Les Lettres

À M. REMY DE GOURMONT

Je vous vois, monsieur, au fond d'une cellule, revêtu de la robe franciscaine.

Le cloître, entouré d’ombrages séculaires, sur une cime perdue, est aussi vieux que le couvent qui domine Florence, non loin, du piazzale Michelangele. Sous les arbres, les tombes sont couvertes de mousses et de fleurs. Dans la chapelle, où les peintures s’effritent, où les marbres jaunis apparaissent douloureux, où tout est grand et primitif, où l’on respire les odeurs mystérieuses des choses sacrées que les siècles ont imprégnées, sous vos pas les dalles sont disjointes et l’on a peine à lire les inscriptions qui les ornent… Entre ces murs, l'Ordre mystique règne encore. Le silence et la lumière s'accordent et vous enveloppent d'un miracle immense...

Vous êtes, monsieur, un errant de ces solitudes ; vous y puisez votre force et cette magie du style et de la pensée qui nous hante comme une grave nostalgie.

Votre érudition se colore de l'amour des méditations mystiques et la philosophie du Satyre qui vous dicte, entre deux piliers ces lettres que d'aucuns, dont je suis, lisent religieusement, garde, même dans son amertume, cette sérénité et cette élévation qui attestent une âme, inaccessible aux vains tumultes et aux perfides criailleries.

Il est difficile, monsieur, de n'être pas séduit par votre pensée. Qu’elle se meuve dans le roman, dans la poésie, dans la philosophie ou dans ces études de critique que nul, aujourd’hui, ne saurait égaler, on la retrouve toujours puissante, neuve et noble, avec une mélancolie qui en est comme le parfum lointain. Et, quotidiennement, dans un journal, elle se dépense en des notes brèves, frappées comme des médailles.

Quand j’ouvre Le Temps pour y lire vos « promenades littéraires », quand je passe devant un libraire où vos livres sont placés en vue, je ne puis m’empêcher d’évoquer le rocher, entouré de myrtes et de romarins, devant la mer corse, où, pour la première fois, votre Sixtine me fut révélée délicieusement, durant des heures de soleil et d’azur où chantait le bourdonnement marin. C’est aussi là que j’ai lu votre étrange et captivante Lilith, vos précieuses litanies de la rose, ce château singulier, si singulier qu'il apparaît enchanté, votre latin mystique, qui est d'un poète et d'un moine savant, et tant d’histoires magiques ou tragiques, parmi lesquelles celles d'un pays lointain ont le mystère et les gloires des vitraux.

Et, parmi ces choses sauvages, d’une grandeur éblouissante, dans ce silence, si vaste que la mer en était comme accablée, vous m’apparaissiez, monsieur, comme un de ces êtres de légende, hautains et solitaires qui ont « toujours l'air de considérer avec étonnement un spectacle rare, invisible pour les autres yeux ».