Georges-Armand Masson |
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Georges-Armand Masson, Anatole France, Ed. de la Nouvelle Revue Critique, 1924, pp. 51-52 Analyser la manière d'Anatole France ? Prendre ces ailes de papillon entre les doigts gourds de la critique ? C'est une entreprise que je ne tenterai pas. Tout au plus pourrai-je essayer de définir ce style de diamant en l'opposant à celui des autres maîtres que nous admirons. En confrontant, par exemple, cette manière voluptueuse et fluide avec celle d'un Paul Adam, toute en efforts, bossuée de muscles tendus, et constamment bandée vers le maximum d'expression. Notre impression ressemblerait sans doute à celle que donnerait le sourire d'une madone de Raphaël auprès du travail d'un Titan en sueur brossé par Michel-Ange. Nous pourrions aussi mettre en parallèle les flûtes et les harpes d'Anatole France avec les grandes orgues de Barrès. Entre ces deux romantiques, le style d'Anatole France apparaît comme l'expression la plus exquise de l'atticisme. Mais parmi les essayistes contemporains, c'est de Gourmont surtout qu'il importe de distinguer Anatole France. Car c'est peut-être l'esprit qui eut avec lui le plus de points communs : Une Nuit au Luxembourg, c'est le Jardin d'Epicure, enrichi d'une affabulation poétique, d'ailleurs délicieuse ; et maints rapprochements pourraient être faits entre tels passages des Epilogues, des Promenades philosophiques, du Dialogue des amateurs, et les thèmes favoris de notre auteur. Mais cette confrontation fait aussitôt surgir maintes différences. La sensibilité de Gourmont, plus inquiète que celle de France, le porte à des expériences multiples et dispersées, aux quatre vents de l'esprit. Gourmont touche par un pôle au symbolisme, par un autre aux encyclopédistes ; il est à la fois byzantin et renaissant. Son style, moins pur que celui de France, en même temps que moins harmonieux, est plus riche ; il a plus de nerfs, et l'épiderme moins délicat. Il est masculin, l'autre a la rondeur et la flexibilité féminines. Il y a dans Rémy de Gourmont je ne sais quel esprit d'aventure qui lui vient peut-être de ses aïeux normands ; il a, de l'aristocratie, la bravoure et l'insolence. Chez Anatole France, il y a toute la malicieuse cautèle, toute la prudence et la souplesse, frondeuse jusqu'aux coups, exclusivement, du peuple d'où sortirent la Satire Ménippée et les Mazarinades (1). (1) Un exemple fera mieux sentir l'opposition entre ces deux sensibilités et ces deux intelligences. Sur une même question, celle de la propriété, voici tour à tour l'opinion de Gourmont et celle de France. Gourmont : « ... car il était, lui aussi, de ceux qui ne lisent avec plaisir que les livres dont on est le maître. Livres, femmes, tableaux, chevaux, statues, et le reste, l'herbe même et les arbres et tout ce dont on jouit, on n'en jouit qu'à moitié, si cela ne vous appartient pas. Cela explique le peu de succès des musées où il n'y a personne, hormis les dimanches de pluie. Il faut une grande indifférence ou un grand détachement pour associer d'ardentes sensations à la contemplation d'un tableau qu'un regard imbécile va polluer l'instant d'après. » Sixtine, p. 187. France : « Et dans notre société même, ne vois-tu pas que les biens les plus doux ou les plus splendides, routes, fleuves, forets autrefois royales, bibliothèques, musées, appartiennent à tous ? Aucun riche ne possède plus que moi ce vieux chêne de Fontainebleau ou ce tableau du Louvre. Et ils sont plus à moi qu'au riche, si je sais mieux en jouir. La propriété collective, qu'on redoute comme un monstre lointain, nous entoure déjà sous mille formes familières. » M. Bergeret à Paris, p. 253. |