J'ai eu la malencontreuse idée de relire les poésies de Baudelaire. Je n'y avais encore rien compris.

Cette originalité puissante m'a tué dans ma production. Quand on a lu V. Hugo, on se sent inspiré, quand on a lu Baudelaire, on se sent découragé. C'est effrayant, horrible, hideux, mais c'est ainsi : voilà l'influence de cet homme sur moi (Remy de Gourmont à Emile Barbé, 1878).

1. « La question Baudelaire », Le Journal, 2 octobre 1892

2. « Un ami de Baudelaire », Épilogues, 1903

3. « Marginalia sur Edgar Poe et sur Baudelaire », Promenades littéraires, 1904

4. « Baudelaire et le songe d'Athalie », Promenades littéraires , 2e série, 1906

5. « Baudelaire », Mercure de France, 1er octobre 1910

6. : “La revisión del proceso Baudelaire”, Fray Mocho (Buenos Aires), nº 673, 17-III-1925


2. « Un ami de Baudelaire », Épilogues Réflexions sur la vie. 1895-1898, Mercure de France, 1903

Octobre [1896].

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Un ami de Baudelaire. Il restera toujours un peu de lumière autour de ce nom, Gustave Levavasseur, puisque Baudelaire l'écrivit en des pages qui ne périront pas. Dans la série des médaillons, appelée Réflexions sur quelques-uns de nos contemporains, Levavasseur vient le dixième et le dernier, après Leconte de Lisle, et c'est le seul des dix qui soit demeuré presque inconnu. Comme on ne peut supposer que Baudelaire ait crayonné son portrait par pure amitié, il faut admettre qu'il avait plus d'intelligence que de talent et qu'il fit, au temps de sa jeunesse, des promesses pour lui impossibles à tenir. Ou bien fut-il un dédaigneux ? Raté, diraient sans doute, s'ils pouvaient cesser de s'occuper d'eux seuls, un tas de très candides petits poètes, aveugles sur leur propre destinée future. Raté, c'est un mot injurieux et dont il ne faut pas ridiculiser un être dont la vie fut loyale. Raté, M. Zola a d'ailleurs émoussé la pointe haineuse de ce mot en voulant le faire entrer, pauvre flèche, dans du bronze. Quand le monde entier, et l'heure est proche, pensera, comme le célèbre Coprophage, que VilIiers, Barbey et Verlaine furent des ratés, le mot prendra un singulier aspect de gloire. En prévision des variations lexicographiques, il ne faut pas prostituer les injures : le souvenir de médiocres hommes nous est parvenu vénérable accolé à celui d'héroïques victimes. Il est des insultes dont il ne faut pas se servir et qu'il faut, soi, accepter avec une certaine modestie.

C'est en 1839 que Levavasseur se lia d'amitié tendre avec Baudelaire, à la pension Bailly, sorte d'abbaye de Thélème, dont le prieur rédigea l'Univers jusqu'au temps de Veuillot. Ils collaborèrent ensemble au Corsaire, puis, après le voyage forcé de Baudelaire aux Indes, devinrent le noyau de la petite « Ecole Normande », qui comprenait aussi un Picard et un Languedocien, Ernest Prarond et Jules Buisson. A cette époque (1843), Baudelaire était très gai, très causeur et très noctambule, récitait assez volontiers ses vers, et déclamait tragiquement les Satires de Boileau. Baudelaire, Prarond et Levavasseur écrivirent encore ensemble au Corsaire-Satan, 1843-1846 ; ils étaient payés un sou et quelquefois six liards la ligne ; Gustave Levavasseur est le seul témoin d'un, des actes les plus singuliers et les plus inexplicables de la vie de Baudelaire : « Baudelaire prit part, comme insurgé, aux journées de juin 1848. Nous étions restés, Chennevières et moi, à la garde du Louvre... Nous sortîmes, allant à la découverte... Nous vîmes venir à nous deux personnages de différent aspect : l'un nerveux, excité, fébrile, agité ; l'autre calme, presque insouciant. C'était Baudelaire et Pierre Dupont... Je n'avais jamais vu Baudelaire en cet état. Il pérorait, déclamait, se vantait, se démenait pour courir au martyre... » On le calma et on le sauva. Ses mains sentaient la poudre. Singulière aberration que d'aller prendre parti et activement ! dans un conflit politique ! Jusqu'en 1851, Baudelaire, après cette fièvre, demeura infecté de socialisme, puis il guérit. Avait-il même été de bonne foi, lui qui écrivait en 1839, faisant allusion aux coquebins révolutionnaires, ces paroles sataniques et belles : « Quand on parle révolution pour de bon, on les épouvante. Vieilles rosières ! Moi, quand je consens à être républicain, je fais le mal, le sachant. Oui ! vive la Révolution ! toujours ! quand même ! Mais moi je ne suis pas dupe ! je n'ai jamais été dupe ! je dis : Vive la Révolution ! comme je dirais : Vive la Destruction ! vive l'Expiation ! vive le Châtiment ! vive la Mort ! Nous avons tous l'esprit républicain dans les veines comme la v... dans les os. Nous sommes démocrates et syphilisés. » Oui, admirable Baudelaire, vrai grand écrivain, dernier père de l'Eglise ! On n'a jamais pris la peine de remarquer à quel point Baudelaire est « père de l'Eglise » ; ce mot va donc choquer tous les ignorants.

L'empire fait, Gustave Levavasseur, qui avait alors une trentaine d'années, se retira en Normandie où il mena la vie non d'un grand seigneur, mais d'un seigneur de jadis, oracle, ami et père d'un peuple de paysans qu'il charmait et dominait naturellement par l'ascendant d'une nature heureuse et libre. Il ne fut plus guère question de lui dans les lettres que par la notice de Baudelaire, insérée d'abord, en 1861, dans l'Anthologie d'Eugène Crépet. Je n'ai pas connaissance que ses Notes sur Baudelaire aient été imprimées, sinon fragmentaires : c'est dommage.


4. « Baudelaire et le songe d'Athalie », Promenades littéraires , 2e série, Mercure de France, 1906

BAUDELAIRE ET LE SONGE D'ATHALIE

Que Baudelaire ait imité le songe d'Athalie et que cette imitation soit devenue les Métamorphoses du Vampire, voilà de quoi surprendre. Rien n'est pourtant plus véritable.

On sait que Baudelaire affectait d'admirer les poètes du grand siècle, et même Boileau ; mais on sait beaucoup de choses qui n'ont qu'une très faible apparence de vérité. Ce goût pour Boileau, pour Racine n'était pas, chez Baudelaire, une affectation, et il le prouva bien en écrivant ses poèmes dont la forme, très peu romantique, ne fut pas sans donner à Victor Hugo quelques inquiétudes. Il y avait autre chose dans les Fleurs du Mal qu'un « frisson nouveau », il y avait un retour au vers français traditionnel. Après les caprices orientaux, on revoyait des cavaliers bien assis sur un cheval solide, sûrs d'eux-mêmes et de leur monture, prêts à tous les exercices utiles ou esthétiques, nullement disposés à la vaine parade.

Jusque dans le malaise nerveux, Baudelaire garde quelque chose de sain ; on sent assez souvent l'effort que le poète s'impose pour garder l'équilibre, mais il y a équilibre. Ses poèmes sont composés. Il veut dire quelque chose et il le dit. Ses métaphores sont cohérentes ; surtout, elles sont visibles et donnent des visions logiques :

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille,
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

(Recueillement)

Habitué des poètes raisonneurs du XVIIe siècle, il l'était aussi des théologiens et des moralistes catholiques. Cet homme, que les magistrats condamnaient tel qu'un monstre d'impiété et de luxure, s'agenouillait très sincèrement, après une belle débauche, pour demander pardon, et il acceptait le châtiment :

Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance
Comme un divin remède à nos impuretés.

(Bénédiction)

Attribuer cette attitude à quelque besoin paradoxal de contradiction, ce serait avouer que l'on connaît bien mal Baudelaire. On n'a qu'à lire les Fusées et Mon cœur mis à nu, cahiers qu'il ne destinait pas sans doute à une publicité immédiate. La religiosité qu'il y avoue, pour lui seul, provisoirement, a même, par son ingénuité, quelque chose de pénible. Mais n'est-ce point déjà sensible dans les Fleurs du Mal ? Il y abuse vraiment de la morale chrétienne. Presque toujours, quand il a dit quelque chose d'un peu fort, il éprouve le besoin de s'en excuser par une conclusion morale. Cette faiblesse n'avait pas échappé à ses accusateurs publics. Ils disent, dans l'avant-propos de la condamnation :

« En ce qui concerne la prévention d'offense à la morale publique et aux bonnes mœurs :

« Attendu que l'intention du poète, dans le but qu'il voulait atteindre et dans la route qu'il a suivie, quelque effort de style qu'il ait pu faire, quel que soit le blâme qui précède ou qui suit ses peintures, ne saurait détruire l'effet funeste des tableaux qu'il présente au lecteur et qui, dans les pièces incriminées, conduisent nécessairement à l'excitation des sens par un réalisme grossier et offensant pour la pudeur. »

En ouvrant pour une recherche, au tome deuxième, le Génie du Christianisme, je tombe sur le chapitre XI, Suite des Machines poétiques : Songe d'Énée, Songe d'Athalie. Je lis le Songe d'Énée, traduit par un des amis de Chateaubriand, sans doute Fontanes, et le morceau me paraît et d'une valeur nulle et d'une laide platitude. Cependant, confronté avec le Songe d'Athalie, il a cet intérêt d'en paraître le prototype. Mais Racine l'a beaucoup perfectionné, surtout en mettant en scène le revirement qui, dans Virgile, est antérieur au songe lui-même. Dans Racine, c'est un véritable tableau vivant : on voit la métamorphose. Le quantum mutatus ab illo s'opère sous les yeux du lecteur, qui en a la claire vision. Chateaubriand, dans toute cette partie de son livre, émule, presque malheureux, de La Harpe, rédige sur ce morceau de littérature artificielle un commentaire très serré, feint d'éprouver à cette lecture banale une intense émotion. C'est à peine s'il ose avouer combien il trouve supérieure, en cette rencontre, du moins, la poésie de Racine. Très soumis à la hiérarchie des admirations, il trouve « malaisé de décider ici entre Virgile et Racine ». Cependant il note le revirement, « une sorte de changement d'état, de péripétie, qui donne au songe de Racine une beauté qui manque à celui de Virgile ».

Ce revirement, Baudelaire, un jour qu'il relisait Athalie, en fut très frappé et, prenant la scène, l'incorporant dans un rêve de mauvais amour, il écrivit les Métamorphoses du vampire.

Transcrire les deux morceaux à la suite l'un de l'autre évitera beaucoup de remarques. Les voici :

C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit ;
Ma mère Jésabel devant moi s'est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée ;
Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté :
Même elle avait encor cet éclat emprunté,
Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage,
Pour réparer des ans l'irréparable outrage.
« Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi,
« Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi sur toi !
« Je te plains de tomber dans ses mains redoutables
« Ma fille. » En achevant ces mots épouvantables
Son ombre vers mon lit a paru se baisser,
Et moi, je lui tendais les bras pour l'embrasser ;
Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange
D'os et de chairs meurtris et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux,
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux.

(Athalie, II, 5.)

Le poème de Baudelaire est en parallélisme parfait avec le poème de Racine. Tous les deux sont en trois actes (le troisième acte de Baudelaire ayant deux tableaux). Premier acte : description du lieu et de la figure qui apparaît ; deuxième acte : mouvement de sympathie vers l'apparition à laquelle on veut donner un baiser ; troisième acte : la métamorphose s'est accomplie pendant ce mouvement et l'on en voit le résultat. Bien entendu qu'il faut tenir pour un songe le récit de Baudelaire ; son caractère fantastique l'exige absolument, bien que le poète, pour augmenter l'impression d'effroi qu'il veut donner, présente la scène telle que réelle, c'est-à-dire telle que vue en état d'hallucination.

LES MÉTAMORPHOSES DU VAMPIRE

La femme, cependant, de sa bouche de fraise,
En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise
Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,
Laissait couler ces mots, tout imprégnés de musc :
« Moi, j'ai la lèvre humide, et je sais la science
De perdre au fond d'un lit l'antique conscience.
Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants
Et fais rire les vieux du rire des enfants.
Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,
La lune, le soleil, le ciel et les étoiles.
Je suis, mon cher savant, si docte aux voluptés,
Lorsque j'étouffe un homme en mes bras redoutés
Ou lorsque j'abandonne aux morsures mon buste,
Timide et libertine, et fragile et robuste,
Que sur ces matelas qui se pâment d'émoi
Les anges impuissants se damneraient pour moi ! »
Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,
Et que languissamment je me tournais vers elle
Pour lui rendre un baiser d'amour, je ne vis plus
Qu'une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus !
Je fermai les deux yeux dans ma froide épouvante,
À mes côtés, au lieu du mannequin puissant
Qui semblait avoir fait provision de sang,
Tremblaient confusément des débris de squelettes,
Qui d'eux-mêmes rendaient le cri d'une girouette
Ou d'une enseigne, au bout d'une tringle de fer,
Que balance le vent pendant les nuits d'hiver.

(Les Épaves, édit. Lemerre, VI.)

Et voilà où mènent les voluptés illicites, ce que deviennent celles qui les procurent aux libertins et les plaisirs d'après que les libertins exténués trouvent dans leur lit cruel ! Le tableau de Racine, moins pittoresque, est supérieur par sa sobriété même. Faisant partie d'une action étendue et complexe, il ne porte pas de morale immédiate. Celui de Baudelaire est d'une moralité qui, encore que sarcastique, est fort saisissante ; elle ricane, pareille à la tête de mort qu'est devenue la tête ironiquement tendre de la docte créature, mais son ricanement est un avis, et que Baudelaire se donne à lui-même.

On a été frappé, je pense, par la similitude du mouvement pendant lequel s'opère la métamorphose. Les deux morceaux tournent exactement autour du même pivot :

... En achevant ces mots épouvantables,
Son ombre vers mon lit a paru se baisser
Et moi, je lui tendais les bras pour l'embrasser...

Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle
Et que languissamment je me tournais vers elle
Pour lui rendre un baiser d'amour...

Il est assez difficile de caractériser par un terme précis ce genre d'imitation. Il n'y a ni plagiat, ni pastiche, ni emprunt. Ce n'est pas la transposition du tragique au comique, ou l'inverse. Tout au plus pourrait-on y voir une sorte de parodie, mais tout à fait inavouée, et que Baudelaire pouvait croire impénétrable.

La poésie classique étant toujours la nourriture première des enfants dans les collèges, il est tout naturel que des réminiscences de Racine, de Boileau se retrouvent dans les œuvres en apparence les plus divergentes de la tradition. Analysé à ce point de vue, Victor Hugo lui-même paraîtrait plein de ressouvenirs, jusqu'au milieu de sa plus superbe originalité. L'abbé Delille fut son maître, et c'est pourquoi tant de morceaux fulgurants du grand poète ne sont, en somme, que du Delille apocalyptique.

Au dix-septième siècle, l'imitation des anciens était de commande. Emprunter des passages entiers de Virgile ou de Sénèque, c'était enrichir la langue française. Tout en ignorant du Bellay, on suivait à la lettre ses conseils ingénus. Mais on imitait aussi ses devanciers immédiats. Corneille prend à la belle Sophonisbe de Mairet les imprécations de Camille ; Racine se souvient, dans Phèdre, de l'Hippolyte, de Gilbert, et, dans Athalie, du Triomphe de la Ligue, de Nérée. C'est à cette obscure tragédie qu'il emprunte le fameux : « Je crains Dieu, cher Abner... », et les célèbres petits oiseaux auxquels Dieu donne leur pâture. Cette niaiserie du poète devenu dévot n'est pas plus ridicule dans Nérée que dans Racine ; elle y est même mieux à sa place et on regrette qu'elle n'y sommeille pas toujours. Il semble que la tactique des emprunteurs volontaires soit de s'attaquer aux inconnus. Elle est adroite ; le profit est plus sûr et le danger bien moindre à voler les pauvres que les riches. Les emprunteurs involontaires s'adressent au contraire aux riches ; aussi cela ne leur profite guère, car la raison du plus fort est toujours la meilleure.

Baudelaire, métamorphosant le songe d'Athalie, a-t-il agi consciemment, a-t-il obéi à une réminiscence ? Il est très difficile d'en décider. Peut-être pourrait-on supposer que la pièce en question, le Vampire, est comme une suite à la pièce qui débute ainsi :

Une nuit que j'étais près d'une affreuse Juive.

La liaison des idées pouvait le conduire à cette Athalie, le songe lui revenir à la mémoire...

Mais il suffit d'avoir conté cette anecdote littéraire. Ce n'est qu'une curiosité.

1905

[10e édition, p. 85-94]


5. « Le Baudelaire des professeurs », Mercure de France, 1er octobre 1910, p. 553-554

LES JOURNAUX

Huysmans et la Cuisine (Paris-Journal, 9 septembre) — Le Baudelaire des professeurs (La Dépêche, 11 septembre).

M. Mauclair, dans la Dépêche, s'occupe de M. Faguet et de ce qu'il appelle la critique professorale. Il nous montre les professeurs s'annexant peu à peu la critique littéraire et y portant leurs habitudes de correction de devoirs.

C'est à propos d'un extraordinaire article sur Baudelaire que ce publiciste guilleret s'est complu à relever toutes les incorrections du grand poète et à prouver une fois de plus qu'il était totalement dépourvu du sens de l'art, du sentiment de la beauté. Il déclare ensuite que Baudelaire n'a apporté dans la poésie que des lieux communs, tandis que Sully-Prudhomme y apporta des idées. A cette remarque ingénieuse, on reconnaît la sagacité spéciale de M. Faguet, Il sait ce que c'est qu'une idée et il le prouve. Les idées de Sully-Prudhomme !

Je ne sais pas, dit à ce propos M. Mauclair, je ne sais pas ce que pouvaient bien être les idées de Sully-Prudhomme, mais je sais bien que ce délicat et timide philosophe était un versificateur terne et ennuyeux : et je sais aussi que le propre de la poésie est de renouveler et de magnifier la présentation des lieux communs, parce que toute vérité éternelle et tout grand sentiment sont des lieux communs : l'amour, la beauté, le printemps, l'automne, la mort, ne sont pas autre chose, et ici banal signifie éternel.

Et il conclut :

Nous souffrons d'une ingérence injustifiée de l'esprit professoral dans l'art littéraire. Si un critique autorisé, sincère et ingénieux a pu être conduit par cet esprit à juger de façon si désinvolte un homme d'une telle envergure, que ne font et ne feront pas les petits pédants se mêlant de corriger nos plus beaux écrivains ? Jusqu'où leur imprudence et leur envie stérile ne les mèneront-ils pas pour l'amour de la grammaire ? Au lieu de se jalouser sottement, les artistes devraient s'unir pour disqualifier durement quiconque critique sans se prouver capable d'inventer à son tour : car celui-là sera toujours leur ennemi-né.

Je crois tout de même qu'il y a des professeurs qui aiment Baudelaire et qui reconnaîtraient volontiers en lui une des âmes dont le souffle gonfle et anime la poésie française. Tous ne sont pas nécessairement, comme M. Faguet, dépourvusde toute sensibilité humaine.

R. DE BURY.


6. “La revisión del proceso Baudelaire”, Fray Mocho (Buenos Aires), nº 673, 17-III-1925

Charles Baudelaire, el maravilloso poeta enamorado de las imágenes escritas o vividas, cuando el 11 de julio de 1857 publicó su célebre libro Las flores del mal, fue perseguido por la justicia y condenado a pagar 300 francos de multa, con la orden de suprimir seis poemas de la edición de Poulet-Malassis, por el siguiente y decisivo considerando de la sentencia del tribunal presidido por Dupaty:

“Teniendo en cuenta que la intención del autor... no podrá destruir el funesto efecto de los cuadros que presenta a los lectores, y que... conducen necesariamente a la excitación de los sentidos, por un realismo grosero...”

En aquellos tiempos y en épocas posteriores, Las flores del mal –aun incluidas las piezas condenadas, como “Les bijoux”, “À celle qui est trop gaie”, etc.– han sido atacadas cruelmente por Burdin, Weiss, Pontmartin, el señor Bourget, el impagable Brunetière, Jules Lemaître y aun por los mismos prologuistas de algunas de sus ediciones, cuyas reticencias apenas encubren su cobardía. También tuvo grandes defensores, desde Barbey d'Aurevilly, Sainte-Beuve, Deschamps, Asselineau; bastando para su razón el magnífico artículo de Paul Verlaine, y la exquisita flor que, a manera de prólogo, dejó en Las flores Théophile Gautier. Sin contar con aquella oración emocionante que pronunció Théodore de Banville, el 2 de septiembre de 1876, ante los restos del poeta, acompañados hasta la última morada por unos pocos amigos...

Han pasado los años, Las flores del mal, Pequeños poemas en prosa, El arte romántico, o Curiosidades estéticas, formaron un monumento de respeto al maestro inimitable... Es con motivo de la venta de uno de l os ejemplares de la primera edición del libro, que las autoridades francesas intervienen nuevamente, recordando que existe una sentencia de los tribunales de París, dictada en 1857, mandando destruir la tirada original, “por indecencia e impiedad cometidas en algunos de los poemas”. La Sociedad Baudelaire, por su parte, solicita revisión del proceso...

No nos parece muy acertado volver a tocar un punto resuelto por varias generaciones de hombres de letras. Queda la obra estupenda del enorme artista... ¿Para qué insistir? ¿Para qué prohibir la venta de aquel ejemplar, cuando circulan por todas las librerías de Francia, ediciones que llevan un apéndice con los seis poemas condenados? ¿Se ha de poner una vez más la carne del poeta doloroso, sobre la mesa de los expertos en moral?

R. G.

[texte communiqué par Antonio Henríquez]