M. Bourget croit encore aux duchesses. Quoi d'étonnant ? Il y a bien des gens qui croient aux revenants (Des pas sur le sable).



1. « Les Livres », Mercure de France, septembre 1890

2. « Epilogues », Mercure de France, janvier 1896

3. « Les Romans », Mercure de France, mai 1901


1. « Les Livres », Mercure de France, septembre 1890, p. 333

Un cœur de femme, par PAUL   BOURGET (Lemerre). — Ce roman nous paraît, de beaucoup, le plus faible de tous ses frères. Nous déclarons n'en avoir pas compris la signification et nous sommes absolument persuadé qu'il n'en contient aucune. Cela pourrait s'intituler — et pourquoi pas ! — Marguerite, ou deux amours, et au moins cela serait clair, tandis que c'est noir — je veux dire toute ma pensée — noir comme le rien, et noir comme l'absurde. Les personnages sont si vagues qu'on n'arrive à les distinguer l'un de l'autre que par un effort de comparaison, leurs actes étant empreints de cette banalité spéciale aux gens très riches et très snobs, collection que M. Bourget, avec une immense naïveté, appelle le monde. Leur activité se révèle par des actions sans intérêt, et tout se meut dans un brouillard plus anglais que le vrai brouillard anglais. Nous voilà loin des subtiles analyses de la vie par où cet auteur débuta dans le roman : celui-ci m'inquiète. — Et pourtant ce néant plaît, cela est déjà su, à de nombreuses femmes. C'est qu'il y a, même dans le plus mauvais Bourget, une certaine distinction, de discrètes caresses, une sympathie et nul mépris pour les inconséquences de leur nature, une constante habileté à les flatter, même quand il a l'air de les battre — et puis ce ton de supériorité dont elles sont toujours dupes ! Il faudrait sans doute se faire femme pour bien apprécier cette sorte de littérature. Mais voilà, peut-être, sa plus certaine condamnation.

R. G.


2. « Epilogues », Mercure de France, janvier 1896, p. 123 & « Nouvelle suite d'épilogues », Promenades littéraires, 7e série, 1927, p. 165

Epithète rare. — Du nouveau roman de M. Paul Bourget : Idylle tragique, chapitre premier : luxe brutal, atmosphère étouffante, richesse insolente, traits creusés, mains décharnées, sourire mutin.


3. « Les Romans », Mercure de France, mai 1901, p. 473

La lettre qui suit a été reproduite par Rachilde dans sa rubrique consacrée aux romans. C'est une réponse au passage suivant de la même rubrique du mois précédent, à propos du roman de Paul Bourget, le Fantôme :

[...] passons à la petite cuisine des fourneaux démocratiques, c'est-à-dire au plat du jour sur l'adultère. Le Fantôme est d'abord le titre d'un mystérieux et merveilleux petit roman qu'aucun lettré n'a eu le temps d'oublier, je pense, lequel est de Remy de Gourmont. Je vais probablement causer une désagréable surprise au Maître en lui apprenant que le Fantôme existe, car je ne doute pas une minute de son ignorance à ce sujet, mais, d'autre part, je vais impatienter M. Remy de Gourmont qui s'exaspère dès qu'on s'occupe de lui sans bon motif apparent. Donc n'ayant point hésité à pincer légèrement deux honnêtes écrivains qui m'ont, sans doute, déjà en sainte horreur, je vais entrer plus librement dans l'exercice de mes fonctions de condamné aux lectures forcées. Une femme possède un ami, un mari et une fille ; elle les trompe tous les trois avec un jeune homme, beaucoup plus jeune qu'elle, qui finit par épouser la fille pour tromper ladite fille, la trahir après la lettre en le souvenir, le Fantôme de sa mère. C'est fantastique d'invraisemblance [...]. Une jeune fille, à lire ça, n'éprouverait pas le plus petit frisson épidermique [...] (1).

(1) L'ensemble de l'article est lisible sur Gallica.

Chère Madame,

Vous me connaissez bien. Je n'aime guère à me trouver mêlé à des futilités. Et quoi de plus futile qu'un roman de M. Bourget ? Le Fantôme, serait-ce pas l'auteur lui-même trouvant ce moyen pour essayer d'imposer à un public impertinent la notion de sa quasi-existence ? Mais le spiritisme n'est plus guère à la mode. J'ai vu ce Fantôme et vous l'avez lu. Vous avez tous les dons, et même le courage que les hommes se voudraient réserver. Je ne puis donc que comparer mentalement mon petit roman au gros roman de l'illustre naufrageur et j'accorde au gros, bien volontiers, la supériorité du nombre et de la masse. Peut-être que dans cent ans on ne jugera plus la littérature avec des bascules ; peut-être qu'on ne la jugera plus du tout. Cela n'a aucune importance. Et d'ailleurs je ne suis pas un partisan très fervent de la propriété des titres. Il y a cinq ou six Faust et un seul est bon. Je crois bien qu'il y a beaucoup de Fantômes et qu'ils sont tous mauvais. Si vous aviez quelques moyens de communiquer avec le grand écrivain dont vous citâtes de si belles phrases, et si pures, je vous supplierais de lui insinuer quelqu'un de ces titres piquants dont vous êtes hérissée comme, d'aiguilles à têtes d'or, une pelotte de velours ; — car vraiment je voudrais bien voler à mon tour M. Bourget et j'en suis empêché. Me voyez-vous alignant des périodes en. vrai français de France sous ce titre pensif: Cruelle énigme ? Non, n'est-ce pas ?

Alors la vengeance m'échappe, — et je m'en console en vous priant de me croire votre fidèle confrère et ami.

REMY DE GOURMONT.

... Hélas, cher monsieur de Gourmont, on ne vole généralement que les riches... et je ne vois pas bien l'illustre académicien me volant, — pardon, — m'empruntant : l'Heure sexuelle ! A votre tour, vous en seriez un peu effaré, convenez-en, fort malicieux confrère, et vous ne manqueriez pas de vous écrier que le célèbre auteur mondain manque de goût. Nous serions, du reste, du même avis.