Renée Vivien

Renée Vivien


Renée Vivien

Je ne sais de Renée Vivien (Pauline Tarn) que ce qu'elle a révélé d'elle-même dans ses livres. On l'a dite d'origine étrangère, « pétrie de races différentes, née de climats aussi divers que le Sud et le Nord ». M. Charles Maurras, qui nous donne ces renseignements, ajoute : « La moitié de ses Brumes est traduite du norvégien. Elle cite Swinburne, mais ne paraît pas moins familière avec le latin de Catulle et le grec de Sapho, qu'elle traduit et paraphrase à tout instant. » Sa poésie, où elle a mêlé l'intuition des poètes du nord, leur inquiétude, à la volupté et à la sérénité orientale, me semble comme une tentative d'équilibrer ces diverses tendances et hérédités qui luttaient en elle.

Il y a, en effet, dans ses vers, un goût de l'analyse subtile qui se marie à une sorte de fatalisme. Elle a écrit elle-même à propos de Sapho : « Les Lesbiens avaient l'attrait bizarre et un peu pervers des races mêlées. La chevelure de Psappha, où l'ombre avait effeuillé ses violettes, était imprégnée du parfum tenace de l'Orient, tandis que ses yeux, bleus comme les flots, reflétaient le sourire limpide de l'Hellas. Ses poèmes sont asiatiques par la violence de la passion, et grecs par la ciselure rare et le charme sobre de la strophe. »

Cette double qualité, la violence de la passion et la sobriété du style, se retrouve et la sobriété du style, se retrouve dans l'œuvre de Renée Vivien. Nouvelle Sapho, elle a chanté les mêmes amours que l'aède de Lesbos, mais elle a comme christianisé l'émotion de Sapho, en substituant à la sérénité de la poétesse grecque une sorte de perversité romantique. Ces idées de vice et de péché associées à ces gestes si simples et naturels leur donnent une valeur nouvelle :

L'art délicat du vice occupe tes loisirs.
.....
Et les gardénias fragiles des hivers
Se meurent dans tes mains aux caresses impures.
.....
Sous les flots de satin savamment entr'ouverts,
Ton sein s'épanouit en de blanches luxures.
.....
... Fleurit, enveloppé d'haleines de luxures,
Lis profane, ton corps pâle et voluptueux.

La poésie elle-même se fait vice pour être sentie voluptueusement :

Ta bouche délicate aux fines ciselures !
Excelle à moduler l'artifice des vers.

La prêtresse n'oublie jamais que ces amours saphiques qu'elle chante sont une religion secrète, ignorée ou méprisée du vulgaire. Elle trouve une sensualité intellectuelle dans cet aristocratisme de la sensation et du sentiment. Ces amours sont aussi sentimentales que les autres, d'une horlogerie sentimentale plus délicate et plus compliquée que les autres.

Et j'espérais qu'enfin jaillirait le soupir
De nos cœurs confondus, de nos âmes mêlées...

Mais toujours ce parfum de péché et de tristesse qui se mêle à l'odeur des chairs blanches, comme si, au delà de ces caresses, qu'elle qualifie d' « impures », elle cherchait, en effet, l'amour infini, absolu, l'amour pur qui ne se manifeste pas par la frénésie des étreintes :

Je baiserai tes mains et tes divins pieds nus
Et nos cœurs pleureront de s'être méconnus,
Pleureront les mots vils et les gestes infâmes.

Il y a, dans ces poèmes, des notations d'une très subtile délicatesse et d'une très délicate perversité. La poétesse chante comme pour endormir une peine profonde : elle écoute sa propre voix ou celle de son amante :

Parle-moi de ta voix pareille à l'eau courante,
Lorsque s'est ralenti le souffle des aveux,
... O mon harmonieuse, et musicale amante !
... Car, si tu t'arrêtais, ne fût-ce qu'un moment
J'entendrais... j'entendrais au profond du silence
Quelque chose d'affreux qui pleure horriblement.

C'est que, décidément, ces tendresses, ces caresses, pourtant douces comme des cous de cygnes, ne lui semblent être que l'ombre des joies qu'elle rêve : alors, tout se fait amertume, et c'est dans cette amère perversité que la Muse trouvera son bonheur. Voici un petit poème : Victoire, qui caractérise bien cette inspiration baudelairienne, quoique sur un mode mineur, et féminisée.

Donne-moi tes baisers amers comme des larmes,
Le soir, quand les oiseaux s'attardent dans leurs vols,
Nos longs accouplements sans amour ont les charmes
Des rapines, l'attrait farouche des viols.
Tes yeux ont reflété la splendeur de l'orage...
Exhale ton mépris jusqu'en ta pâmoison.
O très chère ! — Ouvre-moi tes lèvres avec rage :
J'en boirai lentement le fiel et le poison.
J'ai l'émoi du pilleur devant un butin rare
Pendant la nuit de fièvre où ton regard pâlit...
L'âme des conquérants, éclatante et barbare,
Chante dans mon triomphe au sortir de ton lit !

On serait tenté de qualifier cette poésie d'artificielle ; mais on devine que c'est avec sincérité que la poétesse s'est suggestionnée cette perversité, qui donne une valeur à ses sensations. Elle en arrive à une acuité de lamentation qui est belle :

Et le sanglot aigu pareil à la détresse.

Pourquoi cette détresse ? que cherche donc cette femme, au-delà de l'accord parfait des étreintes et des spasmes ? On dirait qu'elle ne peut pas trouver ce repos spontanément absolu de sa sensibilité détendue, ou du moins que le rythme de ses vers seul le lui peut donner. Le rythme de ces vers est, en effet, harmonieux comme une caresse graduée vers l'étouffement final de la joie : il recrée l'état inquiet du désir, et cette « pureté dernière » des yeux, avant que l'extase les ait envahis et troublés. Mais, souvent, le style de Renée Vivien se fait abstrait et ne veut retenir que le dessin des étreintes. La poétesse, avec méthode, décortique sa sensation à froid, et, ainsi dessinés, ces amours atteignent une pureté et une chasteté mystiques. Vraiment, ce sont-là jeux de petites filles très pures et même très pieuses : elles croient à l'amour et s'entrebaisent avec une respectueuse adoration. Pourtant cette adoration s'agenouille et se fait plus sensuelle ; c'est la communion :

Sous ta robe, qui glisse en un frôlement d'aile,
Je devine ton corps, — les lys ardents des seins,

L'or blême de l'aisselle,

Les flancs doux et fleuris, les jambes d'Immortelle,
Le velouté du ventre et la rondeur des reins.
... Voici la nuit d'amour depuis longtemps promise...
Dans l'ombre je te vois divinement pâlir.

Cette poésie est beaucoup plus mystique que sensuelle ; parfois aussi, dans ces chants, on ne distingue pas la spécialité de l'inspiration : il y a là des poèmes qu'un amant pourrait réciter à son amante ; il nous faut, pour restituer à cette poésie la perversité qu'elle exige, imaginativement mêler une double chevelure, écraser les pommes jumelles des seins, joindre les bouches aux lèvres et les lèvres aux bouches, évoquer l'accord odoral des chairs brunes et blondes des femmes : la mer et la forêt ; les algues, le muguet, la rose et la framboise.

Si, en lisant les poèmes de Renée Vivien, on ne peut s'empêcher de songer à Baudelaire, par cette perversité voulue et par cette sérénité et cette perfection, voulues aussi, de la forme, quelques subtilités sentimentales plus actuelles nous rappellent Verlaine, le Verlaine qui chanta les Amies. La poétesse s'écrie sur le mode verlainien :

Et comment jamais retrouver
L'identique extase farouche !

Et puis voici quelques strophes d'une chanson, qui exprime cette timidité craintive devant l'amour que Verlaine a dite, tant de fois :

J'ai peur de ce frisson nacré
De tes frêles seins, je ne touche
Qu'en tremblant à ton corps sacré,
J'ai peur du charme de ta bouche,
... Mais, quand, si blanche entre mes bras,
A mon cri d'amour qui se pâme
Tu souris et ne réponds pas,
Tes yeux fermés me glacent l'âme...
J'ai peur...
De t'avoir peut-être fait mal
D'une caresse involontaire.

Ces deux derniers vers sont aussi beaux qu'un fragment d'ode de Sapho (1). Renée Vivien, qui a traduit Sapho, a longtemps rêvé devant ces strophes mutilées, et a tenté de les reconstituer, mais, quoique conformes à l'inspiration saphique, ces vers nous semblent, trop souvent, la paraphrase plus que le logique prolongement de la pensée de la Muse grecque : Renée Vivien interprète en seize vers cette inscription :

Renée Vivien

Envers vous, belles, ma pensée n'est point changeante.

Là où Sapho n'a fait que suggérer une comparaison, Renée Vivien la révèle et la développe, ôtant ainsi à cette poésie son charme de mystère :

Telle une douce pomme rougit à l'extrémité de la branche, à l'extrémité lointaine : les cueilleurs de fruits l'ont oubliée ou, plutôt, ils ne l'ont pas oubliée, mais ils n'ont pu l'atteindre.

Au bout de quelques strophes, Renée Vivien nous impose cette interprétation, que la poétesse grecque nous laissait plus savamment deviner :

La savante ardeur de l'automne recèle
Dans ta nudité les ombres et les ors.
Tu gardes, ô vierge inaccessible et belle,

Le fruit de ton corps.

Mais, cette restriction faite, les poèmes de Sapho furent, pour Renée Vivien, un stimulant de son imagination ; et davantage encore : dans la digne sérénité de la poétesse grecque, la muse française a trouvé le beau courage de chanter à haute voix les joies, les bonheurs et les tristesses d'amours secrètes. Elle a imposé orgueilleusement le culte de Sapho :

Certaines d'entre nous ont conservé les rites
De ce brûlant Lesbos doré comme un autel...
.....

On trouvera, dans le recueil qui s'intitule : A l'heure des Mains jointes, la description, ou plutôt l'insinuation de quelques-uns de ces rites sacrés :

Nous savons effleurer d'un baiser de velours.
Et nous savons étreindre avec des fougues blêmes ;
Nos caresses sont nos mélodieux poèmes...
Notre amour est plus grand que toutes les amours.

Nos lunaires baisers ont de pâles douceurs,
Nos doigts ne froissent point le duvet d'une joue,
Et nous pouvons, quand la ceinture se dénoue,
Etre tout à la fois des amants et des sœurs.
. . . . . . . . . . . . . . .

Nos jours sans impudeur, sans crainte ni remords,
Se déroulent, ainsi que de larges accords,
Et nous aimons, comme on aimait à Mytilène.

La poétesse nous fait ses aveux : on l'avait condamnée aux laideurs masculines ; étant femme elle n'avait pas droit à la beauté.

On m'avait interdit tes cheveux, tes prunelles
Parce que tes cheveux sont longs et pleins d'odeurs
Et parce que tes yeux ont d'étranges ardeurs
Et se troublent ainsi que des ondes rebelles,

dit-elle à son amie ; mais elle osa concevoir « qu'une vierge amoureuse est plus belle qu'un homme » ; et, depuis, loin des hommes, elle cacha son bonheur, « contre les regards durs et les bruits du dehors ».

Les rideaux sont tirés sur l'odorant silence,
Où l'heure au cours égal coule avec nonchalance,
. . . . . . . . . . . . .
Mon existence est comme un voyage accompli...
Tes cheveux sont plus beaux qu'une forêt d'automne...
Ta robe verte a des frissons d'herbes sauvages,
Mon amie, et tes yeux sont pleins de paysages.

Qui viendrait nous troubler, nous qui sommes si loin
Des hommes ? deux enfants oubliés dans un coin ?

Cet amour du silence et du secret se retrouve dans presque tous les poèmes de Renée Vivien. Elle dit à une amie :

Je t'aime d'être lente et de marcher sans bruit
Et de parler très bas et de haïr le bruit,
. . . . . . . . . . . . .
Et je t'aime surtout d'être pâle et mourante,
Et de gémir avec des sanglots de mourante,
Dans le cruel plaisir qui s'acharne et tourmente !

Quelques-unes des pièces de ce recueil nous disent, ce que cette femme a souffert dans sa dignité de femme. Je voudrais citer en entier le Pilori, dont la plainte ressemble à une lamentation biblique :

Pendant longtemps, je fus clouée au pilori,
Et des femmes, voyant mes souffrances, ont ri.

Puis, des hommes ont pris dans leurs mains de la boue
Qui vint éclabousser mes tempes et ma joue.

Des pleurs montaient en moi, houleux comme des flots,
Mais mon orgueil m'a fait refouler mes sanglots.

Nulle n'a dit : « Elle est peut-être moins infâme
Qu'on ne le croit, elle est peut-être une pauvre âme. »
.....
J'ai senti la colère ardente m'envahir.
Silencieusement, j'appris à les haïr.

Leurs insultes cinglaient, comme des fouets d'ortie...
Lorsqu'ils m'ont détachée enfin, je suis partie.

Je suis partie au gré du vent, et depuis lors
Mon visage est pareil à la face des morts.

Je n'ai fait qu'effleurer l'œuvre de Renée Vivien, qui se compose d'une douzaine de volumes, mais pourtant j'ai cité assez de ses vers pour qu'on apprenne à en aimer le parfum sobre et la ligne pure. Osons admirer chez elle ce que nous admirons chez Sapho, et comprenons que c'est une très belle sincérité qui s'exprime dans ces vers :

Pour l'Aphrodite, j'ai dédaigné l'Erôs,
Car je n'ai de joie et d'angoisse qu'en elle.
Je ne change point, ô Vierges de Lesbos,

Je suis éternelle.

L'amour, quelle que soit la nuance de ses caresses, est toujours sacré.

Les derniers recueils de Renée Vivien : Flambeaux éteints et Sillages, ne furent pas mis dans le commerce ; la poétesse, dédaigneuse de la gloire, ne voulait plus chanter que pour ses amies. Déjà dans Flambeaux éteints, on trouve ce vers :

L'horreur de n'être plus ce qu'on fut me déchire...

qui répond à cette plainte qu'elle soupira naguère :

Puisque telle est la loi lamentable et stupide,
Tu te flétriras un jour, ah ! mon lys !
... Tes pas oublieront le rythme de l'onde,
Ta chair sans désirs, tes membres perclus
Ne frémiront plus dans l'ardeur profonde,
L'amour désenchanté ne te connaîtra plus.

En un poème symbolique, qu'elle intitule Torches éteintes, elle compare sa vie à un festin voluptueux :

Voici la place où ton corps chaud s'est détendu,
Le coussin frais où s'est roulée ta chaude tête,
. . . . . . . . . . . . .
Tes ongles ont meurtri ma chair, parmi les soies,
Et j'en porte la trace orgueilleuse. Tes fards
S'envolent en poussière, et, sur les lits épars,
Tes voiles oubliés sont témoins de nos joies.

Mais voici l'aube, les lys se sont fanés et les torches sont éteintes. L'aube, ici, c'est l'apparition de la mort, qui hante déjà l'esprit de la poétesse. Amoureuse de sa chair, de sa ligne et de sa grâce, Renée Vivien ne voulait pas survivre à sa beauté. Elle ne vit déjà presque plus dans le présent ; elle se souvient, et pensant aux amies qui embaumèrent sa vie, elle chante :

Je suis reconnaissante et charmée en songeant
A vos longs corps pareils à des cierges d'argent.
. . . . . .
Par vous, jadis, ô mes maîtresses ! je connus
La majesté des seins magnifiquement nus...
. . . . . .
Vous avez pu tourner vers vous tous mes désirs
Et vous avez rempli, mes mains de souvenirs.

Je vous ai dit, à vous qui m'avez couronnée :
Qu'importe les demains ?... Cette nuit m'est donnée...

Eternelle douceur de la douceur qui fuit !
Nul vent n'emportera l'odeur de cette nuit... »

Je veux noter encore la tristesse sereine, résignée de ces Paroles soupirées :

Pareille à la douleur des adieux, dans le soir,
L'angoisse qui nous vient de la volupté lasse
. . . . . .
Et je te sens déçue et je me sens lointaine...
Nous demeurons avec les yeux de l'exilé,
Suivant, tandis qu'un fil d'or frêle nous enchaîne,
Du même regard las notre rêve envolé...
Autre déjà, tu me souris, déjà lointaine...

Mais c'est peut-être dans son dernier volume, Sillages, que Renée Vivien a enfermé ses plus beaux vers. Cette poésie contient l'aveu d'un grand amour, d'une grande souffrance et d'une grande désillusion. Abordons avec la Muse saphique dans l'île des Sirènes, nous nous apercevrons qu'elles ne chantent pas pour attirer le désir des hommes, mais pour se charmer entre elles. Elles entrelacent leurs bras et leurs rires, elles mêlent leurs lèvres et leurs aveux, et font la nique au génie de l'espèce. Pourtant, ces amours féminines ont, dans leurs effusions charnelles et sentimentales, la même gravité que les autres, et plus de grâce ; ce sont les mêmes serments d'éternité, les mêmes joies, les mêmes regrets, les mêmes larmes, les mêmes douleurs.

En réalité, dans ce couple d'une même féminité apparente, il peut y avoir une réelle antinomie sexuelle. Il n'y a pas de perversion de l'instinct génital, mais les êtres sont attirés vers ce qui les complémente, et toutes les amours sont normales qui assurent à deux êtres l'état de joie physique nécessaire au bon fonctionnement de leur organisme.

Si, de même que pour l'œuvre de Sapho, il ne nous restait, de l'œuvre de Renée Vivien que ces quelques fragments que je citerai, on pourrait affirmer que la femme qui a aimé la vie et l'amour avec une mélancolie si discrètement passionnée fut une sensibilité merveilleuse et un artiste d'une rare perfection :

O toi que je verrai dans les yeux de la mort !
. . . . . .
Je ne puis oublier que je suis seule ici,
Que je suis triste et que je n'aime qu'une morte.
. . . . . .
Je désire et je cherche et surtout je regrette...
. . . . . .
Sans hâte et sans effroi, je rentre dans la nuit....
Avec tout ce qui glisse, avec tout ce qui fuit.
. . . . . .
Et mon destin, ce fut ce dur amour vainqueur.
Voici pourquoi mon cœur est lourd dans ma poitrine
Que l'on m'enterre avec tout le poids de mon cœur.
. . . . . .

Le foyer s'est éteint, la lampe s'est éteinte
Dans la chambre sans fleurs où je t'ouvre les bras,

Toi qui ne viendras pas !

Le désespoir qui est exprimé dans ces vers s'accentuera encore dans les derniers poèmes, qu'elle adressait à mesure qu'elle les composait, à son éditeur et son ami M. Sansot. Ces suprêmes aveux composent trois volumes, dont la poétesse a elle-même fixé les titres : Dans un coin de violettes, le Vent des vaisseaux, Haillons.

A ces recueils de poésie s'ajoutent encore deux volumes de prose : Illusions vénitiennes et autres illusions, Vagabondages.

Voici quelques pièces, extraites de Haillons, son dernier volume. A chaque vers, on apercevra l'image de la mort, que la poétesse devinait toute proche d'elle. D'abord, semble-t-il, elle veut se résigner à vivre, mais ce chant, lui-même se termine par un appel à la mort :

VIVRE

Puisqu'il est, semble-t-il, nécessaire de vivre,
En portant le poids lourd des anciens désespoirs,
Tous les matins et tous les jours et tous les soirs
Interrogeons nos cœurs et sachons l'art de vivre !
Sachons enfin chanter les roses du matin,
O nous qui replions les ailes de notre âme !
Sachons nous réjouir en paix du mets infâme
Et nous accommoder des chants et du festin !
Puisqu'il est, paraît-il, urgent et nécessaire
De revoir le mauvais rayon d'un mauvais jour
Et de voir s'échapper l'espoir d'un bel amour,
Que bientôt nos draps blancs se changent en suaire !

Son appel se fait plus pressant : « Ah ! que la fin survienne... » s'écrie-t-elle :

L'HEURE

Voici l'inévitable et terrible moment
Où mon destin s'écrit inévitablement.
Une muette horreur m'envahit et m'accable.
Devant le calme front de l'Heure inévitable,
Il ne me reste plus l'élan d'un jeune espoir...
Sans force et sans ardeur, je m'abandonne au soir.
Je n'attends plus le luth ni la musicienne
Ni le jour glorieux... Ah ! que la fin survienne...

Elle à qui la gloire avait souri, confiait-elle à ses amies, « puisque ma gloire est de vous avoir adorées, » voici que, dans son désespoir, elle renie jusqu'à ses amours. Mais lorsqu'on parlera de Renée Vivien, il faudra oublier ce blasphème des dernières heures, pour ne se souvenir que de la beauté de son chant d'amour.

.....
Mon cœur est las enfin des mauvaises amours
Des songes de mes nuits et des maux de mes jours ;
Mon cœur est vieux autant qu'un très ancien grimoire,
Et, désespérément, j'appelle l'Heure Noire.

C'est à sa mort prochaine qu'elle songeait lorsqu'elle écrivit cette : Epitaphe sur une pierre tombale.

Voici la porte d'où je sors,
O mes roses et mes épines,
Qu'importe l'autrefois ? je dors
Et je songe aux choses divines.

Voici donc mon âme ravie,
Car elle s'apaise et s'endort,
Ayant, pour l'amour de la Mort,
Pardonné ce crime : la Vie.

Elle ne put pardonner à la vie de lui avoir ravi une amie tendrement aimée. « Consumée par le regret, écrit M. Michel Pauliex (2), minée par le chagrin, elle prit la vie en dégoût ; elle était une proie tout indiquée pour la phtisie ; le mal ne trouva chez elle qu'une faible résistance ; elle ne fit aucun effort pour le vaincre, et c'est avec une sorte de satisfaction qu'elle se laissa par lui terrasser. » Elle est morte, en rêvant à un Paradis de pures tendresses, où, reposée des mauvaises amours de la terre, elle trouverait enfin le divin apaisement.

(1) Digne de Sapho, ce distique :

Dans les jardins où se parfume le silence
L'instant fuit avec les pieds blancs d'Atalante.

(2) L'Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 10 décembre 1909.