Les Propos de Campagnou (1935) |
Paul Voivenel, Les Propos de Campagnou, préface de Jean Douyau, Librairie des Champs-Elysées, 1935 Gustave Le Bon est mort. Et le pays ne se doute pas de la perte qu'il a faite. Les articles sont compendieux. D'une part les techniciens sont en dehors des « éloges » obligatoires de leurs académies et sociétés peu enclins à documenter le grand public et l'acte de journalisme leur est pensum, d'autre part les professionnels du reportage intellectuel pluchotent leurs « documentaires » dans le Larousse... et diable ! celui-ci n'est pas toujours à la page. Pour juger des hommes comme un Gustave Le Bon ou un Remy de Gourmont il faut être devenu avec eux un esprit universel, capable de saisir l'analyse et d'imaginer la synthèse. J'ai connu les deux. Remy de Gourmont, malgré la distance, me voulut comme médecin. Et je fus de ceux que ce sauvage de génie aimait. Pour Gustave Le Bon, j'ai été reçu chez lui dans son appartement de la rue Vignon, j'ai assisté à un des dîners mensuels du restaurant Larue ; il a voulu tenir compte de certaines de mes observations dans son livre sur les premières conséquences de la guerre et il me signa un traité d'acceptation d'un volume de sa bibliothèque de Philosophie scientifique sous le titre : les troubles de l'intelligence. J'avais, en 1922, à peu près terminé cet ouvrage, quand un incendie qui éclata au-dessus de mon cabinet de travail détruisit mes notes. Ma déconvenue fut telle que je ne me sentis pas le goût de recommencer et préférai écrire d'autres travaux qui depuis ont vu le jour. Ce n'est pas seule mon égale affection qui met les deux noms sous ma plume. L'immobile Gourmont et l'explorateur Le Bon sont esprits de même ordre, et qui les possède à côté l'un de l'autre dans sa bibliothèque possède réellement le monde. Tous deux (comme cet autre troisième, Bourdelle, dont l'amitié aussi m'honora) furent, à cause de leur indépendance, des méconnus. Les Beaux-Arts ont boycotté Bourdelle, des critiques éminents traitent encore Le Bon de bohème de la science, d'autres discutent son originalité, et je me rappelle, à la mort de Gourmont, l'impression de cocasserie que j'éprouvai à la phrase suivante de Paul Souday : « Remy de Gourmont n'est pas un philosophe. » [...] Gourmont, Le Bon ! Il est peu d'auteurs dont les pages gardent aussi souvent la marque de mes arrêts. Chez ce dernier on goûte constamment la joie de comprendre. On devient indulgent parce qu'on domine. Toutes les nations se sont abreuvées à ces vérités, comme les pays étrangers se sont adressés au ciseau de Bourdelle. Les tirages dépassent ceux des romans à succès... p. 58-61. « Revue des revues », Les Nouvelles littéraires, 28 avril 1928, p. 10 Gabriel Brunet, « Littérature : Docteur Voivenel : Propos de de Campagnou », Mercure de France, 1er janvier 1936, p. 127-130 Henri Mazel, « Chronique littéraire : Les Propos de Campagnou, par le docteur Voivenel », Annales africaines, n° 18, 15 septembre 1935 (326) Sur Louis Dumur Voivenel disserte sur l'heureux illusionnisme qui conduit les malades condamnés à croire en une amélioration de leur état quelques jours avant leur mort. Et j'ai relu à ce sujet les lettres que Remy de Gourmont m'écrivait en août 1915, quelques semaines avant de mourir, alors que, avec les signes qu'il présentait, il n'aurait dû se faire aucune illusion. Mobilisé, j'avais obtenu de la bonté du professeur Maurice Letulle qu'il allât soigner le Maître, rue des Saints-Pères, et, dès le 11 août, voici dans la correspondance les signes de l'illusionnisme : 11 août. « Tout marche à souhait... cela sera très long... mais je suis plein d'entrain. Quel homme exquis que ce Letulle ! Vraiment, je lui devrai et je vous devrai beaucoup, car je vous sens près de moi pendant tout cela ! Je vais être non seulement traité, mais surveillé avec une sollicitude que je voudrais bien mériter ! J'étais très bas quand vous êtes venu. Je me remonte un peu. Soit la chaleur, soit l'imagination et la confiance, je suis dans de meilleures dispositions ». Le 27 août : « Sans oser sortir encore, je vais et viens dans mon appartement, faisant des rangements, des explorations. Il y a une amélioration évidente. Letulle s'intéresse à son œuvre, me surveille, me passe en revue et quand il ne peut venir, me délègue le docteur Bergeron, dont j'ai aussi à me louer grandement que de l'interne... Soyez content d'avoir mis tout cela en mouvement, et soyez félicité d'avoir compris, mieux que moi, le véritable caractère du professeur Letulle qui, en dehors de ses autres mérites, est la bonté même... » Et dans la dernière lettre, du 10 septembre, le malade qui se rapproche de la mort se figure qu'il va recommencer la vie : « Je me remets, mais très lentement... Je suis d'ailleurs plein d'entrain... Patience ! Le docteur Bergeron m'a promis l'autre jour que dans cinq ou six mois je pourrai aller bouquiner sur les quais. Ce sera donc pour le printemps. » Dix-sept jours après, il était mort. p. 142-143. [entoilage, par Mikaël Lugan, août 2008] |