Leben-Routchka |
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HACKENSCHMIDT On se souvient sans doute d'avoir vu dans quelque tournoi de lutte les plus forts athlètes de l'Europe réunis : Clément le terrassier, le hollandais Van t'Hoft, Paul Pons, Raoul le Boucher, Koch... Parmi eux, les dépassant de toute l'encolure, le russe Hackenschmidt souriait paisiblement. Lorsque son tour était venu, il ne s'amusait à parades, feintes ni autres fariboles. Il prenait son adversaire dans ses bras, le soulevait de terre malgré ses efforts, tournait deux fois sur lui-même en le serrant contre sa formidable poitrine. Puis Hackenschmidt posait à terre, sur le dos et comme il eût fait d'un enfant, le lutteur jusque là invaincu. M. Remy de Gourmont est l'Hackenschmidt de la littérature vivante. Ses vues, sa science, son écriture, tout est chez lui poussé à sa plus forte expression ; son cerveau est une machine supérieurement organisée. Et ce géant sait manier de ses doigts puissants les plus délicates psychologies : Rose, d'Un cœur virginal, est la plus étonnante vérité que psychologue ait découverte ; et il l'a fixée avec un charme simple et sûr, une grâce aisée et merveilleusement moderne. Pour parler de M. Remy de Gourmont, on ne peut s'en prendre qu'à des détails. L'ensemble échappe. Il est trop grand (Pointes sèches, Bruxelles, Librairie du Sablon, [1909], pp. 33-4). A moins que sous le pseudonyme de Leben-Routchka se cache Gaston Furst (ou quelqu'un d'autre) : CHRONIQUE DE BELGIQUE [...] Gaston Furst qui fut poète, commandant d'artillerie au front belge, et attaché à la Commission des Réparations, réalisa pourtant au cours de sa brève existence, une œuvre que nous ne pouvons pas oublier. Écrivain parfait, il publia des vers, des contes et des critiques ; guerrier magnifique, il se couvrit de gloire tant à l'Yser qu'en Afrique ; logicien impeccable, il fut l'une des plus éminentes personnalités belges qui, il y a quelques mois encore, siégeaient à l'Hôtel Astoria. L'écrivain laisse un recueil de contes, Yor, d'acerbes et lucides portraits d'écrivains, publiés sous le titre de Pointes sèches, et des poèmes épars dans diverses revues. Du soldat nous possédons un ouvrage sur L'Artillerie coloniale. Le logicien, doublé cette fois d'un historien précis, a signé un important manuscrit sur les réparations. Le bilan de la guerre, la faillite de Versailles, le plan Dawes, et l'hallucinant problème de la paix y sont analysés avec une perspicacité et une rigueur d'autant plus émouvantes que l'on y retrouve, à côté de la fierté du soldat, cette double vue et ce sens prophétique que tant de savants envient aux poètes. Un peu froid d'aspect et avare de confidences, Gaston Furst brûlait cependant d'une inextinguible flamme. De sa race il possédait l'inquiétude, l'amour de l'absolu, l'orgueil de ne ressembler qu'à soi, la hantise des voyages et cette implacable tristesse qui l'incitait à chercher sans cesse, au delà de lui-même, la paix du corps et de l'esprit. Il meurt à quarante ans, n'ayant pas endormi Georges MARLOW. (Mercure de France, 36e année, tome 181, n° 650, 15 juillet 1925, pp. 530-1.) OUVRAGES SUR LA GUERRE DE 1914 Gaston A. Furst : De Versailles aux Experts, Berger-Levrault. Le livre du commandant Gaston A. Furst, ancien secrétaire général adjoint de la Délégation belge à la Commission des Réparations, étudie d'une façon claire et précise la question des engagements de paiement de l'Allemagne de Versailles aux Experts. À Versailles, « la doctrine française (et anglaise) fut invariablement d'exiger de l'Allemagne, la réparation intégrale des dommages qu'elle avait causés, sans avoir égard à sa capacité de paiement ». L'offre allemande de 100 milliards de marks-or fut rejetée, comme aussi une proposition américaine de ne demander que 120 milliards. Les Américains voulaient aboutir à la fixation d'un chiffre et, d'un chiffre raisonnable... Ils cédèrent à Versailles... espérant sans doute qu'avec le temps les revendications des Alliés... se trouveraient ramenées au niveau qu'eux-mêmes avaient, dès le début, jugé raisonnable... Les événements montreront combien ce calcul était juste... La créance alliée... est ramenée en fait aujourd'hui à un montant parfaitement raisonnable, inférieur même à celui qui avait été envisagé par les experts américains à Versailles. La Grande-Bretagne, qui avait été, à Versailles, la plus ardente à réclamer à l'Allemagne les indemnités les plus énormes, ne tarda pas à changer radicalement de politique ; elle réfléchit que le paiement de sommes considérables obligerait l'Allemagne à développer sa production. Ce qui créerait une concurrence formidable au commerce anglais. Un an après le traité, elle devint l'avocat du vaincu. Il en résulta que la créance alliée, estimée par les Anglais en décembre 1918 monter à 500 milliards de marks-or (M. Loucheur admettait la possibilité de la porter à 800), fut fixée le 27 avril 1921 à 132. Cette somme comprenait d'ailleurs ce qui était dû par les Alliés de l'Allemagne ; la ventilation complète n'a jamais été faite. Si Wilson n'avait pas cédé sur l'inclusion des pensions dans les dommages de guerre, la somme à réclamer à l'Allemagne n'eût été que de 65 milliards, ce qui ne dépassait pas sa capacité. La France et la Belgique y eussent gagné, leur part dans les dommages matériels étant proportionnellement plus grande que dans les pensions. Quelle était la capacité de paiement de l'Allemagne ? Le délégué américain Lamont l'avait d'abord évaluée à 250 milliards de marks-or, mais l'avait rabaissée ensuite à 120. M. Loucheur l'avait alors estimée à 160 et les Anglais avaient même déclaré ne pouvoir admettre moins de 188. Finalement, on admit qu'elle était comprise entre 40 et 80. On ne put s'entendre pour préciser davantage et la Commission des Réparations fut créée pour faire ce que le Conseil des Cinq n'avait pu. La Commission se trouva en présence d'évaluations diverses du chiffre des dommages (britannique, 105, puis 125 milliards ; italienne, 175 ; belge, 132 ; française, 160). Le 27 avril 1921, par transaction elle adopta l'évaluation belge. Mais pendant tout ce temps, l'Allemagne n'étant ni contrainte, ni intéressée à payer, laissait sa ruine croître. En décembre 1921, elle annonça qu'elle ne pourrait verser que 150 à 200 millions pour les échéances des 15 janvier et 5 février 1922 qui, d'après l'état des Paiements, montaient à 800. Son commerce extérieur était d'ailleurs bien déchu : ses exportations, de 10,1 milliards en 1913, étaient tombées à 1,8 en 1919, 5,1 en 1920, 3,6 en 1921, 4,0 en 1922 ; elles ne seront encore que 6,0 en 1923. À la conférence de Cannes, le 4 janvier 1922, L. George présenta un projet de moratoire ; la chute du ministère Briand en empêcha la discussion. Mais la force même des choses contraignit la Commission des Réparations le 19 mars 1922 à accorder à l'Allemagne un moratoire partiel. Quoiqu'elle n'en eût exécuté les conditions que partiellement, la Commission le 1er juin le rendit définitif. Depuis le 24 mai, un Comité de l'Emprunt (ou des Banquiers) était chargé d'étudier la possibilité pour l'Allemagne de se libérer par des emprunts. Le 10 juin, il déclare ne pouvoir poursuivre utilement son étude, la France se refusant à envisager la diminution des obligations de l'Allemagne. Le 3 janvier 1923, à Paris, Bonar Law proposa un nouveau moratoire, comportant une sérieuse réduction des charges de l'Allemagne, mais sans les garanties exigées par la France. Celle-ci et la Belgique refusèrent d'accepter et le 11 janvier leurs troupes pénétrèrent dans la Ruhr. L'Allemagne avait payé jusqu'alors 5,2 milliards de marks-or, dont 2,8 avaient été absorbés par les frais ; 2,4 étaient donc seulement restés pour les réparations ; sur cette somme, la Belgique avait reçu 1 500 millions, la France 291, la Grande-Bretagne 114, l'Italie 203 et les autres États 280. L'occupation de la Ruhr força l'Allemagne à faire des propositions ; le 2 mai, elle offrit 30 milliards payables de 1927 à 1931 ; la France et la Belgique déclarèrent que c'était insuffisant. Le 5 juin, nouvelle offre. C'est alors, dit M. Furst, qu'on eût pu « négocier » la Ruhr, faire payer un relâchement progressif de l'étreinte par les satisfactions matérielles que l'on avait déclaré vouloir exclusivement y chercher. On aurait eu avec soi, à ce moment, l'Angleterre et le monde... Mais cette chance prodigieuse ne fut pas utilisée... C'est ce qui pourra obliger l'histoire à condamner cette politique que l'on a symbolisée par le nom de M. Poincaré... Il ne s'était pas borné franchement à borner ses désirs au recouvrement pur et simple des réparations... D'autres espoirs, ceux d'une révolution séparatiste en Allemagne, d'une dissolution politique du Reich, étaient caressés par lui... Il n'aboutit qu'à l'étouffement des séparatismes locaux et à la création définitive de l'unité morale de l'Allemagne. La politique de M. Poincaré, si elle avait eu des chances de réussir, était certes défendable ; c'est son échec qui la condamne, car elle a laissé la France sans sécurité, mais aussi sans réparations. Nous encaissâmes dans le Ruhr 1 016 millions ; les frais s'élevèrent à 213 millions ; le bénéfice fut donc de 788, dont 60 à 75 pour l'Italie (charbon) et 62 pour les États-Unis (remboursement des dépenses d'occupation) ; le solde (660 millions) fut partagé entre la France et la Belgique. Le plan Dawes fut substitué à l'occupation de la Ruhr. Il prescrit des versements par l'Allemagne à sa Banque d'Émission. Un Comité des Transferts « a le double et contradictoire devoir de transférer aux Alliés le montant maximum des devises étrangères et de veiller à la stabilité de la monnaie allemande ». Il peut accumuler des fonds en Allemagne jusqu'à 5 milliards ; il peut même (par une majorité des deux tiers) décider que cette limite sera dépassée. Mais, dit M. Furst, Le plan Dawes ne contient aucune disposition propre Le plan Dawes impose à l'Allemagne des paiements qui, en 40 ans, pourront monter au total à 122 545 millions, leur valeur au 1er septembre 1924 était de 46 milliards, si l'on calculait les intérêts à 5 %, et de 30 si on les calculait à 8 %. En défalquant 12 797 millions pour les charges diverses et 1 704 millions pour la part américaine, il reste 108 746 millions pour les réparations (d'une valeur en 1924 de 60 674 millions, si l'on calcule les intérêts à 5 %, et de 35 951 millions si on les calcule à 8 %). Ces chiffres sont obtenus en additionnant les annuités fixes et les annuités variables. Si les premières étaient seules payées, le produit serait de 95 170 millions, équivalant à une valeur de 39 531 millions en 1924 si l'on compte les intérêt à 5 % et à 26 769 millions si on les compte à 8 %. Sur ces 26 milliards, la part de la France sera de 13 milliards. En s'en contentant, dit M. Furst, tout en restant comptable de ses 23 milliards de dettes de guerre, la France s'est résignée non seulement à ne rien recevoir pour les Réparations, mais encore à rester finalement débitrice de l'étranger. M. Furst n'a pas prévu le moyen employé par les Allemands pour ruiner le plan Dawes : emprunter à l'étranger. Émile LALOY. (Mercure de France, 39e année, tome 203, n° 716, 15 avril 1928, pp. 495-8.) LA LITTÉRATURE DÉDOUBLEMENT DE LA PERSONNALITÉ Il vient de paraître une plaquette de Pointes sèches, où, sous le pseudonyme fallacieux de Leben-Routchka, le non moins fallacieux auteur de Yor (une plaquette verte et mauve inaperçue), qui s'appelait alors Georges Frémières tout court (1), vient de réunir quelques mots d'esprit de Henry Gau-tier-Villars, d'Ernest La Jeunesse et d'autres en se les appropriant. Comment Monsieur X... a-t-il pu devenir Georges Frémières, et comment Georges Frémières a-t-il pu devenir M. M. Leben-Routchka ? M. Isaac-Manassé Levy-Dreyfus Thalamas (2) devint officier de l'armée belge, sous le nom de M. Georges Frémières, et M. Georges Frémières devint à son tour M. M. Leben-Routchka. Apparemment, M. Leben est l'auteur, ou plutôt le compilateur de Pointes sèches. L'autre, M. Routchka, en est le lecteur. Et, si comme il est probable, M. Leben et M. Routchka sont une et même personne ?... Enfin l'on ne veut pas de pelisses en été ; et il faut bien que l'on puisse passer son temps derrière les comptoirs, lorsque se taisent les machines à comptabilité, et que les petites femmes se fichent de votre nez crochu et votre allure cossue de chef de rayon aux galeries Lafayette (de Bruxelles). Alors, rien de plus charmant que de recopier quelques articles de Comœdia et de les publier en volumes. À Bruxelles, on n'y voit pas même du feu. Le Poète Monoclé 1. Lorsqu'on n'a pas de nom dans la littérature, on en prend plusieurs : c'est très commode. 2. Il doit être membre de l'Action Française et Barrésien. (Le Cri de Bruxelles, 3e année, n° 22, 4 juillet 1909, p. 6.) [page réalisée grâce aux documents fournis par Victor Martin-Schmets] |