Mikaël Lugan

1. « Une réédition du Livre des masques de Remy de Gourmont », Les Féeries intérieures, blog de Spiritus [Mikaël Lugan], lundi 2 juillet 2007

Il a fallu attendre plus de quarante ans pour que soient à nouveau réunis, en un seul, les deux volumes des « portraits symbolistes / gloses et documents sur les écrivains d'hier et d'aujourd'hui », publiés en 1896 et 1898 par Remy de Gourmont, sous le titre : Le Livre des Masques. C'est le Mercure de France, l'éditeur originel, qui, en 1963, avait pris l'initiative d'agglomérer les deux ouvrages. Depuis longtemps épuisé, les Editions Manucius ont eu la bonne idée de demander à Daniel Grojnowski, éminent spécialiste de la littérature fin-de-siècle, de réitérer l'entreprise, en l'enrichissant d'un appareil scientifique (préface et notes).

Les recueils de portraits contemporains étaient à la mode à la fin du XIXe siècle et l'auteur de Sixtine ne fut pas le premier à s'illustrer dans ce genre. Il y eut, avant Le Livre des Masques, les Portraits du prochain siècle, argumentés par Paul-Napoléon Roinard et édités, à petit nombre, par le bibliophile et amateur éclairé de poésie, Edmond Girard. Mais c'était l'œuvre de plusieurs et nombreux écrivains — dont Remy de Gourmont lui-même — et non d'un seul. Il y eut aussi, moins célèbre, les Figures contemporaines : ceux d'aujourd'hui, ceux de demain, de Bernard Lazare, qui présentait aux lecteurs des auteurs déjà connus, pour la plupart célèbres, en 1895, année de parution du volume.

Le projet de Remy de Gourmont se démarque nettement de ses prédécesseurs. En effet, il s'occupe assez peu des gloires littéraires de son temps et laisse toute place aux jeunes et à leurs maîtres (Mallarmé, Villiers de l'Isle-Adam, Verlaine, Rimbaud, Lautréamont, et d'une certaine manière, les Goncourt et Hello). Car, il s'agit avant tout d'approcher une définition du mouvement symboliste par l'étude des œuvres de ceux qui s'y rattachent. Le symbolisme, qu'est-ce ? Remy de Gourmont y répond dès sa préface : « c'est, même excessive, même intempestive, même prétentieuse, l'expression de l'individualisme dans l'art ». Et, si l'on trouve, au cours de la lecture, bien des points communs attendus entre tous ces poètes et romanciers : la recherche de musicalité, la prééminence de la suggestion sur l'analyse, le goût pour le symbole, etc., ce qui se dégage finalement et surtout de ces pages, c'est un intérêt partagé pour la liberté individuelle. Il n'existe pas de dogme symboliste, pas plus que d'école du même nom ; le vers libre ne fut pas une règle nouvelle ; Gustave Kahn, Henri de Régnier, A.-Ferdinand Herold ou Francis Vielé-Griffin l'employèrent différemment ; Albert Samain, Ephraïm Mikhaël et Pierre Quillard n'usèrent que du vers classique ; quand Paul Fort ou Saint-Pol-Roux préférèrent s'illustrer dans le poème en prose. Plus qu'à une libération de la forme poétique, c'est à une ouverture considérable du champ de la poésie, que nous convient les symbolistes. La poésie cesse d'être un genre littéraire réservé, elle est partout : dans le roman (Rachilde, Poictevin, Eeckoud), dans le théâtre (Materlinck, Claudel), autant que dans les recueils dits de poèmes. Et c'est bien cette unité qu'illustrent les masques dessinés par Vallotton : tous dissemblables, mais jouant des mêmes contrastes de noir et de blanc, ils se posent, sans la dissimuler, sur la même haute idée de la littérature, disons plutôt, de la poésie.

Parmi les nombreux portraits brossés par Remy de Gourmont, celui de Saint-Pol-Roux est resté célèbre, consacrant le poète, avant Breton et les surréalistes, « l'un des plus féconds et des plus étonnants inventeurs d'images et de métaphores », et dressant un catalogue amusant de quelques-unes de ses images, catalogue paresseusement repris par de nombreux commentateurs, à sa suite. Le masque du Magnifique a d'abord été publié dans le numéro du 15 septembre 1896 de la Revue des Revues de Jean Finot. A cette date, Saint-Pol-Roux a déjà fait paraître, sous son pseudonyme définitif, quatre œuvres : trois pièces de théâtre (L'Ame noire du Prieur blanc, L'Epilogue des Saisons humaines, au Mercure de France, et Le Fumier dans trois livraisons de la Revue Blanche) et un recueil de poèmes en prose, Les Reposoirs de la Procession (Mercure de France, 1893). Remy de Gourmont, pour son étude, n'a retenu que ce dernier, passant sous silence l'œuvre dramatique pourtant plus conséquente. Sans doute, l'unité du recueil, bien accueilli par les petites revues, lui aura-t-il permis de mieux cerner l'originalité et la manière du poète. Par ailleurs, l'auteur du Livre des Masques, contrairement à ce qui a longtemps été dit, n'inaugure pas une approche nouvelle de la poésie de Saint-Pol-Roux. Il reformule brillamment la lecture que nombre des contemporains avaient pu faire à l'époque de la parution des Reposoirs. Dans La Revue Blanche (février 1894), Lucien Muhlfeld avait déjà décrit le recueil : « Ce sont des images, des images riches. Même aux esquisses où il s'amuse, Saint-Pol-Roux met toute sa palette, et quelle palette ! »; puis, Louis Lormel, dans l'Art littéraire (juin 1894) : « ces poèmes en prose sont d'une langue neuve et bigarrée où tout se traduit en images »; enfin, Marc Legrand, dans L'Ermitage (juin 1894), donna un compte rendu qui annonce, en bien des points, le masque, signé Remy de Gourmont :

« Ouvrez la Rhétorique du bon J.-V. Leclercq au chapitre des Figures, relisez les définitions de la métaphore, de l'allégorie, de la métonymie, de la synecdoque, de l'antonomase, de la catachrèse et de la périphrase, — de la première et de la dernière surtout, — et s'il vous prend envie d'en renouveler les exemples, puisez à loisir dans les Reposoirs de la Procession.

Là, en fait de métaphores, si les moulins ont des « ailes », les charrues ont des « nageoires » ; une troupe de corbeaux est un « cimetière qui a des ailes » ; (...) Une carafe d'eau pure n'est autre chose qu'une « mamelle de cristal affirmant la merveille de son eau candide ».

[...] Ailleurs le mot serrure est remplacé par « nombril de fer de la porte ». [...] « Le Sommeil » est tourné par : « l'Imagerie qui ne se voit que les yeux clos ». [...] Point de moutons, mais des « quenouilles vivantes ». [...] L'heure sonne-t-elle minuit ? « Les ecclésiastiques cyclopes de pierre, à l'œil horaire, psalmodient l'alexandrin de bronze sur les choses. » [...] Une demoiselle joue-t-elle du piano ? Elle « apprivoise avec ses doigts fuselés la mâchoire, cariée de bémols, d'une tarasque moderne ».

[...] Un livre qui contient le Pèlerinage de Sainte-Anne, l'Autopsie de la vieille fille, les Sabliers, l'Arrosoir de larmes, etc., enchantera les âmes simples et satisfera les esprits curieux et plus avertis. »

Que l'on compare, à présent, avec le masque de Saint-Pol-Roux, que brosse Remy de Gourmont :

« L'un des plus féconds et des plus étonnants inventeurs d'images et de métaphores. Pour trouver des expressions nouvelles, M. Huysmans matérialise le spirituel et l'intellectuel, ce qui donne à son style une précision un peu lourde et une clarté assez factice : des âmes cariées (comme des dents) et des cœurs lézardés (comme un vieux mur) ; c'est pittoresque et rien de plus. Le procédé inverse est plus conforme au vieux goût des hommes de prêter aux choses de vagues sentiments et une obscure conscience ; il reste fidèle à la tradition panthéiste et animiste, sans laquelle il n'y aurait de possible ni art ni poésie : c'est la profonde source où viennent se remplir toutes les autres, eau pure que le moindre soleil transforme en pierreries vivantes comme les colliers des fées. D'autres « métaphoristes », tel que M. Jules Renard, se risquent à chercher l'image soit dans une vision réformatrice, un détail séparé de l'ensemble devenant la chose même, soit dans une transposition et une exagération, des métaphores en usage (1) ; enfin il y a la méthode analogique selon laquelle, sans que nous y coopérions volontairement, se modifie chaque jour la signification des mots usuels. M. Saint-Pol-Roux amalgame tous ces procédés et les fait tous concourir à la fabrication d'images qui, si elles sont toutes nouvelles, ne sont pas toutes belles. On en dresserait un catalogue ou un dictionnaire :

Sage-femme de la lumière veut dire : le coq
Lendemain de chenille en tenue de bal : papillon
Péché-qui-tette : enfant naturel
Quenouille vivante : mouton
La nageoire des charrues : le soc
Guêpe au dard de fouet : la diligence
Mamelle de cristal : une carafe
Le crabe des mains : main ouverte
Lettre de faire part : une pie
Cimetière qui a des ailes : un vol de corbeaux
Romance pour narine : le parfum des fleurs
Le ver à soie des cheminées : ?
Apprivoiser la mâchoire cariée de bémols d'une tarasque moderne : jouer du piano
Hargneuse breloque du portail : chien de garde
Limousine blasphémante : roulier
Psalmodier l'alexandrin de bronze : sonner minuit
Cognac du père Adam : le grand air pur
L'imagerie qui ne se voit que les yeux clos : les rêves
L'oméga :
Feuilles de salade vivante : les grenouilles
Les bavardes vertes : les grenouilles
Coquelicot sonore : chant du coq

Le plus distrait, ayant lu cette liste, jugera que M. Saint-Pol-Roux est doué d'une imagination et d'un mauvais goût également exubérants. Si toutes ces images, dont quelques-unes sont ingénieuses, se suivaient à la file vers les Reposoirs de la Procession où les mène le poète, la lecture d'une telle oeuvre serait difficile et le sourire viendrait trop souvent tempérer l'émotion esthétique ; mais semées çà et là, elles ne font que des taches et ne brisent pas toujours l'harmonie de poèmes richement colorés, ingénieux et graves. Le Pèlerinage de Sainte-Anne, écrit tout entier en images, est pur de toute souillure et les métaphores, comme le voulait Théophile Gautier, s'y déroulent multiples, mais logiques et liées entre elles : c'est le type et la merveille du poème en prose rythmée et assonancée. Dans le même tome, le Nocturne dédié à M. Huysmans n'est qu'un vain chapelet d'incohérentes catachrèses : les idées y sont dévorées par une troupe affreuse de bêtes. Mais l'Autopsie de la Vieille Fille, malgré une faute de ton, mais Calvaire immémorial, mais l'Ame saisissable sont des chefs-d'œuvre. M. Saint-Pol-Roux joue d'une cithare dont les cordes sont parfois trop tendues : il suffirait d'un tour de clef pour que nos oreilles soient toujours profondément réjouies.

(1) Dire, par exemple, joue en fruit, parce que l'on dit une joue en fleur, pour vermeille. Cf. Alfred Vallette, Notes d'esthétique : Jules Renard (Mercure de France, t. VIII, p. 161). »

Il revient donc à Remy de Gourmont d'avoir synthétisé la réception symboliste des Reposoirs de la Procession et d'avoir, pour longtemps, déterminé l'approche de la poésie idéoréaliste. Il faudra attendre 1925 et l'Introduction au discours sur le peu de réalité d'André Breton, pour que la lecture de l'œuvre de Saint-Pol-Roux se modifie sensiblement. S'en prenant, sans le nommer à l'auteur du Livre des Masques, le fondateur du surréalisme imposait une nouvelle conception de la poésie, focalisée sur les pouvoirs de l'image, qui ne pouvait être une simple traduction de la réalité (Non, monsieur, ne veut pas dire...), mais sa transfiguration et le signe d'une surréalité.


2. « Et surtout, méfiez-vous des jeunes filles : Un cœur virginal de Remy de Gourmont », Les Féeries intérieures, blog de Spiritus [Mikaël Lugan], jeudi 19 juillet 2007

Des ouvrages de la bibliothèque de Saint-Pol-Roux, conservés à la Bibliothèque Municipale de Brest, beaucoup datent des dernières années de la vie du poète. Mais quelques-uns témoignent d'amitiés et relations littéraires anciennes. Parmi ceux-ci, deux volumes de Remy de Gourmont : La Culture des Idées (Mercure de France, Paris, 1900) et Un cœur virginal (Mercure de France, Paris, 1907), chacun orné d'un envoi de l'auteur qui dit bien le respect dans lequel se tenaient les deux hommes (cf. photo ci-contre, aimablement communiquée par la BM de Brest).

Ces deux titres gourmontins sont justement dans l'actualité. URDLA vient de republier « La dissociation des idées », l'un des chapitres de La Culture des Idées ; et les éditions du Frisson Esthétique redonnent à lire, en un charmant volume à la couverture vert d'eau, élégamment paré d'illustrations d'Armand Rassenfosse et de bois gravés de P.-Eug. Vibert, Un cœur virginal.

C'est le dernier roman de Remy de Gourmont, qui clôt la boucle initiée avec Merlette (1886). D'abord paru, en feuilleton, dans quatre livraisons du Mercure de France, du 15 décembre 1906 au 1er février 1907, il est publié en mars, avec, « insigne hommage », précise Christian Buat : « une couverture illustrée par Georges d'Espagnat ». Celle de la réédition au Frisson Esthétique, pour être moins chargée, n'en est que plus troublante.

Car elle est troublante cette histoire des amours printanières de la jeune Rose des Boys qui tourne la tête à l'expérimenté M. Hervart, entomologiste amateur, observateur minutieux des êtres — femmes ou insectes — et de leur comportement amoureux :

Qu'elles soient des femmes, qu'elles soient des bestioles, l'amour pour elles, est toute la vie. Les lygées vont mourir, leur oeuvre accomplie, et les femmes commencent à mourir à l'heure de leur premier baiser... Elles commencent aussi à vivre. C'est beau, le spectacle de ces jeunes filles qui veulent vivre, qui veulent remplir leur destinée, et qui ne savent pas, et qui cherchent, avec des sanglots, leur chemin dans la nuit...

Il y a, bien sûr, quelque chose de Remy de Gourmont lui-même, chez M. Hervart... mais il faudrait lui adjoindre l'autre personnage masculin, Léonor Varin, jeune architecte, qui prendra la place du premier et que Rose finira par épouser, pour que l'auteur apparaisse plus sûrement — encore qu'incomplet. Ce sont, en effet, les nombreux monologues intérieurs des deux « prétendants » qui lui permettent d'analyser cet obscur objet du désir : la jeune fille. Dans sa postface, Nicolas Malais montre combien « le goût de la jeune fille » a inspiré une grande part de l'œuvre narrative gourmontine. La vierge se trouve déjà dans Merlette, elle est l'héroïne de plusieurs des Histoires magiques et de contes de D'un pays lointain ; « la jeune fille d'aujourd'hui » est aussi l'objet d'un long article publié dans le Mercure de France d'octobre 1901 et repris dans Le Chemin de Velours. Gourmont s'y confiait : « Je les aime ainsi, je l'avoue, n'ayant jamais demandé aux femmes que d'être de belles fleurs ! » Aussi notre cœur virginal se prénommera-t-elle Rose.

Si, des proses symbolistes à ce dernier roman, le style a changé, l'obstination de l'auteur à percer ce mystère féminin, demeure ; on pourrait même dire que le sujet a fini par imposer le style qui lui convenait le mieux. « Clarté et simplicité, telles sont les qualités qui constituent le génie de notre belle langue », avait répondu une jeune fille à l'enquête d'Olivier de Tréville (Les jeunes filles peintes par elles-mêmes, 1901) que commenta Gourmont dans son article. Et Un cœur virginal semble effectivement avoir été écrit en toute « clarté et simplicité ». Candeur, naïveté, innocence, la forme du roman pourrait ressembler à son héroïne, si la part d'obscurité — la sexualité —, à laquelle s'éveille progressivement Rose et sur laquelle achoppe l'intelligence des deux personnages masculins, ne faisait imploser, sous les à-coups de la perversion et de l'érotisme, l'apparente bluette. Cœur et corps, telle est la jeune vierge... de son esprit, il en est peu question, même si elle n'en est pas dénuée. D'ailleurs, ils sont rares les monologues intérieurs de Rose, comparativement à ceux d'Hervart et de Léonor, incessants analystes, tour à tour péremptoires et indécis, sur les vues desquels Remy de Gourmont ironise parfois — tant elles manquent, la plupart du temps, leur objet. Le mystère de la jeune fille est, par essence, intouchable ; et le déflorer nécessite pourtant d'y porter la main, mais alors il s'évapore et laisse place à la femme connue. Les hardiesses insatisfaites d'Hervart suffisent à altérer l'innocence de Rose :

Et elle tâtait son corps, des pieds à la tête, comme pour le reprendre aussi. Elle aurait voulu le presser, le tordre pour en faire couler toutes les caresses, tous les baisers qui s'étaient insinués dans sa peau, qui avaient pénétré dans ses veines, qui avaient sensibilisé ses nerfs. [...]

Je suis déshonorée, se disait-elle. Suis-je une jeune fille ?

Atteinte dans son intégrité corporelle, Rose l'est également dans son identité. « La jeune fille ignore le mal. Elle est un ange. Mais un ange terrestre et fragile qui peut se casser les ailes », avait écrit Remy de Gourmont dans son article de 1901. Rose, connaissant le mal, n'est déjà plus une jeune fille et, comme la Douceline de « Péhor » des Histoires Magiques, elle est proche de sombrer dans la folie :

Les crises, certains soirs, étaient très vives. A peine était-elle entrée dans sa chambre qu'il lui semblait recevoir comme une injonction impérieuse de se mettre nue et d'aller se regarder dans la glace. Là, elle écrasait sous ses fébriles mains ses seins et ses hanches, elle flattait de hâtives caresses son ventre, ses membres, ses épaules. Puis, elle se sentait soulevée et portée dans son lit, à la merci du démon luxurieux.

(Un cœur virginal est comme la synthèse des productions narratives de Remy de Gourmont ; roman de la vie cérébrale, analyse psychologique et physiologique comme certains des premiers contes — on retrouve des développements de « l'automate » (1889), hérités de Ribot, page 89 —, l'histoire de Rose est celle de toutes les jeunes filles qui hantent, depuis Merlette, la prose gourmontine.)

Mais la dernière héroïne romanesque de Remy de Gourmont, contrairement à Douceline, prisonnière définitive des étreintes de son incube, échappe aux « contacts imaginaires », en tombant « dans les bras ouverts » de Léonor, « son exorciste », — remplaçant et double positif d'Hervart — rejouant ainsi une scène primitive, du temps où, justement, elle était encore jeune fille.

Rose ne se souvint jamais qu'elle était tombée ainsi dans l'escalier de la tour vers les bras de M. Hervart. Elle oublia tout entière la première aventure de son cœur abusé et de ses sens troublés.

Exit Hervart. Introït Léonor. Jeune fille d'aujourd'hui, Rose des Boys, n'aspire pas à la liberté; « elle aspire à l'amour, tout simplement ». Elle est conforme à toutes ces vierges interrogées par Olivier de Tréville, respectueuse de la morale, fidèle aux institutions, rêvant mariage. Un cœur virginal nous livre un portrait essentiel de « jeune fille 1900 », à la fois charmant d'ingénuité et troublant de perversité. « Ce sont des cruches, — de délicieuses cruches, des amphores ! », avait écrit Remy de Gourmont dans son article, ajoutant :

Mais dès qu'il est question de tout ce qui est l'essence de la féminité, l'amphore redevient une belle jeune fille à la gorge émue et aux yeux inquiets.

Mystère féminin — que réinterrogeront les surréalistes, quelques années plus tard, sous les espèces de la femme-enfant —, à la gorge émue/émouvante et aux yeux inquiets/inquiétants, Rose des Boys est la grande soeur de toutes les lolita à venir..

Lisez vite ce beau roman qu'est Un cœur virginal, et surtout, méfiez-vous des jeunes filles...


3. « Gourmont, la Nación & Julio Piquet », Actualité de Remy de Gourmont, « Les Cahiers » I, Editions du Clown lyrique, 2008, p. 371-375

4. Mikaël Lugan, « Quelques outils pour le chercheur & l'amateur : les bibliographies de petites revues », Les Féeries intérieures, samedi 6 juin 2009

5. Histoires hétéroclites, suivi du Destructeur, textes Remy de Gourmont, recueillis par Christian Buat & Mikaël Lugan ; postface de Mikaël Lugan, Les Ames d'Atala, 2009


Autres écrits :

« Mouvements de Saint-Pol-Roux », Place au[x] sens, n°8, printemps 2004

« La mort de Saint-Pol-Roux... », Que m'arrive-t-il ? Littérature et événement, sous la direction d'Emmanuel Boisset et Philippe Corno, Interférences, Presses Universitaires de Rennes, 2006

« Saint-Pol-Roux ou l'imagination lancée à toute vitesse », Frisson esthétique n° 4, printemps 2007, p. 40


A consulter : Les Féeries intérieures