Lucie Delarue-Mardrus |
|
La matinée du 1er janvier 1922, comment ne pas m'en souvenir ? Je suis à cheval en selle mexicaine, galopant ventre à terre, côte à côte avec un cow-boy, dans les allées cavalières qui s'étendent au pied de la Tour Eiffel. [...] Nous sortons des écuries du Cirque de Paris. Cette promenade matinale n'a pour but que de préparer la représentation qui doit avoir lieu le 7, au même Cirque de Paris, fête de charité donnée par la duchesse de Vendôme au profit de la Goutte de Lait. [...] Rachel Boyer, comme en 1912, a composé le programme. Beaucoup d'amateurs mondains, quelques professionnels. [...] Le grand jour arriva. J'en ai transposé les émotions dans mon roman La Mère et le Fils, dont l'idée me vint pendant cette période agitée. [...] Les loges, luxueusement bordées de fleurs naturelles, étaient remplies par le Paris qu'on connaît par cœur, relations mondaines, théâtrales, artistiques, et tous les snobs des grandes premières. Personne n'eut l'idée de me jeter une seule de ces fleurs, pourtant gratuites, pendant mon exécution, « notre numéro de fond ! » répétait Rachel Boyer. [...] Haletante encore de mon tourbillon équestre, tandis que la représentation se terminait, je rencontrai quantité de gens dans les pourtours. Avec le regard morne dont ils accompagnent toujours l'insipide phrase, chacun me demanda : « Vous travaillez beaucoup en ce moment ?... » Mais pas le plus petit mot sur ce que je venais de faire. La même aventure que pour mes poèmes. Seul, Jean de Gourmont, frère de Rémy, me serra les mains avec une émotion de poète, des mots qui débordaient d'enthousiasme. [...] Je rentrai chez moi, dégoûtée de tout. Ce fut pour y recevoir la visite imprévue d'Angèle Gaudefroy, la violoniste, qui, par hasard, passait devant ma porte. N'ayant pas été invitée au gala, quand je lui racontai mon numéro, comme Jean de Gourmont elle s'enthousiasma, comprenant comme lui tout ce que j'avais mis dans cette chevauchée violente. Elle m'examina longuement dans mon costume mexicain, et dit : Il n'y a que vous qui soyez un être indépendant, multiforme, poète ! Que ce devait être beau ! Et je n'y étais pas ! Mon rêve ! Les chevaux, les galops, le Far-West ! Ça ne va pas avec ma figure en coin de rue, pourtant. Oh ! vous devez avoir une autre âme, avec ce costume ! Vous devez avoir envie de partir loin, loin... Le soir, encore à cheval en pensée, je rêvais à tout ce que, par la suite, j'ai décrit dans La Mère et le Fils, quand « le danseur à cheval » piaffe sur les rythmes de l'Amour Sorcier, de Manuel de Falla.. Mes mémoires, Gallimard, 1938, p. 252. A consulter : Lucie Delarue-Mardrus, in Muses d'aujourd'hui. Essai de physiologie poétique, par Jean de Gourmont, Mercure de France, 1910. |