Remy de Gourmont : Une Loi de constance intellectuelle, 193
Sébastien Charles Leconte : Sabaoth, poème, 209
Fernand Baldenne : Souvenirs sur Charles Guérin, 212
Frédéric Charpin : La Question religieuse. Enquête internationale (suite), 218
André du Fresnois : Remy de Gourmont romancier, 250
François Porché : Leur Sang, poème, 260
Hassé : Chansons andalouses, 263
Charlotte Chabrier-Rieder : La Fin de Madame Lécuyer, 374

REVUE DE LA QUINZAINE

Remy de Gourmont : Epilogues : Dialogues des Amateurs : XLIV. Critique littéraire, 259
Rachilde : Les Romans, 292
Jean de Gourmont : Littérature, 297
Edmond Barthèlemy : Histoire, 301
Jules de Gaultier : Philosophie, 307
Gaston Danville : Psychologie, 312
Henri Mazel : Science sociale, 315
Charles Merki : Archéologie, Voyages, 320
Jean Norel : Questions militaires et maritimes, 325
Charles-Henry Hirsch : Les Revues, 330
R. de Bury : Les Journaux, 335
A.-Ferdinand Herold : Les Théâtres, 339
Henry Gauthier-Villars : Musique, 343
Charles Morice : Art moderne, 346
Auguste Marguillier : Musées et Collections, 352
Henry-D. Davray : Lettres anglaises, 359
Démétrius Astériotis : Lettres néo-grecques, 364
E. Séménoff : Lettres russes, 369
Jean Norel : Variétés : La mort d'un japonisant : Félix Régamey, 372
Jacques Daurelle : La Curiosité, 375
Mercure : Publications récentes, 377

Echos, 378


LA QUESTION RELIGIEUSE

ENQUETE INTERNATIONALE

[...] M. Léon Bloy
Homme de lettres.

La vie d'un chrétien est vraiment trop courte et surtout trop grave pour répondre à d'aussi vaines questions.

Adressez-vous donc à des penseurs. Ces gens-là ont du loisir.

(A suivre.)

TABLE ALPHABETIQUE DES SIGNATAIRES

MM.

Paul Adam................. 243
Antoine Baumann....... 242
Léon Bloy.................. 249
Ernesto Buonaiuti....... 238
Richard Dehmel.......... 228
Camille Flammarion.... 229
Pompeyo Gener......... 235
Goblet d'Alviella.......... 220
J. Grasset.................. 226
Marcel Hébert............ 239
Klein......................... 222
Louis-Germain Lévy.... 220

MM.

E. Ménégoz........................ 232
R. Mocsary ........................ 218
Charles Morice.................... 241
André Niemojewski.............. 233
André Péralé....................... 236
Is. Querido.. ....................... 231
Paul Sabatier ..................... 218
Camille Saint-Saens. .......... 220
Paul Seippel ....................... 237
Franz Stuck........................ 239
Van den Bergh van Eysinça.. 243
Albert Verwey...................... 228


LES ROMANS

Henri de Régnier : La Peur de l'amour, « Mercure de France », 3.50. — Gabriel Trarieux : Elie Greuse, Fasquelle, 3.50. — Alfred Capus : Histoires de Parisiens, Fasquelle, 3.50. — Edouard Ducoté : L'Amour sans ailes, Calmann-Lévy, 3.50. — Allain Morsang : Le Lierre, Emile Paul, 3.50. — Henri Moselly : Terres lorraines, Plon, 3.50. — Louis Codet : La Rose du jardin, Fasquelle, 3.50. — Pierre de Kadoré : Le Livre de l'amour et de la haine, Félix Juven, 3.50. — Legrand-Chabrier : L'Amoureuse imprévue, Sansot, 3.50. — Fernand Nief : Le Chemin de l'Amour, Pierre Douville, 3.50 — Maurice Darin : L'Égaré, Weissenbruch, à Bruxelles. — Gyp : Le Cricri, Félix Juven, 3.50. — Jean Dolent : Le Cyclone, en la Maison des poètes.

La Peur de l'amour, par Henri de Régnier. Pour l'amour du grand talent de Laurent Evrard, à qui ce livre est dédié, nous revoici à Venise [...].


LITTÉRATURE

Emile Zola : Correspondance. Lettres de jeunesse, Fasquelle. — Maurice Maeterlinck : L'Intelligence des Fleurs, Fasquelle.

L'éditeur Fasquelle entreprend la publication de la Correspondance d'Emile Zola. Voici ses Lettres de jeunesse, adressées à trois de ses amis intimes : Baille, Cézanne et Marius Roux. Plutôt que des lettres, ce sont des exercices littéraires, des dissertations sur l'art, sur l'amour, sur la femme, etc., — par un jeune écrivain qui a encore plus rêvé que vécu. Devoirs de collégien qui se fait la main, qui écrit pour s'entraîner, ayant grand soin d'observer l'art des transitions et de développer méthodiquement ses pensées. Lorsqu'une tirade adressée à Cézanne lui paraît réussie, il la recopie et l'envoie à Baille. Et, s'il lui arrive de confier à l'un de ses correspondants quelques détails matériels de sa vie, il s'en accuse comme d'une faute de goût, et n'est-ce pas curieux de lire sous la plume du futur naturaliste des phrases comme celle-ci : « Ce diable de corps est gênant parfois ; on le traîne partout, et partout il a des exigences terribles. Il a faim, il a froid, que sais-je ? et toujours l'âme qui voudrait parler et qui à son tour est obligée de se taire et de rester comme si elle n'était pas pour que ce tyran se satisfasse... »

Zola a vingt ans, et se destine au métier de poète. Il est le plus romantique des poètes, et imagine une vie douce, retirée, peuplée de songes, dans une mansarde favorable à l'inspiration. L'amour lui paraît plus enviable que la gloire ; il est intarissable sur ce sujet et ses lettres sont de véritables traités sur l'amour : l'amour sensuel, l'amour platonique, le plus beau ; l'amour chez la jeune fille, chez la veuve, chez la fille publique. C'est très sérieusement qu'il se donne comme but de ramener les filles publiques à la vertu, par l'amour. Tache ingrate. Ce Zola de la vingtième année est vraiment une belle âme candide et fraîche. Mais ce côté naïf et rêveur, Zola le gardera toute sa vie, au fond de lui-même. II y avait en lui quelque chose de pieux, de religieux à la Michelet, et cet amour de la vérité, de la solidarité, etc., qui devait se développer plus tard, venait de loin. Pourtant déjà son ventre l'inquiète : il a des pesanteurs dans l'estomac et les entrailles, et cette inquiétude physique aura sa répercussion sur son œuvre et sur sa vie.

Ces lettres de jeunesse nous le montrent peu doué pour la littérature : aucune originalité, ni de style ni de pensée ; mais déjà de l'énergie et la volonté d'arriver, malgré tout, à se faire un nom : « Je sens en moi quelque chose et, si en réalité ce quelque chose existe, tôt ou tard, il doit apparaître au grand jour. » Ce qui lui manque, et il le devine, ce sont les moyens matériels de s'exprimer; pour acquérir ce métier, le vers est un exercice excellent : il fera des vers et deviendra un écrivain, malgré le destin qui lui a refusé ce don de l'expression spontanée. Mais Zola est le meilleur exemple que l'on puisse donner de l'insuffisance de la volonté pour devenir un grand écrivain.

La poésie est pour lui, à ce moment de sa vie, autre chose qu'un exercice littéraire, c'est son but. Ce n'est pas pour la gloire qu'il travaille. Non, le poète, dit-il, « prend sa lyre dans la solitude, perd de vue ce monde, et ne vit que dans le monde des esprits ». Ses lectures : Hugo, Musset, qu'il cite souvent, Lamartine, Michelet, George Sand, qu'il admire : il épilogue sur ses romans, sur ses idées, il cherche dans ses livres une vie sentimentale.

Avec quel lyrisme il s'emballe sur le rôle sacré du poète, le régénérateur, « l'homme qui se dévoue au profit de l'humanité »... Zola conservera cette jeunesse cérébrale jusqu'à sa mort.

La poésie qu'il rêve, en réaction du romantisme usé, n'est pas ridicule. Tandis que Laprade revient trop simplement au classicisme lui déjà voudrait une poésie plus près de la vie réelle, et, comme il le dit dans une de ses lettres, une poésie qui ne dédaignerait pas les sujets les plus réalistes. Le naturaliste apparaît, et, s'il continue à imaginer que près d'une compagne idéale, il « se couronne de roses » et s'enivre de volupté céleste » la vraie nature de Zola se montre et lui fait voir la vie sous un aspect moins poétiquement faux.

Cependant, il échafaude des plans de poèmes, toute une série d'ouvrages, où il veut idéaliser les nobles sentiments. Le poème épique le tente et lui paraît une voie assez peu commune. Voici la Chaîne des Etres, qui sera une étude du monde, depuis l'origine de la vie... jusqu'à ces époques futures où des êtres plus parfaits auront succédé à l'homme. Il travaille avec courage, et quel courage ne faut-il pas pour traiter de pareils sujets ! Heureusement, « Dieu l'a pétri d'une argile assez semblable à celle de Rolla » et ce sont des bouffées de romantisme, des tirades sur la liberté, l'idéal, et autres accessoires de poésie.

Voici quelques vers de Zola, poète :

Allez, allez, mes vers ! bons ou mauvais, qu'importe !
Si du monde idéal vous m'entr'ouvrez la porte,
Si vos grelots bruyants me rappellent parfois
Le bal mystérieux des sylphides des bois...

Sous ce romantisme artificiel, qui lui fait crier à Dieu : « Dis-moi, pourquoi nous as-tu pétris d'une argile aussi immonde... » et lui fait évoquer l'image d'Hégésippe Moreau et de Gilbert, mourant à l'hôpital, — se cache un être pratique et de bon sens, qui sait diriger sa vie. Il fut un excellent guide pour Cézanne, moins bien doué que lui pour la lutte. Il lui donne de bons conseils, l'encourage à travailler. Lorsque le peintre se plaint de ne pas réussir, Zola lui dit avec justesse que, dans l'artiste, il y a deux hommes, le poète et l'ouvrier, et qu'il faut acquérir le métier. Il a foi dans le talent de son ami : « Ne suis-je pas dans le même cas que toi, lui écrit-il ; la forme n'est-elle pas également rebelle sous mes doigts ? »

De ses trois correspondants, c'est Cézanne qui lui est le plus cher : les lettres qu'il lui écrit sont plus intimes, moins pédantes et souvent même confidentielles. Confidences échangées entre deux hommes encore incertains de leur avenir et même de leur talent. Ces lettres nous renseignent encore sur les dons poétiques de Cézanne : « Toi qui as guidé mes pas chancelants sur le Parnasse, lui écrit Zola, fais-moi oublier le Lamartine naissant par le Raphaël futur. » « Tu es plus poète que moi, lui écrit-il encore : Mon vers est peut-être plus pur que le tien, mais, certes, le tien est plus poétique, plus vrai ; tu écris avec le cœur, moi avec l'esprit; tu penses fermement ce que tu avances, moi souvent ce n'est qu'un jeu, un mensonge brillant. » Et ce jugement que Zola porte sur sa poésie, on peut l'adapter à son œuvre tout entière ; son système fut toujours la documentation sans méthode — sans autre méthode que l'obstination.

Mais le Zola de cette époque est bien caractérisé dans ce portrait qu'avait entrepris de lui un peintre médiocre de ses amis, Chaillan, qui le représentait « nu, quelque peu drapé, tenant une lyre antique et les yeux au ciel... ». Qu'est devenue cette toile ?

§

Les plantes comme les animaux ont subi et subissent l'influence du milieu, pour s'y adapter ou réagir contre lui, par nécessité de maintenir leur vie et leur type. C'est en cela que consiste leur intelligence. Les modifications produites par le milieu sont enregistrées dans la plante et se transmettent par l'hérédité. M. Maurice Maeterlinck a écrit sur ce sujet : l'Intelligence des Fleurs, une étude d'un grand charme, qui laisse à la question tout son mystère, y ajoute peut-être. L'intelligence des fleurs ? cela signifie sans doute cette lutte obscure et inconsciente contre le milieu. Il y a dans ce volume des pages très belles sur le mécanisme des fleurs, le jeu des étamines et du pistil, le rôle nécessaire des insectes dans leur fécondation. Ce sont chez les orchidées, par exemple, de véritables mécanismes d'horlogerie dont les mouvements se commandent et sont si méthodiquement calculés qu'ils donnent l'illusion d'une volonté consciente. Certaines fleurs sont de petits appareils de précision, où l'abeille, en se posant sur le stigmate odorant, déclenche une mécanique silencieuse, destinée à la couvrir du pollen qu'elle transportera dans le calice d'une fleur voisine. — Mais il ne faut pas faire parler les fleurs, comme dans les contes de fées, dire qu'elles ont remarqué que la fécondation directe était défavorable à la prospérité de leur espèce : ce rôle des abeilles, dans la fécondation croisée, n'est sans doute dû qu'au hasard, un hasard qui a remédié à cette absurdité d'un pistil inaccessible aux pollens des anthères, des étamines mûrissant avant le pistil. Phénomènes d'adaptation, comme toute la logique admirée de la nature, que l'hérédité a fixés. Il ne faut pas non plus, métaphysiquement, faire intervenir la Nature, l'Intelligence générale, le Génie universel ou le Génie de la Terre, pour expliquer ces mystères chimiques et mécaniques. Toutes ces merveilles que nous admirons, en les interprétant sentimentalement, ne sont que des hasards fixés, mais qui témoignent chez les plantes, comme chez les êtres organisés d'une volonté inconsciente de vivre et de se perpétuer. Toutes ces acrobaties sexuelles, qui s'accomplissent dans les corolles des fleurs, n'ont qu'un but : maintenir la vie, et ce que nous appelons intelligence des plantes, par transposition, c'est sans doute une série de combinaisons chimiques, encore mystérieuses ou mal étudiées. En usant de ce mot : intelligence, pour exprimer la volonté de vivre des plantes et des fleurs, M. Maurice Maeterlinck rend sans doute plus sensible à notre esprit ce que cette lutte inconsciente a de tenace, mais le mot « mécanisme » serait plus exact. Et puis, lorsque nous ne nous bornons pas à enregistrer des faits, dès que nous voulons bâtir un système philosophique sur nos observations, nous interprétons, nous prêtons nos propres sentiments à la nature. Quoi que nous fassions, le monde est notre représentation, et même notre propre création. Ces pages de Maurice Maeterlinck ont un grand charme, et peut-être un charme dangereux, qui s'insinue comme un parfum, dans l'âme du lecteur. Voici une de ces insinuations :

L'esprit qui anime toutes choses, dit le poète, ou se dégage d'elles est de la même essence que celui qui anime notre corps. S'il nous ressemble, si tout ce qui se trouve en lui se retrouve en nous-mêmes, s'il emploie nos méthodes, s'il a nos habitudes, nos préoccupations, nos tendances nos désirs vers le mieux, est-il illogique d'espérer tout ce que nous espérons instinctivement, invinciblement, puisqu'il est presque certain qu'il l'espère aussi ?...

Panthéïsme poétique qui nous fait les frères des plantes, puisqu'obscurément, elles poursuivent le même but que nous : Dans cet essai sur l'Intelligence des Fleurs, M. Maurice Maeterlinck ajoute aux observations des botanistes ses études et ses découvertes personnelles de jardinier philosophe, et poète — toujours.

JEAN DE GOURMONT.

pp. 297-301.


PHILOSOPHIE

Harald Höffding : Histoire de la philosophie moderne, tome second, traduit de l'allemand par P. Bordier. Alcan. — Jacques Rocafort : La Morale de l'Ordre. Colin frères. — Sully-Prudhomme : Psychologie du libre arbitre, suivie de définitions fondamentales, vocabulaire, logiquement ordonné, des idées les plus générales et des idées les plus abstraites, Alcan.


HISTOIRE

Pierre Champion : Cronique Martiniane ; Honoré Champion. — Edmond Cabié : Documents sur les Guerres de Religion dans le Sud-Ouest de la France et principalement dans le Quercy (1561-1590) ; Honoré Champion. — Camille Pelletan : Victor Hugo homme politique ; Ollendorff.— Charles Nicoullaud : Mémoires de la comtesse de Boigne ; Plon. — Philippe Lauzun : Un portrait de Madame de Polastron ; Emile Paul. — Mémento.


LES REVUES

La Revue : Une étude de M. Camille Mauclair sur l'œuvre d'Aug. Villiers de l'Isle-Adam. — La Grande Revue : M. André Suarès écrit sur « La Femme ». — Les Lettres : M. René Boylesve commente l'œuvre du poète Charles Guérin. — Mémento.

M. Camille Mauclair, dans La Revue (15 avril), donne, en une douzaine de pages, un Villiers de l'Isle-Adam très complètement étudié, défini avec la plus pénétrante intelligence. Villiers, dit M. Mauclair, « nous arrive à la fois posthume et nouveau » [...].


LES JOURNAUX

Le Plasma de Quinton (Le Temps, 17 avril 1907). — La Bibliothèque Nationale (Le Siècle, 1er mai). — La Française (La Dépêche, 27 avril).

M. de Varigny a résumé dans une récente causerie scientifique du Temps les résultats du traitement marin inauguré par M. Quinton. Il aurait pu, semble-t-il, y laisser moins de réserves, insinuer un peu moins que le plasma de Quinton guérit, tout en ne guérissant pas et que, même quand il ne guérit pas, il guérit tout de même, mais que quand il guérit, il n'est pas bien certain que le remède soit efficace. M. de Varigny a peur de se tromper ; il a peur d'avoir l'air de prôner un nouveau Behring. C'est peut-être le plus grand tort que les mauvais savants aient fait aux vrais savants, de répandre sur la science, même la plus loyale et la plus évidente, des doutes. On sent très bien sous les réticences, que M. de Varigny comprend la beauté de la méthode Quinton ; et il admet son efficacité, bien plus qu'il n'ose l'avouer. Voici les passages saillants de son étude :

Le traitement marin a été imaginé par M. René Quinton, comme corollaire d'une doctrine biologique qui est d'un puissant intérêt. La voici en deux mots. La vie a, selon toutes les vraisemblances, — et c'est un point sur lequel nul biologiste ne fera d'objections sérieuses, — débuté dans l'eau de mer, à une époque où celle-ci était moins salée que maintenant. L'eau de mer fut le milieu vital des premiers organismes ; elle est encore celui des organismes marins élémentaires. Chose fort curieuse, elle reste aussi le milieu vital des êtres les moins aquatiques, des oiseaux, des mammifères, de l'homme même. Le liquide interne de l'homme, c'est essentiellement une eau de mer diluée. Chacun de nous est un aquarium marin ambulant.

Cette remarquable persistance de composition du milieu interne, qui s'observe chez l'immense majorité des animaux, et qui se réalise chez les plus élevés, par un effort, ou au moins une sélection opérés par les organismes, est interprétée, par M. Quinton non seulement comme un phénomène atavique, mais comme une indication du fait que l'eau de mer est le milieu par excellence qui convient à la vie des cellules.

Très suggestive au point de vue biologique — ce qui est l'essentiel, car il n'est point indispensable qu'une doctrine soit exacte ; il est nécessaire et suffisant qu'elle fasse penser, et incite à l'action — la « loi de constance marine originelle » présente un corollaire d'ordre médical non moins intéressant. Si l'eau de mer est le milieu qui convient le mieux à la vie des cellules, dit M. Quinton, n'est-il pas permis de penser que des états pathologiques peuvent, être dus à une modification accidentelle du milieu interne ? Et dès lors, n'est-il pas indiqué d'y remédier en reconstituant le milieu, en le rafraîchissant ou renouvelant par introduction dans le corps d'eau de mer diluée, la mer actuelle étant plus salée que ne l'était la mer primitive ?

L'argument se tient. Et après les expériences de M. Quinton sur les animaux chez qui il a remplacé tout le sérum du sang par de l'eau de mer diluée, il faut reconnaître qu'il se tient très ferme.

Logiquement déduit de considérations de pure biologie, le traitement marin consiste donc à introduire dans l'organisme du sérum nouveau et frais, de l'eau de mer diluée, incomparablement plus riche que le sérum physiologique classique, puisqu'elle contient une quantité de corps chimiques qui manquent à celui-ci.

Cette eau de mer diluée, c'est le « plasma de Quinton ». J'ajouterai seulement qu'il faut quelques précautions dans la préparation de ce plasma, sous peine de n'avoir qu'un liquide dangereux. Mais elles n'en feront jamais un remède cher : le coût du traitement est insignifiant. Celui-ci se fait par injections sous-cutanées de 20, 50, 100, 200 grammes, une ou deux fois par semaine, ou par mois, pendant un temps variable, mais le plus souvent court. Cela dépend du mal, naturellement, et de sa chronicité. En aucun cas, une injection modérée ne produit le moindre effet fâcheux.

Maintenant quelles sont les maladies qu'on peut traiter par l'eau de mer ?

A la vérité, on n'en sait rien. Ou plutôt, si l'on sait déjà que le plasma de Quinton est tout indiqué dans la tuberculose par exemple, on ne sait absolument pas s'il ne rendra pas des services dans des maladies où, a priori, on ne songe nullement à l'employer.

Les deux principales maladies justiciables du traitement marin sont, pour le moment, l'athrepsie des jeunes enfants et la tuberculose. Ce sont d'ailleurs les deux maladies qui s'offrent le plus souvent aux dispensaires cités plus haut.

En ce qui concerne l'athrepsie, c'est-à-dire la débilité des jeunes enfants qui n'arrivent pas à se nourrir, qui ont les chairs flasques, vides et le faciès vieux et souffreteux que chacun, hélas ! a pu voir, on a obtenu de véritables miracles, et cela sans autre régime, sans changement de lait ou d'air. La chute de poids s'arrête, pour ainsi dire, du jour au lendemain, pour être remplacée par un relèvement ; la diarrhée s'arrête, et la vie, qui déclinait, se relève. Les observations prises à la Maternité et dans les dispensaires sont concluantes.

Pour la tuberculose, les faits relevés jusqu'ici sont, en bien des cas, d'un puissant intérêt. J'ai vu l'autre jour — car je tenais à voir des malades chez qui le traitement ne date pas d'hier seulement — au dispensaire de La Motte-Picquet, un sujet de quarante-huit ans qui a été soumis au traitement marin il y aura deux ans en juin. Son état était le suivant : dyspnée intense ; à peine la parole et la marche sont-elles possibles. Au poumon partout, lésions tuberculeuses du deuxième degré, et hémoptisies. Le malade se donnait si peu de temps à vivre — et le médecin ne pouvait le contredire — qu'il se refusait à acheter des vêtements dont il avait pourtant grand besoin. « Pour si peu de temps, à quoi bon ? »

Il se soumit deux mois au traitement et fut amélioré. Il fut assez remonté pour juger inutile de commuer. Mais, après quatre mois, il revint. Et en deux ans il a suivi quatre périodes de traitement, la quatrième ayant débuté le 2 mars de cette année. Du 2 au 13, jour où je l'ai vu, il a gagné 800 grammes. Et cela, notez-le bien, sans cure d'air, sans cure de repos, sans suralimentation, sans aucune autre thérapeutique. Il est extrêmement amélioré, il marche sans peine, et va et vient. Sa vie est transformée. « Je me fais l'effet d'un phénomène», me dit-il, tant sa condition actuelle diffère de celle où il se trouvait.

En somme, on ne peut que recommander un traitement dont la base est aussi rationnelle et qui, dans la pratique, a donné des résultats merveilleux. La méthode de M. Quinton a ceci de rare qu'elle n'est née ni du hasard ni de l'empirisme. Elle est la conséquence logique d'un raisonnement scientifique. C'est le second fait de ce genre qu'on trouve dans l'histoire de la médecine. Le premier, c'était la méthode de Pasteur. Or, et l'on conçoit l'hostilité de certains médecins, pas plus que Pasteur, M. Quinton n'est médecin.

§

M. Camille Pitollet étudie, dans le Siècle, le fonctionnement de la Bibliothèque Nationale. Il trouve, et à juste titre, que la salle de travail est encombrée de lecteurs bénévoles et cela au détriment des travailleurs véritables. Pour satisfaire l'humble curiosité d'une centaine de flâneurs, on sacrifie le temps des gens sérieux. Il trouve encore, et c'est à juste titre, que la table, dite de la Réserve et où on ne communique que des livres rares ou précieux, est fort mal installée, que ce n'est pas une table qu'il faudrait pour ce service, mais une salle spéciale, sinon plusieurs cabinets de travail où l'érudit pourrait en paix poursuivre ses recherches.

Mais le mal le plus grand, c'est la facilité avec laquelle on délivre, presque au premier venu, des cartes pour la salle de travail, alors qu'il y a une salle publique de lecture, où ceux qui ne font pas de travaux spéciaux rencontrent toute satisfaction. A ce propos, M. Pitollet publie le règlement draconien du British Muséum de la libérale Angleterre. Le voici :

I. — L'usage de la salle de lecture est restreint aux buts de recherche et de consultation. La salle est ouverte tous les jours de la semaine, excepté le dimanche, le Vendredi-Saint, le jour de Noël et les jours de jeûne et d'actions de grâce fixés officiellement, ainsi que les quatre premiers jours de la semaine, en mars et en septembre.

II. — Les heures d'ouverture sont de neuf heures du matin à sept heures du soir toute l'année.

III. — Les personnes désireuses d'être admises dans la salle de lecture doivent s'adresser par écrit au directeur, en spécifiant leur profession ou leur métier, leur résidence et la raison spéciale qui les fait demander cette admission.

IV. — Toute demande de cette nature doit être faite au moins deux jours avant celui où l'on désire l'entrée à la Bibliothèque, et elle doit être munie d'une recommandation écrite d'un chef de maison (dont l'adresse pourra être contrôlée par les sources ordinaires de contrôle et qui devra être, en même temps, une personne d'une situation sociale inéquivoque), signée de son nom au complet et nantie de son adresse, certifiant qu'elle est donnée sur la connaissance personnelle du demandeur ou de la demanderesse et garantissant que celui-ci ou celle-ci fera un usage adéquat de la salle de lecture.

V. — Si la demande ou la recommandation paraît insuffisante, le directeur refusera l'entrée ou soumettra le cas aux administrateurs (trustees) qui donneront leur avis.

VI. — Les cartes d'entrée (a) sont personnelles, (b) doivent être montrées à toute réquisition.

VII. — Aucune personne ne sera admise, dont le but est ou de se préparer à quelque examen, ou de rédiger des ouvrages sur un sujet mis au concours, ou de façon générale sur une matière sujette à un prix, à moins d'exciper de raisons spéciales. De même la salle de lecture est fermée aux personnes qui voudraient consulter les annuaires de l'année courante.

VIII. — Tout sujet au-dessous de vingt et un ans est exclu, sauf ordre spécial des administrateurs de l'admission.

XII. — Le silence doit être strictement observé dans la salle de lecture.

XVI. — Toute infraction à ces règles rendra le privilège d'admission passible d'être annulé.

XVII. — En cas de défaut de politesse ou de retard anormal dans la remise des livres, ou d'un manque quelconque dans le service, on est prié d'en référer de suite à l'inspecteur de la salle de lecture.

XVIII. — Le privilège d'admission est conféré aux deux conditions suivantes :

a) De pouvoir être suspendu en toute occasion par le directeur.

b) De pouvoir être retiré comme et quand bon semblera aux administrateurs.

XIX. — Tout lecteur constatant un défaut ou un dommage dans un livre, un manuscrit, ou une carte devra, les signaler à l'inspecteur de la salle de lecture.

M. Octave Uzanne fait, dans la Dépêche, un bel éloge de la Française. Il conclut :

La Française de France, celle que nous connaissons et estimons, femme du vrai peuple rural ou urbain, bourgeoise , boutiquière, financière ou autre, mérite d'être célébrée hautement comme la plus humaine, la plus exquise compagne qui soit et aussi comme la plus sûre amie dans l'adversité, la mère la plus passionnée qui se puisse rencontrer ici-bas. La Française ne manque pas au degré que l'on croit à la véritable mission de la femme qui est de créer, maintenir, perpétuer la famille par l'enfant. Parmi l'exubérance romanesque des végétations parasites, c'est encore ce sentiment primordial qui domine au cœur de la Française, sentiment de l'admirable nature qui demeure toujours vivace en poussant à travers tant de rejetons. Brieux a bien indiqué cela, mais je voudrais, écrivains de France, que nous exaltions comme il convient nos chères femmes trop effleurées par la boue de notre littérature d'éternel érotisme. La Française, mais c'est la gloire, la beauté, le charme, la fleur saine, le parfum de notre pays, c'est à elle, quand nous voyageons, que nous comparons les femmes des autres pays, dont je ne veux médire, mais qui ne peuvent aucunement être mises en parallèle ; c'est vers elle que nous revenons bien vite, comme on revient à ce qui est exquis, douillet, charitable, consolateur, et berceur. La Française !... mais si jamais on élevait un temple à la Gran-Vertu à celle qui n'est pas hypocrite et mesquine elle y entrerait au premier rang et y ferait même place aux moins vertueuses d'entre elles, parce que celles-ci furent, au milieu, du vice même, plus honnêtes, plus loyales, plus sincères que mesdames les Tartufes anglo-saxonnes. La Française, il faudrait la diviniser.

Octave Uzanne a fait des voyages et même des séjours dans presque tous les pays du monde. Il sait ce qu'il dit.

R. DE BURY.

pp. 335-339


ÉCHOS

Mort de Joris-Karl Huysmans. — La Religieuse portugaise. — Une lettre de M. Bredif. — Parte Bona. — Exposition Eugène Carrière. — Le Quadrige d'Herculanum. — Le mari, la femme et l'autre. — Le Moulin à prières.— Errata. — Publications du Mercure de France.— Le Sottisier universel.

Mort de Joris-Karl Huysmans. — Au moment où nous donnons nos derniers bons à tirer, nous apprenons la mort de J.-K. Huysmans, depuis longtemps atteint d'une maladie incurable.

Il était né le 5 février 1848, et avait fait ses études au Lycée Saint-Louis. Il commença son droit, puis entra au ministère de l'Intérieur à l'âge de vingt ans. Il en sortit vers 1897. Il projetait d'aller vivre à Ligugé, où il habita pendant quelque temps la maison qu'il avait fait construire ; mais, en 1902, lors de l'exode des Bénédictins, il revint à Paris.

L'Académie Goncourt, dans sa première réunion, qui eut lieu le 7 avril 1900, chez Léon Hennique, l'avait élu pour président. Il avait été nommé chevalier de la Légion d'honneur sous le ministère Charles Dupuy, et dernièrement l'intervention de M. Gustave Geffroy lui fit donner la rosette d'officier par M. Aristide Briand.

Le premier ouvrage de J.-K. Huysmans, le Drageoir à épices, date de 1874. Puis vinrent : Marthe, les Sœurs Vatard, Croquis Parisiens, En ménage, A vau-l'eau, l'Art moderne, A Rebours, En Rade, Certains, la Bièvre, Là-bas, En Route, la Cathédrale, Sainte Lydwine de Schiedam, De Tout, l'Oblat, Trois Primitifs. Sa dernière œuvre, les Foules de Lourdes, est de 1906. Il venait de terminer un volume de monographies sur les églises de Paris.

Il avait en outre publié : Sac au dos, dans les Soirées de Médan ; Pierrot sceptique, en collaboration avec Léon Hennique ; Pages catholiques, avec une préface de l'abbé Mugnier; sous le titre Poésies religieuses, un choix de poésies de Verlaine, auquel il avait donné une préface. Il a aussi écrit une Vie de Don Bosco.

La vie de J.-K. Huysmans, assez retirée, fut des plus dignes. Il n'écrivit jamais que ce qu'il avait à dire, et, bien qu'il eût souvent le mot un peu vif même pour ses familiers, ceux de son temps proclament qu'il fut fidèle à ses amitiés. —

A. V.

pp. 378-379.

§

La Religieuse portugaise. — J'ai reçu la singulière lettre suivante, que voici toute, hormis le nom du signataire. Si ce signataire m'avait donné son adresse, je lui aurais répondu personnellement.

Paris, le 30 avril 1907.

M. Remy de Gourmont.

Monsieur,

D'abord, je suis un des plus fervents de vos admirateurs.

Dans votre « Epilogue » d'aujourd'hui, vous disiez (page 103) : «... les lettres de le Religieuse portugaise...» Portugaise ? Sainte Térèse de Jésus ? Alors, une Espagnole ? Qui, donc ?

Et j'ai fini.

A. B. C.

Je plains et je félicite M. A. B. C. de ne pas connaître les Lettres de la Religieuse portugaise. Je le plains d'un plaisir longtemps négligé ; je le félicite d'un plaisir qu'il goûtera bientôt sans doute dans toute sa nouveauté. Les Lettres Portugaises sont un des chefs-d'œuvre de l'amour féminin. Il n'y en a que cinq d'authentiques. Dans les éditions non critiques, elles sont précédées de plusieurs fausses lettres. Il faut commencer à celle qui débute ainsi : « Considère, mon amour... » Celle-ci et les quatre suivantes sont les bonnes. Sainte Thérèse n'a rien à voir avec la nonne Marianne Alcoforada. Son amant était un M. de Chamilly, au témoignage de Saint-Simon, qui s'étonnait du contraste entre sa médiocrité et l'amour démesuré qu'il inspira. Grâce à la vanité de ce sot qui colportait ces admirables lettres, Subligny ou Guilleragues purent les traduire, et Babin les publia en 1669. La bonne édition moderne est celle de Souza Botelho 1824, reproduite par la Bibliothèque choisie, 1853. On les trouve aussi dans Eugene Asse, Lettres du XVIIe et du XVIIIe siècle.

R. G.

pp. 379-380.