Relu le Petit Chose. Grossièreté et uniformité des procédés. Sans oublier tout le bric-à-brac social et municipal. Rien qu'un joueur de Tutu-Pan-Pan – comme disaient, sans s'être concertés Gourmont et Rivière (Alain-Fournier à Jacques Rivière, 22 août 1906).


1. « M. Alphonse Daudet », Epilogues, Mercure de France, 1903.

2. « Nouvelle suite d'épilogues (1895-1904). La gloire », Promenades littéraires, 7e série, Mercure de France, 1927.


1. « M. Alphonse Daudet », Epilogues, Mercure de France, 1903, pp. 197-202.

[Janvier 1898].

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M. Alphonse Daudet. — M. Daudet était mort depuis si longtemps qu'on s'explique mal l'abondant fleuve de larmes qui a coulé le long des colonnes de la presse. Sans doute, en ces dernières années, il lutta passionnément contre la surdité d'un cerveau vieilli avant l'âge, mais ce spectacle assez pénible ne fut pas spécialement émouvant, pour ceux qui n'étaient ni de ses familiers, ni de ses amis littéraires. Etait-il vraiment si aimé ? Je crois qu'il était surtout craint, et que cette crainte lui a survécu. Un jour j'entendis : « Vous vous attaquez à Daudet, prenez garde : il ne pardonne jamais ! » Ce n'est qu'une anecdote, mais pourquoi ne l'opposerait-on pas à la pleurarde reconnaissance de tant de sous-littérateurs abondamment encouragés par un homme qui méprisait toutes les expressions nouvelles de l'art ?

De l'écrivain, après le ton adopté par les journaux, tout ce que l'on pourra écrire de sincère et de calme paraîtra injurieux. « Cervantès n'a fait qu'un Don Quichotte, a dit à peu près M. Coppée, Daudet en a fait trois ! » L'excuse de M. Coppée est que, pour lui tirer cette appréciation extraordinaire, on vint interrompre son premier sommeil ; je suis sûr qu'en se relisant, le lendemain matin, il a souri... Il était trop tard. Avant trois mois, les réclames de librairies auront popularisé cette nouvelle à la main que les simples prendront au sérieux. Tartarin n'est, en ses trois tomes, qu'une longue et puérile facétie. Le type sans doute reste et peut-être restera, mais qui a inventé Calino et Gribouille ? Il y a dans le théâtre comique trois cents personnages qui auraient pu devenir populaires avec la collaboration du hasard : Hamlet n'est pas un type, ni Faust, ni aucune des grandes figures qui vivent dans les grandes œuvres, à l'exception peut-être de Don Quichotte dont le public d'ailleurs n'a jamais apprécié que le côté comique ; Tartufe, en ce qu'il a d'éternel, préexistait à Molière. Ensuite, il ne faut pas confondre le type, fabrication tout anecdotique avec le caractère, création logique et raisonnée. Ces remarques vont paraître insidieuses, mais je tiens à ce que dans dix ans on puisse me relire sans rire.

Après Tartarin, œuvre d'un intérêt purement régional, Jack, fut un des principaux titres de M. Daudet à la gloire. C'est, à la suite de Dickens, une exploitation assez maladroite du sentiment maternel et de la pitié que l'on éprouve pour un enfant presque abandonné et malmené. Calqués sur des personnages de David Copperfield, les personnages de Jack sont factices, inexistants et mensongers. Quoique repris en retouches d'après des êtres réels et coudoyés par l'auteur, ils ont une insupportable odeur de théâtre et de convention.

Le Nabab m'a laissé un meilleur souvenir : c'est peut-être le seul roman de M. Daudet où l'on sente la pleine sincérité d'un homme qui a eu des heures d'émotion profonde ; c'est aussi le plus personnel et le mieux écrit. On n'y sent pas encore, comme dans le Sapho, l'influence, d'ailleurs heureuse, de Goncourt.

Il y a dans Numa Roumestan un tambourinaire qui ne sait faire que tu-tu, pan-pan. M. Daudet fut le tambourinaire qui fait tu-tu pan-pan avec génie : il s'agit de ses contes. Là il est supérieur et, en un certain sens, inégalable. Il était causeur ; c'est presque être conteur ; il était du midi : c'est le pays où les phrases font des bruits de cigales. Donc il conta délicieusement. Les « Contes de Daudet », voilà ce qui, d'une œuvre inégale, pourrait bien durer le plus longtemps et peut-être très longtemps. Il conte comme il raconte, et avec un plaisir évident, souriant, communicatif ; c'était sa vocation. On dirait que ses romans lui ont été imposés soit par l'amour-propre, soit par ce désir, dont nous sommes tous tourmentés, de tenter les œuvres les plus opposées à notre tournure d'esprit. M. Daudet s'en tira en organisant des romans qui sont des superpositions de contes, — pyramides faites, non d'un bloc, mais d'un tas de pierres, d'ailleurs fort adroitement combinées.

Malgré un style peu original, trop en gestes aussi et en apostrophes, monotone quoique mouvementé, M. Daudet fut un écrivain des plus agréables. S'il avait parfois pris le temps de penser, si ses contes étaient parfois gros d'une idée, on ne sait pas bien ce qui leur manquerait pour être des chefs-d'œuvre ; mais il faut reconnaître que la grâce, l'esprit, la fantaisie, l'abondance, l'invention ne suffisent pas à faire un grand écrivain. M. Daudet ne peut être mis au rang de Flaubert, de Villiers ou de Goncourt ; l' « unanimité » de la presse à l'élever au sommet ne doit pas nous troubler, nous savons de quoi sont faites les majorités et nous savons aussi que la tendance démocratique est de réserver les statues et les fleurs aux seuls écrivains qui ont eu d'abondants et fructueux succès. C'est d'ailleurs tellement naturel et tellement logique, que la moindre protestation serait inutile. Comment faire comprendre au public qu'un homme élu par lui n'est pas le meilleur et comment lui faire comprendre qu'il y a de grands talents ignorés de lui, public, souverain juge ?

Mais celui-là même qui est le favori du public n'est pas toujours dupe de cet amour un peu gênant ; M. Daudet a souffert, depuis l'Immortel de sentir sa réputation littéraire moindre que sa réputation populaire : il est bien possible qu'il y eût une réciprocité d'injustice dans le dédain que lui témoignèrent depuis dix ans les écrivains de l'âge symboliste.


2. « Nouvelle suite d'épilogues (1895-1904). La gloire », Promenades littéraires, 7e série, Mercure de France, 1927, pp. 202-203.

[Février 1898].

La Gloire. — « La mort de M. Daudet a été signalée en ces termes par l'agence Reuter aux journaux français et anglais d'Egypte et d'Orient : Alphonse Daudet, directeur du théâtre Ferry à Londres, vient d'être poignardé en entrant au théâtre... »


« Opinions sur Daudet », Revue encyclopédique Larousse, janvier-juin 1898, p. 80