Jean-Louis Vaneille |
||
2. Rémy de Gourmont, 1960 1. Aspects de Rémy de Gourmont. Critique et Poète. 1858-1916. Causerie donnée à « La Grange aux Poètes », de Caen, le 18 Mai 1958 et aux « Normands de Paris », le 18 Décembre 1958. Publications dans Manche-Eclair, 8 novembre 1958, 3 et 17 janvier 1959 & Les Normands de Paris, n° 263, juillet 1959
Echos
2. « Rémy de Gourmont. Le philosophe et l'artiste. 1858-1916 », Le Pays d'Argentan, n°3, juin 1960, pp. 81-83
Le 21 janvier dernier j'apprenais, en lisant le Républicain Granvillais, que le professeur Hadj Abderrahmane Buret venait de mourir à Salé à l'âge de 78 ans. Ce Tourangeau qui s'était converti à l'islam, en entrant en poste au M'zab, en 1905, et dont la petite-fille est tout simplement la femme de M. Omar Benchemsi, l'actuel gouverneur de Marakech, préparait, depuis quelques mois déjà, la traduction de l'œuvre de Rémy de Gourmont, en arabe, lorsqu'il s'éteignit. Je pense que, malgré l'indifférence de certains milieux intellectuels, la nonchalance de certains autres à lire, à pénétrer et à assimiler la pensée philosophique et critique gourmontienne, c'est une belle revanche (déjà !) de savoir qu'un arabisant qui a donné tant de preuves de son attachement à sa seconde patrie, souhaitait lui offrir la possibilité de pénétrer de plain-pied dans l'œuvre de notre grand compatriote bas-normand. ; car Rémy de Gourmont, qui naquit au château de la Motte, à Bazoches-en-Houlme, chez son grand-père, M. de Montfort, ne jouit guère de la réputation qu'il mérite, en son pays natal. En effet, si Coutances, la petite ville chère à son cœur, garde au milieu de son ravissant jardin public la stèle, due à des mains pieuses, de l'auteur de « La culture des idées », je crois bien qu'à Argentan, nul monument, nulle plaque de rue, de jardin ou de square ne rappelle qu'il vit le jour à quelques kilomètres seulement d'une des glorieuses cités ornaises de la dentelle. Ce serait un beau point d'honneur et l'occasion de quelques belles dentelles littéraires, pour un conseiller municipal d'Argentan, aimant bien sa ville et toutes les gloires qui la peuvent faire mieux estimer, que de demander à ses collègues qu'un tel oubli soit réparé. Les gens de lettres et les serviteurs de la pensée sont toujours si heureux de voir l'estime publique se manifester, quelque peu, pour commémorer dignement ceux qu'ils considèrent comme leurs Maîtres, que ni les Ecrivains Normands du cher René Herval, ni les Sociétés intellectuelles de Basse-Normandie ne manqueraient à l'appel qu'une même voix pouvait leur lancer. Et quel homme serait le héros de ces fêtes du souvenir ! Nous avons déjà esquissé un portrait de Rémy de Gourmont en mai 1958 pour le centenaire de sa naissance. Ainsi que l'écrivait Marcel Coulon à la première ligne de sa gracieuse plaquette sur « L'enseignement de Rémy de Gourmont » publiée en 1925 : Célébrer Rémy de Gourmont, c'est célébrer l'intelligence. Je ne prétends pas, ajoute-t-il, en substance, que Gourmont ait été le plus grand écrivain de son temps, mais je prétends qu'il est le plus intelligent. L'éloge comme on le voit n'est pas mince. Si l'on considère que les gens qui comprennent le moins notre compatriote, jugent, sans clémence, qu'il fut un polygraphe, au reste assez fade, qui ne mérite plus de solliciter nos esprits habitués à des brutalités de style et de mise en scène autrement véhémentes, ce qu'il convient toutefois d'admirer, sans réserve, chez notre compatriote, c'est ce génie inquiet de l'analyse par lequel il appréhende d'une façon toujours juste et finement subtile les problèmes de psychologie et les éléments de la pensée d'autrui. Philosophe quant à lui, psychologue à l'égard des autres hommes, il demeure méthodique comme un entomologiste dans ses constructions intellectuelles. Certains critiques ne se sont pas fait faute, lors de la publication de ses « Dissociations », de comparer sa méthode à celle de J.-H. Fabre, avec beaucoup d'à-propos. Le champ où se meut à l'aise la pensée gourmontienne est si vaste, la justesse de ses aperçus si pénétrante, qu'il ne laisse rien au hasard. Par la vertu de l'analyse poussée à ses extrêmes limites, Rémy de Gourmont. arrive à donner vie à ses personnages. C'est peut-être le seul psychologue dont les cribles soient si fins, qu'ils ne froissent en rien les modèles, qu'artiste consommé il s'est donné mission de faire passer sous le prisme lumineux de sa radieuse intelligence. Il va de la description physique des êtres à la recherche de leurs tendances intellectuelles et morales profondes avec un facilité et un naturel que la lecture du moindre conte de « Couleurs » fait comprendre et pleinement apprécier du lecteur le moins prévenu. Homme de sciences, autant qu'homme de lettres, c'est à Gourmont que nous devons cette pensée qui l'apparente fondamentalement aux encyclopédistes du XVIII, tant par la soif de connaître que par le désir unitaire de tout embrasser en soi : Je pense qu'il ne faut jamais hésiter à faire entrer la science dans la littérature ou la littérature dans la science (a-t-il écrit) ; le temps des belles ignorances est passé : On doit accueillir dans son cerveau tout ce qu'il peut contenir de notions et se souvenir que le domaine intellectuel est un paysage illimité et non une série de petits jardinets clos des murs de la méfiance et du dédain. Si dans un essai comme « Une nuit au Luxembourg » il abuse des nuances sensualo-sentimentales qui déparent souvent son œuvre, sa connaissance des sentiments religieux antiques dépasse de loin celle infiniment plus sommaire dont le grand romancier D.-H. Laurence a cru devoir faire preuve en publiant, plus récemment, « L'homme qui était mort ». Sa critique a un caractère si apaisé que, pas un instant, on ne pense à la critique anti-chrétienne de Nietzsche. C'est sûrement parce qu'il s'agit, avant tout, d'un artiste prêt à saisir les manifestations de la beauté et de la grâce sous les formes multiples par lesquelles elles peuvent séduire l'intelligence. Est-il un chrétien érudit qui ait su, mieux que lui, mettre en valeur les trésors du « Latin mystique » de notre haut Moyen-Age ? Il sait faire goûter ces vieilles proses et ces poèmes aux rudes mnémotechnies, en parfait connaisseur des goûts de ces époques lointaines, il ne dissimule aucune des nuances adorables de l'évocation et de la prière auxquelles toute son œuvre nous laisse aisément croire qu'il fut peu sensible. Alors, il faut bien conclure aux dimensions prodigieuses de cet esprit qui, à partir des jugements critiques fondamentaux auxquels il s'était attaché, n'a pas craint d'envisager pour des esprits diamétralement opposés au sien ce qui pouvait affermir et développer leur sentiment personnel de ce que doit être la vie. Il a pu répondre avec justesse à des impératifs catégoriques qui n'étaient pas les siens. Quelle grandeur ! A quel point portait-il donc, ainsi, le respect de son semblable ! Quelle haute valeur de conversation, quelle noblesse d'érudition n'a-t-il pas proposées à son siècle, qui, en définitive, ne savait déjà plus lui répondre ! Oui, si Rérny de Gourmont est dans sa propre province, la Normandie, un oublié de la gloire, c'est une injustice qu'il faut partout réparer. A Caen, il a été apposé une plaque sur la maison où, jeune étudiant, il habita. A Coutances, sa stèle est au jardin public, et il y a connu après sa mort le dévouement du « p'tit Quesnel » et de son imprimerie gourmontienne. A Paris, la maison où il demeura fort longtemps, rue des Saints-Pères, porte gravée sur le marbre le rappel de sa vie de serviteur de la Pensée et des Lettres françaises. Argentan, à deux pas de son berceau, devrait bien trouver un moyen de lui exprimer publiquement, elle aussi, l'estime qui lui est due. Jean-Louis VANEILLE. [document communiqué par Christian Parent] |