combative à ses débuts, la critique symboliste a fait ses preuves. L'emphase brusque et mélancolique de Bernard Lazare, les paradoxes de morale dionysienne de Hugues Rebell, l'érudition appliquée et impartiale de Robert de Souza, la virulence orfévrée de Laurent Tailhade, l'impertinence amusée et la finesse de Mme Rachilde, la subtilité de M. Gustave Kahn, le nietzscheïsme spirituel de M. André Gide, la netteté et l'émotion contenue de M. Henri de Régnier, les théories guelfes de M. Georges Polti ont assuré au Mercure de France, et à l'Ermitage, après la Vogue de Gustave Kahn et la Revue Indépendante d'Edouard Dujardin, une place importante dans le mouvement des idées.

M. Remy de Gourmont s'est placé à part. Il s'est fait le défenseur de la liberté des mœurs et de celle du style. Il est l'homme de la cité des livres. Parce qu'il craint de tomber dans la sensiblerie, il manque, parfois de sensibilité, mais il est d'autre part, un des rares hommes qui sachent raisonner aujourd'hui. A son propos quand on a parlé de l'influence nietzschéenne, il a fait remarquer très justement que Nietzsche n'aurait pas eu tant de succès, si sa pensée n'avait été pensée par des esprits orientés déjà comme le sien, si Zarathoustra n'avait été la traduction de la pensée d'une génération.... L'anarchisme souriant, la logique rigoureuse, le bon goût sceptique de M. Rémy de Gourmont contre-balancent bien des sectarismes. Il est comme la synthèse de la libre recherche. Son Problème du Style, ses Epilogues, qui ont une force durable, sa Culture des Idées, son Esthétique de la Langue Française ont des grâces saines, un aspect de vérité riante qu'on n'a pas coutume de rencontrer en de tels sujets. M. Rémy de Gourmont prend à tâche de nous faire aimer tout ce avec quoi les pédants nous brouillèrent. Son érudition de bon aloi et sans lourdeur sait être aimable avec ironie. Il craint de croire et, pourtant, il parle des poètes avec passion. Ses Livres des Masques — trop élogieux sans doute ; il le fallait alors — sont un document autant pour leur date que par l'habileté de la forme. La critique ici nous découvre des beautés souvent inaperçues. M. Rémy de Gourmont est au-dessus des questions politiques qu'il méprise et son atavisme de noblesse terrienne lui donne quelque impertinence à cet égard. C'est l'homme qui dans la déroute des aristocraties est demeuré fidèle à celle de l'art, obstinément. Son éthique est celle de la Préface de Mlle Maupin ; l'art jamais ne doit être utilitaire.

Dans un sens différent, MM. Maurras et Ernest-Charles s'opposent à M. Rémy de Gourmont.

pp. 54-56.


Echos

Jean de Gourmont, « Littérature », Mercure de France, 15 janvier 1907, pp. 321-322