1. « François Maynard. Poète toulousain », La Dépêche (Toulouse), mardi 4 janvier 1910, n°15153, p. 1 [recueilli dans Promenades littéraires, 4e série, 1912, sous le titre « François Maynard »]

FRANCOIS MAYNARD

Parmi les poètes de la première moitié du XVIIe siècle, François Maynard tient une belle place. Cette époque fut la plus féconde en poètes que connut la France. Jamais, même aux temps romantiques, il n'y eut autour des muses assemblée si docte en l'art de bien dire. Malherbe règne, mais l'ombre de Ronsard plane toujours sur le Parnasse, éveillant les vocations que le poète normand corrige et dirige. A vrai dire, ce ne sont pas des poètes de premier plan. Aucun n'est vraiment créateur de sa manière ; ils sont tous dominés ou par l'abondance lyrique de Ronsard ou par la sévère éloquence de Malherbe, mais dans le détail leur originalité très vive et très réelle a fait ce miracle de les sauver de l'oubli, et leur gloire demeure indépendante de celle de leurs maîtres. Le maître de Maynard fut Malherbe ; homme du Midi, il accepta la discipline de l'homme du Nord et s'en trouva bien. A quelques égards même, on peut le trouver supérieur à Malherbe ; il a moins de pompe, mais plus de souplesse ; et parfois l'on voit en lui une mélancolie tendre et harmonieuse, à laquelle n'arriva jamais le poète normand, qui d'ailleurs avait d'autres soucis. Tous deux furent grands amis et vécurent pareillement dans un libertinage effréné. Il n'y paraît pas dans les vers de Malherbe ; il y paraît beaucoup dans ceux de Maynard, qui semble avoir rêvé d'abord la gloire d'un Martial, dont ses priapées ne sont pas indignes. Il est vrai que Malherbe y a participé, puisqu'il voulut bien corriger certaines épigrammes libertines de son ami. Malherbe admettait tous les genres, hors le genre incorrect ; le libertinage lui agréait, hormis en poétique. Il avait débuté en un temps où ce qu'on appelle maintenant, à tort ou à travers, « la pornographie », était fort à la mode. Henri IV trouvait toujours qu'il n'y en avait pas assez, s'informait si on n'allait pas bientôt lui donner quelque gaillardise. Si Malherbe rédigea peu de vers libertins, il en transmit la tradition et en propagea le goût. On sait où cela mena Théophile ; Maynard échappa à la persécution par son éloignement de Paris et par sa profession : il était magistrat.

Un professeur, M. Charles Drouhet, vient de nous conter sa vie avec abondance et mauvaise humeur. Il y a consacré six cents pages in-octavo, et croit qu'à ce taux Maynard lui appartient exclusivement, si bien qu'il a commencé par défigurer son nom, en lui ôtant son y, sous prétexte que le poète signait souvent ainsi. Mais outre qu'en ce temps-là on avait un souci médiocre de l'orthographe en général et de celle des noms de famille en particulier, il y a pour les noms de l'histoire littéraire une tradition à laquelle il faut se conformer, sous peine d'introduire le désordre dans une science qui est déjà fort mal connue. Si le public qui n'a pas fréquenté les archives voit un nom, qu'il a eu quelque mal à retenir, écrit de plusieurs façons, il l'oubliera tout à fait, pour ne pas se casser la tête. Je ne goûte pas beaucoup ces trouvailles de l'érudition. A la première vue du livre, on pourrait croire qu'il s'agit d'un homonyme, le Nîmois François Menard, auteur d'un recueil de vers qu'on a longtemps attribué à notre Maynard, jusqu'à ce que M. Lachèvre tranchât la question. Je continuerai donc à dire François Maynard. Il naquit à Toulouse en 1582 ou 1583, au milieu des troubles des guerres de religion, au moment où les deux partis rivalisaient de fanatisme. Son père, qui se nommait Géraud, était conseiller lai (c'est-à-dire laïque) au Parlement de Toulouse et jurisconsulte notoire, d'ailleurs ayant la Réforme en exécration, un peu l'inspirateur de ceux qui devaient brûler Vanini. Son fils en cela ne lui ressemble guère, mais les esprits étaient singulièrement apaisés quand il fit ses débuts dans le monde. A une génération entêtée dans ses idées succède généralement une génération sceptique : ainsi le veut le cours naturel des choses et probablement le bien des hommes. Chose rare, Maynard lui-même se vante de sa roture :

Et je n'ai pré, ni vigne ni bois (1),
Qui ne soit sujet à la taille.

Pour avoir trop souffert de la gent armée, il n'a qu'une petite estime pour le militaire et a soin de proclamer :

Ma race infertile en guerriers,
N'est célèbre que par le code.

Il fut avocat, fit son stage au barreau de la Grand-Chambre en robe longue et en bonnet carré, puis, profitant de la paix apportée par Henri IV, attiré par la tentation « d'acquérir du nom et des trésors », il gagna Paris. C'était, tout comme aujourd'hui, la mode. Des protecteurs le firent entrer à l'hôtel de Sens en qualité de secrétaire de Marguerite de Valois, aux appointements de 400 écus. Cela donnait 3.600 francs de notre monnaie. Marguerite aimait la lecture et quelquefois le lecteur. Ce qui était entamé devait être achevé, nonobstant le manger et le dormir. Souvent aussi, elle dictait prose ou vers ou bien engageait quelque conversation galante avec ses poètes favoris. Desportes, abbé de Tyron, qui avait été son amant. Porchères, le poète provençal, Mathurin Régnier, qui alors faisait des élégies. Ou bien encore on contait des contes galants. Maynard mit son talent naissant au service de la reine. Il pleura en vers fort agréables son dernier amant, tué par un rival. Ce Damon de l'alcôve royale s'appelait dans le siècle Saint-Julien et était le fils dun chapeautier d'Arles. La jeunesse et la beauté mènent à tout. Cependant Maynard ne voulut peut-être pas succéder à Damon. La reine n'était plus guère engageante. Toujours est-il qu'il reçut son congé. Il alla alors loger dans le quartier Saint-Eustache, non loin de Malherbe, qui habitait rue Croix-des-Petits-Champs, dans une hôtellerie sur l'emplacement de laquelle passe la rue Montesquieu. Malherbe, qui avait ses grandes entrées à la cour, l'introduisit près d'Henri IV. Au Louvre, Maynard commençait de divertir le roi et les courtisans par ses cruelles épigrammes et ses pièces licencieuses, quand Ravaillac troubla la fête. Il n'avait eu le temps de rien tirer du roi, ni place, ni pension ; aussi, sans confiance dans l'avenir, reprit-il tristement le chemin de sa province natale. Rentré à Toulouse, avec la dot de demoiselle Gaillarde de Boyer, il acheta, en 1611, l'office de président du tribunal d'Aurillac.

A Aurillac et à Saint-Céré, où il possédait vignes et labours, François Maynard, dont la charge, de petit revenu, était peu assujettissante, mena une vie de franche lippée : bonne cuisine et femmes faciles. Il avait renoncé à celles qui étaient difficiles, celles qui vous font soupirer longtemps et il se rejetait sur les autres, « les Calistes de champs », comme il les appelle :

J'en veux aux femmes de village,
Je n'aime plus en autre part.

Pourtant il gardait en son cœur et il garda toute sa vie une passion secrète pour une certaine Clovis, qui joua dans sa vie de poète le plus beau des rôles, puisqu'elle lui inspira ce poème admirable, la Belle Vieille. Mais n'anticipons pas. A ce moment, il espère encore et sa vie est trop épicurienne pour laisser place à la mélancolie.

Cependant avec l'âge et les charges de famille, Maynard devient, sinon grave, du moins plus sérieux. Le revenu de sa charge étant de plus en plus insuffisant, il la vend et s'achemine de nouveau vers Paris, chercher la fortune qu'il n'avait pas rencontrée lors de sa jeunesse. Il cajola le grand cardinal qui, obsédé, répondit brutalement : « Rien. » Impossible d'insister. Il s'en revint assez penaud, n'ayant récolté qu'une place à l'Académie naissante, place qu'il ne pourra occuper que dix-sept ans plus tard, en 1645, un an avant sa mort, la destinée l'ayant pour un temps très long éloigné de Paris. Après l'avoir refusé, il accepta le poste de secrétaire d'ambassade près du comte de Noailles, qui allait à Rome. Sa femme était percluse, il venait de perdre son fils aîné et une fille : l'Italie lui serait peut-être une consolation. Mais on le fit travailler, et cela ennuya ce gros paresseux. Il ne trouva pas Rome divertissante : « Il vaut mieux, disait-il, être misérable à Paris, que riche à Rome. » La cuisine surtout l'exaspéra. Ce n'étaient que pâtes et médiocres brouets, raves et fenouil. Saint-Amant, lui aussi, se plaignait de la passion des Romains pour le fenouil. Mais cela dura peu. Noailles fut disgracié, sa maison licenciée. Maynard regagna Saint-Céré, et là il vécut petitement de ses médiocres vignes et de ses châtaigneraies, s'occupant de l'éducation de ses enfants, se plaignant des impôts qui lui prennent tout son argent liquide :

Je réserve tout mon denier
Pour la taille et pour la milice.

C'est alors que Toulouse le découvrit et le fêta. Les Jeux Floraux, encore assez éclatants, avaient offert à Ronsard une églantine de haut prix, à Baïf un Apollon d'argent ; ils offrirent à Maynard une Minerve d'argent. Rappelé ainsi au sentiment de sa gloire, il rassembla ses œuvres, qui n'avaient encore été imprimées qu'en des recueils collectifs — les petites revues de ce temps-là — et partit pour Paris à la recherche d'un éditeur, et par la même occasion de quelques suprêmes faveurs ; Seguier le nomma conseiller d'État, titre sans beaucoup plus de valeur alors qu'aujourd'hui en Russie, où il correspond à officier d'Académie. Déçu, il chercha à se remarier. Il avait retrouvé sa Clovis d'autrefois, devenue veuve, comme lui-même, depuis peu. Elle le refusa. Il en conçut moins de dépit que de douleur, et c'est, dit-on, à cette occasion qu'il écrivit la Belle Vieille, qui est un des chefs-d'œuvre de la poésie française. C'est là qu'on trouve cette strophe d'une si noble mélancolie, qu'on dirait écrite d'hier matin, tant elle est fraîche :

L'âme pleine d'amour et de mélancolie,
Et couché sur des fleurs et sous des orangers,
J'ai montré ma blessure aux deux mers d'Italie
Et fait dire ton nom aux échos étrangers.

Les œuvres parurent enfin, en un bel in-quarto, chez Augustin Courbé, achevées d'imprimer le 15 juin 1646. Ayant pu assister enfin à quelques séances de l'Académie française, il mourut à la fin de la même année. Mon exemplaire, qui est signé d'une écriture très lisible, De Seignelai, 1692, sur le titre, porte, de cette même écriture, la note suivante, au verso de la page 365 : « M. Meinard mourut le 28 décembre 1646, âgé de 64 ans. Quelque temps avant sa mort, il avait fait le quatrain suivant, qui témoigne le dégoût qu'il avait de la cour et de son siècle, et il avait fait mettre ce quatrain pour inscription sur la porte de son cabinet. Le voici :

Las d'espérer et de me plaindre
Des Muses, des grands et du sort,
C'est ici que j'attends la mort,
Sans la désirer, ni la craindre. »

(1) Il semble qu'il y ait une syllabe de trop (note des Amateurs).