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1. « Le perpétuel renouveau, poème », Mercure de France, 1er juin 1927, p. 288-289
O Remy de Gourmont dont l'esprit pur subsiste,
Paré du désespoir de vos instants derniers,
Dans le ciel sillonné par les jeunes ramiers,
Sous ce dais vespéral d'un couchant d'améthyste,
A travers les vergers, les champs aux verts damiers
Et ces quinconces poudrés par les printaniers
Floconnements blancs et roses de nos pommiers,
Du Val Brayon à Coutances, avant que, triste
Ne chevrote son rythme déjà trébuchant,
Que monte, vernal, ce crépusculaire chant
Jusqu'à votre buste douloureux d'ironiste.
Comme cette annonciatrice des beaux jours
Qui décrit ses circuits en ronde fantaisiste,
L'humble chauve-souris dont les vols de velours
Font leur révérence autour des socles de gloire,
Que, fervent hommage à votre chère mémoire
Dans ce Mal palpitant d'occupés souffles lourds,
Que semblent soupirer, en rêve idéaliste
Et virginal éveil, les naissantes amours,
Ma couronne verbale aux sonores contours
S'élève avec l'encens floral des alentours
Vers votre front nimbé d'érémitique artiste
Où le sceau radieux d'une étoile persiste.
O Remy de Gourmont dont œuvre d'érudit
Tantôt charmeur, douteur, mystique ou casuiste,
Par le Temps éternel se propage et grandit,
Quand je songe, hanté de ce tourment maudit :
Sentir qu'heure par heure toute vie expire
Sous la vieillesse qui l'avilit et laidit.
En évoquant les noms lumineux que j'admire,
J'imagine Eschyle ou Corneille ou Shakespeare
Accueillirent la Mort avec un fier sourire,
Qu'ils durent, délivrés et triomphants, lui dire :
« Dès longtemps je t'attendais, enfin, te voici !
« Ton spectre hallucinant rend l'être fataliste :
« L'inéluctable sort de ma chair t'obéit,
« Mais malgré le néant mon cerveau te survit ! »
Ainsi, hors le chaos de la tourbe égoïste,
Tel l'Amour plus fort que la Mort, dans l'infini
Où la seule splendeur exemplaire résiste,
Votre cœur généreux, pour jamais, surexiste,
O Remy de Gourmont, fils d'Hermès Trismégiste !
Mai 1927.
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