Colette par Rouveyre

Au Mercure de France, Colette, jeune mariée, ne fit d'abord aucune impression de surprise. Figure de petite paysanne endimanchée, peu indulgente, et gaffeuse !

Rémy de Gourmont se demandait si elle ne gaffait pas volontairement, Jean Marnold, lui, m'avoua : « En voyant Colette pour la première fois, je me demandais tout d'abord comment un homme aussi distingué que Willy avait pu prendre à femme une petite hurluberlue mal élevée. Hérold me répondit, en psychologue plus sûr, que cette apprentie lui faisait l'effet de révéler un tempérament peu ordinaire et que Willy était homme à en faire quelque chose ».

Dans cette compagnie spirituelle et érudite du Mercure de la rue de l'Echaudé-Saint-Germain, Colette ne se fit d'abord remarquer que par son allure enjouée et un sans-gêne qui avait tout l'air d'être son naturel.

(Sylvain Bonmariage, Willy, Colette et moi, Editions Charles Frémanger, 1954, p. 50)


Mariés, Colette et Willy s'installèrent, rue Jacob, dans un quatrième ou cinquième étage où je ne les ai pas connus. Rémy de Gourmont est d'accord avec Rachilde et avec Gustave Kahn. Tous trois, séparément, m'ont raconté qu'ils formaient le plus gentil ménage du monde et que Colette adorait son mari. « Son bon grrros dont elle faisait tout ce qu'elle voulait ».

Cette dernière assertion me laisse assez sceptique. Willy, toute sa vie, avec son allure de bonhomie, n'a fait que ce qui lui plaisait, et il a fait plier les autres à sa volonté. Il ne jouait point, comme son vieil ami Barrès, au professeur d'énergie. Son obstination n'était que celle d'un Comtois têtu.

Tristan Bernard, qui était du même pays, exactement de Dôle, s'amusait à retrouver sous les dehors patriciens et la haute distinction de Willy les caractères divers des paysans jurassiens... « Jura, mais un peu tard »... disait Willy.

Je ne crois pas du tout, selon Rémy de Gourmont que Colette, aimante et séduisante, ait jamais fait de Willy ce qu'elle voulait. J'ai des raisons de penser que Willy, amusé par la spontanéité de sa femme, voyait en elle l'ébauche dont, bon statuaire, il pourrait tirer une sculpture pittoresque, curieuse, idéale. Et tout me porte à croire qu'il s'y employait.

Colette, à ce moment, ne songeait pas à écrire. Elle rêvait de théâtre, de danses. Et. tout en la formant, Willy fut toujours ou bien bourgeois, casanier, pot-au-feu, ou carrément bambocheur.

(Sylvain Bonmariage, Willy, Colette et moi, Editions Charles Frémanger, 1954, pp. 56-57)