1. « Renoir », Le Vase magique, Le Divan, 1923

RENOIR

Je suis allé hier voir un grand peintre, un des plus grands qui furent jamais, sans doute, et le plus lumineux. Comme il n'a jamais exposé aux Salons, comme il n'a aucune situation officielle, comme il s'est donné tout entier à son métier de peintre, il n'est pas excessivement connu du public. C'est ainsi. L'exposition de la rue Richepanse donne un sommaire de son œuvre presque année par année, de 1867 à 1913, car Renoir, qui a maintenant quatre-vingts ans, n'a toujours qu'une joie, peindre, et il n'a jamais eu plus de talent. Cet homme extraordinaire n'a peut-être pas encore atteint à l'apogée de son génie. Un des plus beaux tableaux qu'il ait faits est tout récent. C'est quand, la main nouée de rhumatismes, il s'était fait attacher au bras son pinceau. Renoir est la peinture incarnée. Il a traversé toutes les phases. Il a procédé de Courbet, de Manet, voire de Rembrandt, puis tout à coup il a découvert la lumière et depuis il s'y roule, il s'y baigne, il y respire. Jamais on n'a comme lui incorporé, si j'ose dire, la lumière dans un tableau. Ses portraits [89], ses nus féminins ne se détachent pas de la lumière ; ils sont la lumière même ; ils sont modelés avec elle ; ils sont de l'irréel dans la plus stricte réalité. La lumière se laisse manier par lui ; il lui donne une forme ; il lui donne la vie. Les tableaux de Renoir, dans sa dernière manière, sont des miracles. Mais comment nommer ceux de vers l'année 1880, si frais, si transparents, si heureux ? On croit à peine qu'une telle nature ait existé. Comme nous devons de reconnaissance à celui qui a vu et qui nous permet de voir après lui des scènes comme la Fête de Pan ! C'est du Verlaine, disions-nous il y a vingt ans. C'est autre chose, dirais-je maintenant, c'est du Renoir. Cet homme est unique. Il ne faut le comparer qu'à lui-même. [90]


Sur Renoir, lire aussi : « Idées et Paysages : XXII. L'œil de Claude Monet », Promenades philosophiques, 1905.