Robert de Montesquiou par Vallotton.

1. Lettre de R. de Gourmont à Robert de Montesquiou, Imprimerie gourmontienne n° 8, 1923.
2.
« Robert de Montesquiou », Le Livre des Masques, Mercure de France, 1896.


1. Lettre de R. de Gourmont à Robert de Montesquiou, Imprimerie gourmontienne n° 8, 1923.

Lettre de Gourmont à Montesquiou.


2. « Robert de Montesquiou », Le Livre des Masques, Mercure de France, 1896.

Robert de Montesquiou

Au premier envol de ses Chauves-souris en velours violet, la question fut très sérieusement posée de savoir si M. de Montesquiou était un poète ou un amateur de poésie et si la vie mondaine se pouvait concilier avec le culte des Neuf Sœurs ou de l'une d'elles, car neuf femmes font beaucoup de femmes. Mais disserter sur de tels propos, c'est avouer que l'on n'est pas familier avec l'opération de logique qui s'appelle la dissociation des idées, car il semble de justice élémentaire d'évaluer séparément la valeur ou la beauté de l'arbre et de ses fruits, de l'homme et de ses œuvres. Si l'on veut, joyau ou caillou, le livre sera jugé en soi, sans souci de la mine, de la carrière ou du torrent dont il sort, et le diamant ne changera pas de nom, qu'il vienne du Cap ou de Golconde. La vie sociale d'un poète importe aussi peu au critique qu'à Polymnie elle-même, qui accueille en son cercle, indifféremment, le paysan Burns et le patricien Byron, Villon le coupeur de bourses et Frédéric II, le roi : l'armorial de l'Art et celui d'Hozier ne se rédigent pas du même style.

Donc nous ne nous inquiéterons pas de démêler le lin de cette quenouille ni de rechercher ce que le nom de M. de Montesquiou et son état d'homme du monde ont pu ajouter d'illusoire à la renommée du poète.

Le poète, ici, est « une Précieuse ».

Vraiment si ridicules ces femmes qui, pour se mettre au ton de plusieurs fins et galants poètes, imaginaient de nouvelles façons de dire et, par haine du commun, singularisaient leur esprit, leurs costumes et leurs gestes ? Leur crime, après tout, fut de ne pas vouloir « faire comme tout le monde » et il semble qu'elles l'aient assez payé cher, elles — et toute la poésie française qui, pendant un siècle et demi, craignit vraiment trop de ridicule. Les poètes sont enfin délivrés de telles affres ; tous les jours davantage il leur est permis d'avouer toute leur originalité ; loin de leur défendre de se mettre à nu, la critique les encourage à l'habit sommaire et franc du gymnosophiste : seulement quelques-uns le portent tatoué.

Et voici enfin la vraie querelle à faire à M. de Montesquiou : son originalité est tatouée excessivement. La beauté de cet aède rappelle, non sans mélancolie, les figurations compliquées dont se voulaient ornementés les anciens chefs australiens, mais en vérité il se pare avec un art moins ingénu ; il y a même un raffinement singulier dans les nuances et dans le dessin et des hardiesses amusantes de ton et de lignes. Il réussit l'arabesque mieux que la figure et la sensation mieux que la pensée. S'il pense, c'est comme les Japonais, par des signes idéographiques :

Poisson, grue, aigle, fleur, bambou qu'un oiseau ploie.
Tortue, iris, pivoine, anémone et moineaux.

Il aime ces juxtapositions de mots, et quand il les choisit, comme ceux-là, doux et vivants, le paysage qu'il veut s'évoque assez agréablement, mais souvent on ne voit, se découpant sur un ciel artificiel, que des formes inconnues et dures, des processions de larves carnavalesques. Ou bien, femmes, fillettes, oiseaux, ce sont des bibelots déformés par une fantaisie trop orientale ; bibelots et babioles :

Je voudrais que ce vers fût un bibelot d'art,

dit l'esthétique de M. de Montesquiou, mais le bibelot n'est qu'une chose amusante et fragile à mettre sous une vitrine ou dans une armoire — oui, plutôt dans une armoire. Alors, allégé de toutes cette rocaille, de toutes laques, de toutes ces pâtes tendres et, comme lui-même le dit spirituellement, de tous ces « infusoires d'étagères », le musée du poète deviendrait un agréable promenoir, où l'on rêverait avec plaisir devant les multiples métamorphoses d'une âme inquiète de donner à la beauté une grâce neuve et nuancée. Avec la moitié des Hortensias bleus, on ferait un tome, encore très dense, qui serait presque tout entier de fine ou de fière ou de douce poésie. L'auteur d'Ancilla, de Mortuis ignotis et de Tables vives apparaîtrait ce qu'il est vraiment, hors de tout travesti — un bon poète.

Voici une partie de Table vives, dont le titre est obscur, mais dont les vers sont de belle clarté, malgré le son trop connu de quelques rimes trop parnassiennes et quelques incertitudes verbales :

...Apprenez à l'enfant à prier les flots bleus,
Car c'est le ciel d'en bas dont la nue est l'écume,
Le reflet du soleil qui sur la mer s'allume
Est plus doux à fixer pour nos yeux nébuleux.

Apprenez à l'enfant à prier le ciel pur,
C'est l'océan d'en haut dont la vague est nuage.
L'ombre d'une tempête abondante en naufrage

Pour nos cœurs est moins triste à suivre dans l'azur.

Apprenez à l'enfant à prier toutes choses :
L'abeille de l'esprit compose un miel de jour
Sur les vivants
ave du rosaire des roses,
Chapelet de parfums aux dizaines d'amour...

En somme, M. de Montesquiou existe : hortensia bleu, rose verte ou pivoine blanche, il est de ces fleurs qu'on regarde avec curiosité dans un parterre, dont on demande le nom et dont on garde le souvenir.

Robert de Montesquiou, La Revue française, n°17, 29 avril 1923.