1. Gabriel Brunet, « Littérature. Rachilde : Portraits d'hommes, Mercure de France », Mercure de France, 1er juillet 1930, pp. 154-155

Natalie Clifford Barney : Aventures de l'Esprit, Emile-Paul. — Rachilde : Portraits d'hommes, Mercure de France. — Princesse Bibesco : Quatre portraits, Grasset. — Mme Bulteau : Dans la paix du soir, Au Sans Pareil. Jacques Vincent : Un salon parisien d'avant guerre, Jules Taillandier. — Gyp : Du temps des cheveux et des chevaux, Calmann-Lévy. — Jeanne Landre : « Les Soliloques du pauvre », de Jehan Rictus, Malfère. — Henriette Renan : Souvenirs et Impressions, La Renaissance du Livre. — Mme S. de Lauge : Au service du public, Imprimerie A. Rey, à Lyon.

Ah ! que les Portraits d'hommes que nous présente Mme Rachilde sont lestement enlevés, avec quelle verve, avec quel brio ! En quelques lignes, les personnages se campent, parlent, vivent, nous imposent leur présence physique et morale. Immédiatement, Mme Rachilde sait nous mettre dans leur intimité et nous les rendre familiers comme si nous les connaissions depuis longtemps. Pas d'analyses laborieuses, mais un véritable génie pour indiquer le geste, l'attitude, le mot ou l'anecdote qui révèlent comme par miracle un personnage. Comme on le voit devant soi, ce jeune Barrès, avec sa gravité bourgeoise alliée tant bien que mal à la nonchalance physique de l'oriental, à l'ironie hautaine et détachée du grand intellectuel et à l'ambition sans mesure de celui qui se sent fait pour régner ! Voyez-le déclarant à Rachilde qu'il a par hasard rencontrée : « Moi, je rêve d'être empereur oui, prince quelque part, n'importe où... » Entendez-le répondre, au bal Bullier, à une belle fille qui le prie de la faire danser : « Les Orientaux font danser les femmes devant eux et ne se mêlent point à ces exercices fatigants... » Quelles résonances laissent dans l'esprit pareilles anecdotes ! Comme tout un être s'y inscrit !

Ce don très féminin — pourquoi ce don est-il plus féminin que masculin ? je l'ignore — ce don très féminin de saisir du premier regard le détail qui exprime d'un seul coup l'originalité d'une personne, Mme Rachilde le possède à souhait. De M. Alfred Vallette jeune, il fallait voir avant tout le veston-dolman qui le serrait hermétiquement; de Jules Renard, il convenait d'extraire les yeux : « des yeux en trous d'épingle dans un abat-jour : on devinait qu'une lampe brûlait derrière... »

Le style de Rachilde est vif au possible, il ne tient pas en place, il court, gambade, s'amuse à faire une pirouette inattendue et c'est une jolie trouvaille d'expression, ou bien il se décoche en une boutade agile et repart alerte pour reprendre bientôt haleine dans une minute de recueillement et de méditation.

La galerie de portraits est variée au possible et chacun d'eux est individualisé à l'extrême. Et toujours une manière inattendue pour présenter chaque personnage. Mme Rachilde a tout à fait raison de vanter les romans de jeunesse de M. Louis Dumur. Ils offrent un mélange de réalisme, de fraîcheur et d'humour qui est savoureux.