Emily Brontë (1818-1848) |
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1. « Sur Emily Brontë », Mercure de France, n°50, février 1894, pp. 176-177 Poète très exquis, l'un des trois ou quatre folk-loristes dont les opinions soient originales et controversables, M. Andrew Lang vient d'accomplir une œuvre de piété littéraire en écrivant sur les origines de la famille Brontë. Il n'a pu arriver jusqu'à l'évidence, mais il nous donne, toutefois, de précieuses indications, spécialement sur le grand'père des trois sœurs, Hugh II, qui était un extraordinaire visionnaire et un conteur capable de pétrifier ses auditeurs (and would hold the neighbours spell-bound by his narratives). Emily fut ce même Hugh, rené, affiné et perfectionné en une physiologie de femme, la magnifique créature qui voulut mourir debout, comme un empereur romain ! En des temps libres et fiers, venue, par exemple au XIIe siècle, Emily Brontë eût sans doute été une Hildegarde ; venue en une civilisation étroite, hiérarchisée, murée par des convenances, des usages, venue en une religion accablante, morne, dure, noire, elle ne fut rien que la fille intérieurement révoltée d'un pauvre pasteur anglican. A peine lui fut-il donné de dévoiler un peu de sa grandeur dans un roman, Wuthering-Heights, puis elle s'en alla n'ayant dit que le premier mot de son secret. Il nous souvient que M. Swinburne a avoué une profonde admiration pour ce livre ; la vie de l'auteur une perpétuelle tragédie muette n'en réclame pas une moins profonde. Et ses yeux ! Les yeux de Charlotte étaient délicieusement intelligents ; ceux d'Emily étaient intelligents effroyablement. Maintenant, figurez-vous que cette Hildegarde, ou cette Brigitte, naquit, vécut et mourut (toute jeune) dans un triste et misérable presbytère, et qu'elle écrivit là, avec les plus vagues notions du monde un livre de la plus furieuse révolte et de la plus sombre passion : il y avait en elle quelque chose de divin. (Wuthering Heights a été traduit et publié en français (chez Perrin) sous un titre absurde, l'Amant, et on en donna ici même un court compte-rendu, qu'il ne faut pas croire ; la préface de M. de Wyzewa aurait dû prémunir le « reviewer » contre les préjugés que légitiment, il est vrai, presque toujours les romans anglais. Ce « reviewer » me pardonnera une contradiction qui est plutôt pour moi une rectification.) (1) The Brontës in Ireland, by ANDREW LANG (Londres, Hodder and Stoughton). REMY DE GOURMONT. |