1. « La reine de Saba à Paris », Le Gaulois du dimanche, 24 avril 1920
2. « Dialogue des Amateurs sur le Mercure de France » [à vérifier], Le Gaulois, 10 juillet 1920
3. « Prosper Mérimée et Remy de Gourmont », Le Gaulois, 25 septembre 1920
4. « Méditations sur Remy de Gourmont », Le Gaulois, 15 octobre 1921
5. « Sur Remy de Gourmont », Le Monde nouveau, novembre 1921
6. « Remy de Gourmont lu un 2 août », Imprimerie gourmontienne, n° 7, 1923
7. Remy de Gourmont. Son œuvre. Portrait et Autographe. Editions de La Nouvelle Revue Critique, 1925
8.

1. « La reine de Saba à Paris », Le Gaulois du dimanche, 24 avril 1920

M. Legrand-Chabrier nous raconte, dans le Gaulois du Dimanche la visite récente qu'il fit à la Reine de Saba :

Elle est à Paris, très modestement, mais de façon b!en réelle en ce sens que c'est en effigie, sous forme picturale, sous aspect assez particulier. Je vais révéler son logis actuel, d'ailleurs passager, — le temps d'une brève exposition d'art abyssin. Voici l'adresse 71, rue des Saints-Pères.

— Ah ! direz-vous en lecteur averti des choses du monde littéraire et de l'édilité parisienne, voilà une maison où quelque jour l'on devra bien faire apposer cette plaque commémorative : Ici habita et mourut Remy de Gourmont, qui fit honneur à l'esprit humain et à la pensée française.

En effet, et son souvenir vivace, mesuré, érudit hante ces lieux. Il semble qu'on va encore le voir en personne filer le long du mur de la cour pour gagner la rue, cette rue qui va au quai où il aimait tant vivre, les doigts aux bouquins et l'esprit en vibration encyclopédique.

Au fond de cette cour, il y a la pittoresque imprimerie de François Bernouard, pétulant poète et typographe tumultueux de tradition et d'invention en son art. C'est dans une petite salle à côté qu'il a offert asile à la reine de Saba.

Aussi Remy de Gourmont n'aurait manqué de traverser la cour et de venir à la reine de Saba comme un Salomon lui rendant sa visite. Hélas ! nous n'aurons pas, conçu de cette audience un autre livre de la même veine que les Lettres à l'Amazone ou les Lettres d'un Satyre. On peut le rêver,avec regret. Il serait plus difficile de l'écrire pour lui, même en le pastichant, ce qui est moyen, assez pratique mécaniquement, d'imiter.

C'est qu'il était plein d'une sagesse qui n'avait point besoinde s'évader de la bibliothèque pour rentrer dans la vie. Auprès d'un livre, il vivait normalement, avec son dru tempérament. Il n'avait point du tout la fiche impersonnelle, comme tant de bibliomanes. Il portait en lui, et chacun de ses gestes s'en ressent naturellement, une âme vraiment universelle, non point fardée et surchargée de culture, mais nourrie, ce qui est bien plus rare et autrement précieux.

Remy de Gourmont serait donc venu à la reine de Saba, un peu comme elle-même vint à Salomon, sans le cortège toutefois avec lequel « icelle entra en Jérusalem avec grandes compagnies, et richesses et chameaux portant oignements aromatiques, et de l'or sans nombre, et des pierres précieuses ». Il serait venu somptueusement riche de son seul esprit. N'auraient-ils pu échanger le propos : « La parole est véritable que j'ai ouïe en ma terre de tes paroles et de ta sapience. Moi-même je suis venue. Je l'al vu de mes yeux. J'ai expérimente que la moitié ne m'a pas été annoncée. Ta sapience et tes œuvres sont plus grandes que ta renommée que j'ai ouïe. »

Ce ne furent pas là vains compliments hyperboliques. La reime de Saba proposa au roi de Jérusalem des énigmes dignes de celles que posait en un autre lieu le Sphinx terrible et ironique. Il les résolut victorieusement. II prit aussi plaisir extrême à l'entendre conter des histoires avoureuses et profitables, comme plus tard en contera Sheherazade, dont la reine de Saba est certainement l'ancêtre au domaine des mythes et légendes.

Et ils se séparèrent, enchantés l'un de l'autre, car ils prirent garde de ne point attendre le temps de leur réciproque désenchantement... du moins, je le pense ainsi — à la manière de Gourmont sceptique.

La reine de Saba, qui est en ce moment rue des Saints-Pères, explique M. Legrand-ChabrIer, n'est ni biblique, ni koranique, mais éthiopienne. C'est son histoire, selon la tradition abyssine, qu'un peintre de ce pays, Ato Mikaël N' Guedaorth,a pieusement tracée en quelques tableaux.

R. DE BURY.

(« Les journaux », Mercure de France, 15 mai 1920, p. 238-239)


4. R. de Bury, « Les Journaux », Mercure de France, 15 novembre 1921

Méditations sur Remy de Gourmont (Le Gaulois, 15 octobre).

Le mois dernier a vu revenir la date anniversaire de la mort de Remy de Gourmont, 28 septembre 1915. « Cela vaut bien une méditation », note M. Legrand-Chabrier dans le Gaulois. Remy de Gourmont, écrit-il, fut un de nos maîtres d'hier. Et il peut le rester aujourd'hui :

Certes, il eut un esprit souple et sceptique, flattant toutes les théories et en lequel, par suite de ce tempérament encyclopédique, on peut trouver une actualité perpétuelle. Mais ce n'est qu'une apparence, et selon des détails. Elle le rend accessible. Elle nous conduit à l'âme même de l'homme et de l'œuvre, qui est une ferme et savante conviction en la doctrine de l'humanisme.

Or, n'estimez-vous pas qu'un humaniste est un type d'homme dont la mentalité est assez précieuse et exemplaire pour ne point la laisser méjuger par les impatientes jeunes générations, trop sûres d'elles-mêmes et trop impétueuses en leurs actes ?

C'est un témoin de civilisation. On le retrouve à toutes les époques de l'histoire. Il renaît sans cesse. Il y aura d'autres Remy de Gourmont, comme il ne fut pas le premier. Mais il ne faut pas rompre cette chaîne spirituelle. Leur énumération nominale en la littérature français sonnerait clair, litanie d'activité cérébrale, d'observation judicieuse et malicieuse, de propos plaisants, de morale tolérante, d'intelligence déliée. Leur commun esprit est celui de l'honnête homme, tel qu'on l'entendait par cette expression au dix-septième siècle, et aussi, il faut bien le dire, du libertin, mais encore au sens tout spirituel du grand siècle.

Ouverte à toutes les constatations comme à toutes les conceptions, par volonté, il ne se limite dans sa curiosité générale que par un goût de maîtrise de soi, qui l'avertit sur le point de devenir le prisonnier de telle curiosité particulière. Par tactique, il cultive la méthode de la contradiction et du paradoxe, qui peut devenir le remède. Il craint à la fois le mysticisme et le naturalisme, qui sont, à son opinion, des signes de tyrannie sentimentale ou corporelle. Il se juge susceptible d'avoir un avis sur tout et ne se fait point faute de le donner. Il demeure, par son attitude, l'expression la plus sympathique de l'individualisme.

La fréquentation d'un Remy de Gourmont nous aide à comprendre la qualité d'un esprit de ce genre et à nous donner les preuves de sa nécessité dans un monde qui n'a point encore divorcé d'avec l'intelligence... du moins le devons-nous espérer.


6. « Remy de Gourmont lu un 2 août », Imprimerie gourmontienne, n° 7, 1923

Remy de Gourmont lu un 2 Août

En ce jour d'anniversaire, haïssable malgré toute victoire qu'est pour nous le 2 Août — où tout un peuple se trouva soudain soumis au régime de la mobilisation pour la dévotion à sa patrie jusqu'à la mort, où tout homme d'esprit libre se sentit devenu le jouet fatal de la machine à tuer et à décerveler... ils n'en mourraient pas tous, mais tous étaient frappés... lancée dans l'aveugle catastrophe par des mécaniciens ivres de leur instrument et glorieux de la puissance probable qu'il aurait en mouvement — j'ai voulu relire l'œuvre de Remy de Gourmont publiée depuis cette date.

A ce jour du 2 août 1922, elle se compose de quatre volumes de petit format, celui de la poche : les Idées du jour, en deux tomes, Dans la Tourmente, publiés chez Crès, Pendant l'Orage, parue au Mercure de France, d'un volume format ordinaire : Pendant la guerre, édition du Mercure de France, et du recueil récent de chez Crès : Petits Crayons qui sont d'avant-guerre.

Re-lecture bien émouvante selon l'ordre de l'intelligence. On y est en contact avec un humoriste parfait, lucidement affolé devant l'événement. Le mot affolé n'est nullement péjoratif en ma pensée. Il marque la réaction naturelle d'un esprit foncièrement pacifique en ses mœurs, et qui n'a point cultivé, pour tel cas échéant, la brutalité de son corps non moins foncière, et si utile pour lui-même à cette heure. C'est le désarmé par excellence.

Désarmé volontaire, comme par anticipation d'un monde meilleur, ou bien par conscience d'une infériorité physique consentie ? L'ascète est un athlète de la pensée, et l'ascétisme est sans doute un sport. Gourmont tire tout à l'esprit et ne s'exerce qu'à l'esprit. Il en prend la sérénité souveraine du sage, qui est une passion, dans tous les aspects du terme. Et voici l'épreuve inouïe.

Il ne faut pas craindre de se citer soi-même. Pourquoi rechercher d'autres phrases pour exprimer une idée dont la formule vous satisfait toujours ? J'ai écrit dans l'esquisse que j'ai tentée d'un Remy de Gourmont d'ensemble au Monde Nouveau, en novembre 1921 :

« Certes, il s'arc-boute sous la terreur ahurissante. S'il vacille quelquefois, et à peine, c'est preuve d'un humanisme n'ayant pas desséché son humanité. Puis, de même que le bon pape mystique avait succombé à un tel assaut des puissances infernales, de même, un peu plus tard, l'homme de raison soudain tombe, le corps rompu. Inconscients et spontanés suicides moraux dont nous devons sentir le sublime, nous autres qui avons résisté, assez médiocrement, et grâce à cette médiocrité même. »

Je ne m'en dédis pas.

Et ce n'est pas cette lecture anniversaire qui m'inciterait à ce revirement, au contraire.

Les quatre bouquins de poche forment une sorte de journal intellectuel à la fois destiné à soi et au public. Un Remy de Gourmont ne consent pas à écrire pour le public quelque chose qui serait contraire à sa pensée, mais peut-il, vu l'état matériel où le tient la guerre, être totalement explicite ? Je ne le pense pas. Et c'est pourquoi je feuillette volontiers et souvent ces précieux livrets comme une suite singulière de Fables quotidiennes, pleines d'une morale pas toujours exprimée, mais que la clé d'ironie révèle entière.

L'ironie sape merveilleusement toute tyrannie. On peut regretter d'avoir à l'employer puisqu'elle n'existe qu'en fonction de cette tyrannie. Sans tyrannie, l'ironie serait pure sécheresse destructive. Vis à vis d'elle, c'est un instrument nécessaire de défense. Gourmont est un subtil et douloureux fabuliste des premiers temps de la guerre.

Relisez en pensant à ma définition. Vous serez surpris de la force constante et persistante qu'en prendra telle ou telle page, qui semble une notation éphémère. Surpris, mais pas étonné. Car enfin il y a le tout Gourmont d'avant-guerre, qui a préparé cette sève drue et rare, et qui demeure tout de même l'œuvre de l'humaniste en liberté... son vrai royaume.

Or, justement, Petits Crayons, c'est un recueil de Fables du même genre, mais antérieures à 1914, et, par suite marquées à l'enjouement d'un libre esprit. Et c'est de la plus délicieuse délicatesse dans la forme menue et brève. Et c'est de la même force intérieure de l'idée en ses jeux prévus et imprévus. Le Songe brisé, en préface, donne le ton admirablement : « J'y appris que les choses faisaient tout aussi bien à l'envers qu'à l'endroit et que c'est une grande duperie de passer à les redresser même un instant de vie, même un instant de songe. » Cette philosophie générale du livre raccommode avec la paix, quelle qu'elle soit, qui vaut mieux que tout au monde... peut-être !

LEGRAND-CHABRIER.


7. Remy de Gourmont. Son œuvre. Portrait et Autographe. Editions de La Nouvelle Revue Critique, 1925

TABLE DES MATIERES
I. Quelques dates biographiques
II. Iconographie picturale
III. Iconographie littéraire
IV. La Chasse au Bonheur
V. Où Remy de Gourmont essayiste apparaît romancier
VI. Où Remy de Gourmont essayiste apparaît critique
VII. Remy de Gourmont sous la guerre
VIII. Remy de Gourmont, humaniste permanent
IX. Bibliographie de Remy de Gourmont


Envois :

coll. Bernard Bois

« La vie littéraire. Remy de Gourmont sous la guerre », Comœdia, 30 juin 1925 p. 4