1907
Convertis. Je n'ai pas d'objections à faire au sentiment religieux et je ne suis pas choqué qu'un homme simple élevé dans une religion, y reste attaché par habitude. Je ne le suis pas non plus que cet homme simple, après une période d'incrédulité superficielle, revienne peu à peu, en ses vieux jours, vers les croyances de son enfance. Il en va tout autrement des conversions tapageuses que nous voyons se produire dans le monde des lettres. On me dira que ces convertis littéraires rentrent dans la classe des hommes simples. Sans doute, mais ils n'agissent pas avec simplicité. D'abord leur conversion coïncide toujours avec un livre nouveau, dont elle opère le lancement, comme par hasard. Ensuite, ce livre est quelquefois explicatif et on voit alors l'homme simple se lancer avec une incompétence rare dans l'apologétique tant générale que personnelle. Le converti littéraire narre sa conversion et c'est pitoyable, comme toutes les confessions qui ne sont pas impudentes. Il expose comme quoi il appartenait au Diable et que maintenant il est tout à Dieu. Survient l'éloge de Dieu. Survient l'éloge de la bonne Vierge, très à la mode parmi les convertis, aujourd'hui comme au quatorzième siècle. Je ne sais pas si Pascal, qui avait une intelligence d'homme, nomme une fois, avec révérence particulière, la Sainte Vierge. Les petits convertis s'accrochent comme des enfants apeurés aux jupes célestes de la bonne dame. N'est-ce pas M. Péladan qui l'appelait, aux temps verlainiens, « cette belle nymphe chrétienne » ? Le paganisme catholique des symbolistes était un curieux décor littéraire. Nous en sommes loin avec la vieille grand'mère de M. Huysmans (que Dieu ait son âme !) et de ses imitateurs. Elle a trop l'air vraiment dans les Foules de Lourdes de la concierge de ses propres sanctuaires. Triste et basse mythologie !
Mais les écrits apologétiques de M. Huysmans ont encore un peu du haut goût de sa littérature si originale. Et puis, il n'abuse pas de la confidence. Il a eu la pudeur de donner la forme romanesque à ses bonnes fortunes mystiques : c'est pour lui un prétexte comme un autre à compulser le dictionnaire analogique qu'il portait dans la tête. Autant que cela était permis à son égoïsme têtu, il a essayé de généraliser et de donner non pas l'histoire de sa conversion, mais l'histoire d'une conversion. On reste avec lui dans l'art. D'autres sont venus, hélas, et d'autres viendront, car nous sommes en pleine épidémie, qui auront d'autres soucis. Ils veulent nous édifier, tout simplement, et ils nous ennuient. Ils vivaient, nous confient-ils, une vie de banale débauche, et ils vont dorénavant, avec l'aide de Dieu, vivre une vie de banale dévotion. Cela les regarde, mais qu'avons-nous à faire de ces aveux, nous qui respirons dans l'incertitude de l'art, dans l'incertitude de la science, et qui méprisons les vérités qu'on ramasse à la pelle dans les écoles primaires ou dans les sacristies ?
Pourquoi ne pas le dire, la seule conversion que je comprenne est celle qui, de la foi où le hasard nous a fait naître, nous ramène, par le travail de la vie et de l'étude, dans les voies saines et honnêtes du scepticisme. Je ne dis pas le doute, je dis la non-croyance. Le héros de la conversion, ce n'est pas saint Augustin, c'est Renan.
Virginité. Les superstitions touchant la virginité sont très nombreuses. On sait quel rôle les vierges mères tiennent dans plusieurs religions, et principalement dans la nôtre. Quelquefois la vierge est méprisée, dès quelle dépasse un peu trop l'âge nubile : la fille de Jephté. D'autrefois, ce caractère même lui confère des mérites particuliers : vierges chrétiennes. Mais, en général, la vierge des légendes populaires est toujours une jeune fille. Vieille, elle n'intéresse plus. La superstition la prend au moment précis où son ignorance sexuelle est un charme. Plus tard, cela devient une tare, que les années aggravent, jusqu'au moment où la vieillesse efface tout. Il y a certaines choses, nobles ou vulgaires, que la pucelle seule peut accomplir. Au XVe siècle, une pucelle devait sauver la France. Les talents de Jeanne d'Arc, réels ou de convention, sont peu de chose dans sa mission : avant tout, elle est vierge, et c'est la condition première de son succès. Dans le conte picard des Meules, une vierge seule peut accomplir certain exploit singulier. La tradition populaire, octroie aux pucelles une influence heureuse sur le hasard : idée de la Mascotte. Enfin, la vierge jouit de propriétés confortatoires : David vieux reprenant des forces au contact d'une pucelle. Il est admis que ces effluves virginaux peuvent aller jusqu'à rendre aux impuissants le pouvoir génital. De là, beaucoup de mariages insensés où un vieillard épouse une vierge, comme il prendrait un philtre. De là encore ce fait étrange, que certains viols tentés sur des petites filles sont l'œuvre d'impuissants, « convaincus, dit P. Moreau, de Tours, que le contact d'une vierge aura le pouvoir de ranimer leurs forces absentes et leur permettra d'affronter sans honte le combat ». Ne pouvant aboutir à rien, ils entrent en fureur, poignardent, étranglent ou mutilent le petit corps qui les a trompés. Voilà pourquoi, la Seine rend les cadavres de fillettes, auxquelles un fou a pu enlever la vie, mais non la virginité.
Clergé. Le peuple de France est en train de faire une expérience curieuse, celle de l'inutilité du clergé. En telle petite paroisse rurale, le clergé fait grève et se refuse aux enterrements : le peuple sonne les cloches lui-même. A Orléans, exemple immense, le clergé s'abstient aux fêtes de Jeanne d'Arc, et, comme par hasard, les fêtes n'ont jamais été plus belles, mieux remplies, plus émouvantes : même l'élément de dureté, presque de deuil représenté par les prêtres, étant éliminé, une joie inconnue s'est répandue dans la ville, rappelant ces joies énormes de jadis, au temps où les prêtres savaient chanter à propos la prose de l'âne et sacrer le roi des Fous. Les prêtres ne savent plus que gémir sur leurs privilèges abolis, sur les âmes qui leur échappent, sur les volontés qui se retournent contre leur tyrannie.
Si une sorte d'état hérétique se formait en France, il différerait fort de ce que l'on a vu au seizième siècle. Cela porterait, non sur la réforme du clergé, mais sur son abolition. Dans les campagnes, principalement, des clercs d'ordre inférieur suffiraient : des chantres, des bedeaux. Les églises deviendraient des sortes de musées spirituels. L'ancienne hiérarchie ecclésiastique avait des portiers : le curé n'est plus pour le peuple qu'un portier.
Les hermaphrodites politiques. Voici M. Jaurès redevenu patriote, et ses sentiments, en cette matière ne le cèdent pas de beaucoup à ceux de feu M. Paul Déroulède. Collectiviste madré, il vient de mettre en prose poétique à l'usage des bourgeois radicaux la poésie prosaïque des Chants du soldat. « C'est trop contre un mari, dit La Bruyère, d'être coquette et dévote ; une femme devrait opter. » C'est trop contre l'humanité d'être collectiviste ou patriote ; un politicien devrait opter. On avait cru jusqu'ici que, parmi les horreurs dont le collectivisme menace la civilisation, il y aurait cette compensation : la paix internationale. D'aucuns eussent accepté le collier collectiviste qui les délivrait du carcan militaire ; mais s'il faut se mettre au cou les deux lacets, merci : il n'y a plus personne. Et puis, ce patriotisme collectiviste, cela n'a aucun sens, vraiment. On peut être patriote pour défendre une société traditionnelle, pour préserver à la fois le génie du passé et le mode présent de sentir et de comprendre, pour garantir l'intégrité de cette figure incertaine, mais aimée, dans les yeux de laquelle se reflète l'esprit national, et cette sensibilité que nous n'avons pas créée, mais que nous entretenons comme un jardin sacré. Quand la sociale aura tout chambardé : quand elle aura posé comme limite suprême de l'intelligence la mentalité d'un syndiqué ; quand elle aura détruit toute grâce, toute élégance, tout raffinement ; quand elle aura, enfin, immoralité parfaite, moralisé toutes les sensibilités, que restera-t-il à défendre ? Rien du tout. C'est pourquoi j'estime M. Hervé. Il a très bien vu l'antinomie des deux idées et, logiquement, il a supprimé l'une des deux. II n'y a de collectivistes sensés que les hervéistes. Les autres, avec leur maître, M. Jaurès, ne sont que des opportunistes : Je suis oiseau, voyez mes ailes ; je suis souris, vivent les rat ! Comme la qualification d'opportuniste est encore honorablement, et surtout historiquement, portée par un parti politique, pourquoi n'appellerait-on pas les collectivistes patriotards : le parti des hermaphrodites ?
Les lettres françaises et la concurrence des morts. La plupart des écrivains ont reçu récemment une étrange circulaire. Elle rapportait et elle vantait le texte d'une proposition de loi déposée par M. Ajam, député. Ce texte est prodigieux. Le voici, tout d'abord :
« Article premier. A partir du Ier janvier 1908, toutes les éditions nouvelles d'auteurs tombées dans le domaine public par application de la loi du 14 juillet 1866 seront frappées d'un droit de dix pour cent au profit du Trésor public ;
« Art. 2. Le paiement de ce droit, qui sera proportionnel à la valeur de l'ouvrage broché, sera effectué par l'apposition d'un timbre mobile placé sur la couverture de chaque volume mis en vente ;
« Art. 3. Ce droit sera applicable aux traductions d'auteurs étrangers, à moins de conventions diplomatiques contraires ;
« Art. 4. Toute contravention aux dispositions des précédents articles sera punie des peines prévues par les lois fiscales concernant le timbre. »
Qu'est-ce que ce M. Ajam ? Que fait-il dans le privé ? Est-il apothicaire, avocat ou cordonnier ? Je l'ignore. Sa gloire n'est point parvenue jusqu'à moi. En tout cas, il me semble un assez bon représentant du génie parlementaire. Complètement ignorant des conditions complexes et délicates du commerce des livres, il légifère sur ce commerce même. Il sera peut-être demain rapporteur d'une question d'hygiène publique ou de navigation sous-marine, et il la traitera avec la même incompétence souriante et satisfaite. Je pardonne donc à M. Ajam, qui fait son métier. Il paraît d'ailleurs que sa proposition de loi, dont il est incapable et insoucieux de mesurer la portée, lui a été suggérée sinon dictée. Elle serait sortie, tout armée de ses dix pour cent, du cerveau même du Petit Journal, cerveau éminemment littéraire. D'autres l'attribuent à la Société des gens de lettres, célèbre société de secours mutuels. Rendons M. Ajam à la buvette ou à la commission des sucres ; il ne sera plus jamais parlé de lui.
Voici maintenant l'essentiel de la circulaire. Si elle émanait de l'initiative parlementaire (comme ils disent), si elle était le produit des mouvements atomiques de la matière grise du Petit Journal, si elle avait été élaborée par les Ponson du Terrail de l'illustre compagnie mutualiste, elle serait négligeable. Mais elle nous vient d'un milieu où l'on a précisément la prétention de s'ériger en censeur des lettres françaises et de les protéger tout en les vitupérant. Cela lui donne une valeur: « Nous vous demandons de vouloir bien accorder à cette proposition de loi l'appui de votre nom. Il est bon que les écrivains montrent qu'ils ont conscience de leurs intérêts, qui sont les intérêts de la littérature elle-même. Insister sur l'importance morale d'une telle manifestation serait superflu. Ce qui importe, c'est de lutter avec méthode pour lutter avec efficacité contre cette « concurrence des morts », aussi nuisible aux littérateurs vivants qu'elle est favorable aux éditeurs. Ce qui importe particulièrement, c'est de hâter la solution qui doit nécessairement intervenir, etc. »
On s'est déjà occupé dans la presse quotidienne et de cette proposition de loi et de cette circulaire. M. Paul Souday, dans l'Eclair, et surtout M. Emile Faguet, dans le Gaulois, ont dit d'excellentes choses, en montrant tout ce qu'il y aurait d'inutile, d'injurieux et même de néfaste dans ces dix pour cent sous lesquels, comme sous un éteignoir, on voudrait étouffer la flamme de la pensée française. Moi-même, je n'ai pas dissimulé à M. Ajam et à ses souffleurs que leur projet équivaudrait, à mon avis, à la défense pure et simple de réimprimer les livres tombés dans le domaine public. Mais il faut d'abord entrer dans quelques détails sur le fonctionnement d'une librairie.
M. Ajam, comme tout le monde, comme les auteurs eux-mêmes, et les premiers, croit qu'un livre sorti de chez l'éditeur est un livre vendu. Un livre sorti est un livre mis en vente, voilà tout. Il y a des livres qu'on a vus partout pendant trois semaines, et qui rentrent un à un au bercail bien tranquillement. C'est un cas extrême. C'en est un aussi que, pendant une année et plus, l'éditeur ait peine à suffire aux demandes, que les éditions s'envolent sans esprit de retour. Donnons un exemple moyen et qui représentera assez exactement la destinée d'une œuvre ancienne, à demi oubliée, et que l'on redonne au public. Pour en vendre un exemplaire ou, selon les cas les plus favorables, deux exemplaires, il en faut mettre en vente trois exemplaires. L'impôt proposé par M. Ajam n'est donc pas de dix pour cent, mais d'une quotité qui varie entre vingt-cinq et trente-trois pour cent. Il faut encore noter que les rentrées, en librairie, sont très lentes, espacées sur douze et dix-huit mois, tandis que l'impôt sera immédiat, préalable à toute mise en vente. Le petit éditeur débutant, s'il n'a pas sept cents francs à verser tout d'abord à l'Etat, est ruiné, car on s'arrange avec un imprimeur, un marchand de papier, un auteur même; on ne s'arrange pas avec le fisc. Mais il n'y a pas à prévoir d'issues aussi tragiques. Grands, petits et moyens, les éditeurs s'abstiendront et la littérature ancienne sera lue dans les bibliothèques, comme on fait aujourd'hui des manuscrits ou des éditions rares.
J'ai le bonheur d'avoir une intelligence concrète. Quand on me parle d'un impôt de dix pour cent, je ne comprends que si j'en ai pu faire l'application sur le vif. Je pense que la librairie Garnier, après avoir fait réimprimer les œuvres complètes de Voltaire en cinquante-deux volumes à sept francs, et rémunéré convenablement le savant M. Louis Moland, doit, avant de mettre ce papier en vente, verser à l'Etat la somme de soixante-douze mille francs. Voilà qui s'appellerait encourager la culture des lettres françaises et les grands travaux d'érudition. Je pense aussi à la courageuse petite Bibliothèque nationale, qui a rendu tant de services, avec ses volumes à cinq sous, aux jeunes gens studieux et pauvres. Elle publie les œuvres choisies du même Voltaire en vingt volumes et je suppute que, pour espérer de couvrir ses frais initiaux, elle est obligée de tirer environ à dix mille exemplaires. Le chiffre est fort modéré. Au moment donc qu'elle met en vente cet humble Voltaire, ce Voltaire des pauvres, l'Etat français lui réclame cinq mille francs. MM. Ajam et Ernest-Çharles sont décidément des bienfaiteurs de l'humanité et de parfaits démocrates. Je n'ai que dix ou quinze sous par semaine à dépenser en livres, et ces protecteurs des belles lettres me défendent Voltaire, car il est bien évident que, devant cette démence fiscale, la Bibliothèque Nationale, met la clef sous la porte et laisse le Petit Journal abreuver les foules de ses fructueux feuilletons. M. Ajam, à qui nous faisons des rentes, nous dira que dix pour cent sur cinq sous, c'est une vétille et que, si l'on paie cinq sous ces petits tomes on les paiera six tout aussi bien. Cela n'est pas sûr, mais ce qui l'est, c'est que cette Bibliothèque, si l'impôt rêvé eût fonctionné à ses débuts, aurait déjà payé à l'Etat pour assurer une retraite de douze cents francs à M. Marcel Prévost et à ses congénères quelque chose comme quatre-vingt mille francs. Une vétille, dira M. Ajam : le huitième du capital nécessaire à l'entretien de mon génie parlementaire.
L'article 3, qui vise les traductions, est énorme. A ce degré, l'ignorance est scandaleuse. MM. Ajam et Ernest-Charles s'imaginent vraisemblablement que les traductions se font toutes seules et que l'éditeur, qui les publie, n'a qu'à se baisser pour les cueillir. Qu'ils soient détrompés ! Les traductions sont payées : à forfait, si l'ouvrage est dans le domaine international, ou si elles sont commandées par l'éditeur acquéreur préalable des droits; sous forme de droits d'auteur, si c'est le traducteur qui se présente, soit muni des autorisations, soit, l'ouvrage étant dans le domaine, bien décidé à ne point vendre ferme. Il arrive donc souvent que l'éditeur se trouve en face d'un traducteur qui veut être considéré ou du moins traité comme un auteur original. Dans ces conditions, qui sont celles où a été fait notre Nietzsche, par exemple, l'édition d'une oeuvre traduite est plus onéreuse qu'une édition d'œuvres originales, puisqu'elle est grevée, à l'origine, de l'acquisition des droits. Que ce M. Ajam est donc comique ! Il nous demande qu'après avoir acquis la propriété allemande (en France) des œuvres de Nietzsche, qu'après avoir traité, comme auteur, avec l'excellent traducteur, nous versions à l'État un petit supplément de dix pour cent ! M. Ajam veut rire : s'il avait été question de cela, le Nietzsche français n'aurait pas vu le jour ; le Mercure aurait probablement résisté à la tentation, lui et d'autres, de verser à l'Etat quatorze ou quinze mille francs en sus des droits usuels pour avoir le droit de faire parler Zarathoustra. S'il y avait cédé, d'ailleurs, et s'il avait mené du même train l'ensemble de ses affaires, il serait promptement descendu vers le noir Erèbe.
Notons d'ailleurs que cet article 3 est obscur. On ne sait si M. Ajam prohibe toutes les traductions (ce qui serait d'un protectionnisme logique) ou seulement celles qui ne sont plus protégées par les traité. C'est pourquoi j'ai examiné les deux hypothèses. Dans la première, les éminents promoteurs suppriment à la fois l'Homère de Leconte de Liste, le Shakespeare de François-Victor Hugo et les Nietzsche et les Kipling ; dans la seconde, ils ne suppriment qu'Homère et que Shakespeare.
Ces exemples, que j'ai tenu à donner avec un certain détail, feront comprendre comment la loi de MM. Ajam et Ernest-Charles est une loi prohibitive. Encore n'ai-je parlé que d'auteurs célèbres et dont la clientèle se renouvelle sans cesse. Si l'on tombait aux auteurs du second ordre ou jugés tels par les professeurs et le public à ceux qui ne sont que curieux, à ceux qui ne sont pas absolument indispensables à une éducation ordinaire, la démonstration serait encore plus frappante. Nous ne voyons pas l'éditeur Sansot, après avoir payé le travail de M. van Bever, verser à l'Etat quatre ou cinq cents francs pour avoir le droit de mettre en vente la Musette du sieur Dalibray, poète burlesque du temps de Louis XIII. Quoi ! La Société des Anciens Textes va payer un impôt formidable parce qu'elle a eu l'audace de publier en dix volumes les œuvres complètes d'Eustache Deschamps !
Cependant, il faut achever de sonder la cervelle des Ajam. De même que les Ajam s'imaginent que les traductions se font toutes seules, ils croient que pour réimprimer un auteur ancien, il n'y a qu'à envoyer le texte à l'imprimenr et qu'en six semaines le volume revient tout fait. Mais que ne s'imaginent pas les Ajam dans leur ignorance ! Les Ajam s'imaginent des choses dont nous n'avons aucune idée. Ils s'imaginent que la librairie « des morts », c'est une quinzaine de romanciers célèbres. Vont-ils même jusqu'à quinze, et que citeraient-ils des morts abhorrés, après Balzac, Dumas, Sand, Sue, Hugo et Musset ? La librairie est plus compliquée que cela : il y a quatorze cents noms dans le catalogue Firmin-Didot, dont plus de la moitié sont des noms de morts. Ah ! oui, elle est terrible, la concurrence des morts, terrible pour les clients des Ajam. Pour nous, pour moi, en particulier, elle est douce. Concurrence ? Pour moi, c'est émulation. C'est avec les morts, je l'avoue, que j'aime le plus à me battre et à me débattre. Je désire qu'on lise Voltaire, afin qu'il y ait encore des gens capables de juger si j'en ai approché quelquefois. Cela me flatterait beaucoup. Je désire qu'on lise tout ce qu'il y a de beau, de spirituel, de curieux, de touchant, de rare, de profond. C'est à la suite de ceux que, proscrivent MM. Ajam et Ernest-Charles que je prétends marcher. Je veux une ligne dans les tomes où l'on parle du génie français. Je trouve cela aussi glorieux que plusieurs colonnes de chiffres dans les registres de la Société mutuelle des gens de lettres. Tous les goûts sont dans la nature.
On a fait quelque chose . Des gens ne font rien que de s'assembler sur les places publiques pour se réconforter les uns les autres en devisant sur leur misère. Sans doute, ils donnent un spectacle dont le gouvernement est humilié, parce qu'il sent qu'on y voit la preuve de son incapacité, et l'on comprend très bien que les maîtres de l'Etat se hâtent de faire quelque chose qui pallie les résultats tristes et trop logiques de son imprévoyance. L'Etat a le choix des mesures, des projets et des promesses. La vie n'est pas seulement un fait brutal, c'est aussi, et surtout peut-être, un fait idéal. Il s'agit beaucoup moins d'être riche ou heureux que de croire qu'on va être riche ou heureux. Dans l'instant même, la valeur de la vie est bien plutôt déterminée par le jugement que nous faisons de nos sensations que par nos sensations elles-mêmes. Parmi donc les grandes charges qui lui incombent, un gouvernement a celle d'entretenir, parmi le peuple, la confiance dans la vie. Or, rien n'inspire plus de confiance que l'action. Il est donc tout naturel que l'Etat ait eu, enfin, l'idée de faire quelque chose.
On aurait pu annoncer à une région malheureuse une remise des impôts, partielle ou totale, provisoire ou définitive. On aurait pu demander au Parlement vingt millions à mettre à la disposition des municipalités. On aurait pu employer la même somme ou une somme très supérieure à fonder une banque vinicole, faisant aux vignerons des avances à un taux infime. On aurait pu poursuivre férocement la fraude, .semer tout le long du pays désolé les exemples d'une répression terrible. Un fraudeur est un voleur et de la pire espèce, un voleur par abus de confiance. On aurait pu essayer de négocier des traités de commerce un peu moins onéreux pour nos vins.
On aurait pu entamer la grande réforme des octrois. Toutes les histoires de France vous diront que les douanes provinciales étaient une des hontes et une des bêtises de l'ancien régime ; mais elles ne vous diront pas que les octrois sont bien plus honteux encore et bien plus bêtes. On aurait pu, par des puits artésiens, par des canalisations, donner à une région sèche l'eau qui lui manque et qui en ferait un luxuriant jardin. On aurait pu concéder enfin ce canal des Deux Mers qui, à défaut des bénéfices de l'exportation, prohibés par M. Méline, apporterait peut-être à une vaste région ceux du transit. On pouvait au moins avoir pitié de ces gens qui souffrent. On pouvait s'abstenir, devant leur malheur, de crier : « C'est du battage. » On pouvait émettre sur le sucrage une loi qui fût autre chose qu'une calembredaine dictée par M. Ribot, ce vieux crocodile. On pouvait envoyer à ce peuple gueux de l'espérance et de la sympathie. Rien de tout cela. Cependant il fallait faire quelque chose, et on a fait quelque chose. On a envoyé contre les vignerons en détresse des escadrons qui ont chargé comme à Reischoffen. Vive l'armée !
Nouvelles d'Italie . L'Italie est en proie à un renouveau spiritualiste, à une crise occultiste, à la maladie du bouddhisme. C'est beaucoup de maux à la fois, dont le moindre n'est pas celui qu'on pense. L'occultisme lasse vite par sa niaiserie. La bouddhisme apparaît bientôt tel qu'un amas d'absurdités qui ne le cède en rien au catholicisme, la mentalité d'un lama étant toute voisine de celle d'un capucin. Le danger, c'est le spiritualisme. Il y a là une grande corruption de l'intelligence. Les spiritualistes voient le monde animé séparé en deux castes : les animaux, l'homme. Ils en sont à l'astronomie d'avant Copernic : ils croient que l'homme est le but de la nature, comme on croyait que la terre était le centre de l'univers. Le spiritualisme n'est peut-être pas une maladie sans remède, mais elle est tenace, et la science en viendra à bout d'autant plus difficilement que la plupart des savants, gens tout aussi médiocres que les autres, en sont eux-mêmes atteints très gravement. Quelques-uns cumulent, et, non contents de parler de l'immortalité de l'âme, en cherchent la preuve dans la danse des tables et dans les jongleries d'Eusapia Paladino. C'est peut-être logique. Le spiritualiste, s'il affecte de mépriser la religion régulière de son pays, est amené par la force des choses à s'enrôler dans quelque petite église dissidente. Les clients de la somnambule sont des libres-penseurs décidés : ceux d'Eusapia, pareillement. Il va de soi qu'on vitupère les ratichons en triturant le marc de café et en recoupant le grand jeu. Les hommes n'abandonnent une absurdité qui a fait ses preuves que pour une absurdité nouvelle et dont l'absurde a quelque chose de frais, de cordial qui enchante les appétits. C'est le cas de l'occultisme. Pour nous, à vrai dire, c'est une vieillerie. Pour les Italiens, c'est une nouveauté dans sa fleur. Ils sont en retard de quinze ou vingt ans, voilà tout. Je viens de parcourir plusieurs revues de là-bas, de celles qui tiennent la tête du mouvement nouveau. L'une se répand en apologies religieuses universelles : c'est le Coenobiam ; une autre défend le bouddhisme contre M. Papini, qui l'attaqua dans la Stampa : c'est Prose ; une autre nous expose galamment le point de vue de l'occultisme : c'est Leonardo, la propre revue de M. Papini. Mais l'auteur du Crepuscolo dei filosofi ne perd point le nord. Il soigne l'opinion en même temps que son pragmatisme, qui est une philosophie de la volonté (1), et il nous explique pourquoi il donne l'hospitalité aux occultistes. Le principal motif, c'est que M. Papini n'est pas lui-même très loin de l'occultisme. Il confesse que : « Esso ha il merito di essersi occupato dei modi coi quali si possono cambiar le cose... » Nous revoilà dans le pragmatisme et revenus aux derniers chapitres du Crepuscolo où l'occultisme fait une inquiétante apparition. Hélas ! tout cela vient peut-être de Nietzsche et de son surhomme ! Si la surhumanité est le but, tous les moyens seront bons pour y atteindre. Joignez-y la théorie du bovarysme de M. de Gaultier, qui est un exposé critique et qui a été reçu comme un conseil, et vous avez les racines du pragmatisme. Il était bien dangereux de dire : « L'homme a la faculté de se concevoir autre qu'il n'est. » On a lu : « L'homme a la faculté de se rendre autre qu'il n'est. » Le surhomme de Nietzsche est un grandiose bovaryque, mais un bovaryque. Il faut ajouter à cela que si les théories de Nietzsche, des occultistes, des pragmatistes et des « miraclistes (2) » sont en contradiction avec la constance démontrée de l'animal humain, de sa physiologie et de ses facultés, le bovarysme, qui est une vue de dilettantisme philosophique, échappe nécessairement à ce reproche (3).
Mais revenons à l'occultisme, sans plus le considérer comme un des échelons du pragmatisme, au bon occultisme, celui de Blavatsky, d'Eliphas Levi, de Saint-Martin, de Giordano Bruno, de Platon, et, immanquablement, du Baghavad-Gîta et du Raja Yoga. Il manque Papus à cette liste, mais Papus monte-t-il encore à sa tour ?
Je me souviens que, vers 1890, étant allé voir M. Ribot, à la Revue Philosophique, il me dit : « En redescendant, regardez donc l'étalage de la maison. » Je regardai et je lus sur les livres exposés : Eliphas Lévi, Dogme et rituel de la haute magie, la Clef des grands mystères, la Science des Esprits ; Du Potet, la Magie dévoilée, ou principe de science occulte ; Cahagnet, Sanctuaire du spiritualisme ; et ces mots alléchants : Bibliothèque diabolique. Ces livres, il est oiseux de le dire, ont disparu depuis longtemps de la vitrine de M. Alcan, et je ne pense pas qu'ils reviennent de sitôt. Dans vingt ans, M. G. Papini sera bien étonné d'avoir admis, même l'espace d'un moment, « le point de vue de l'occultisme ». Du moins, je le désire, ayant de l'estime pour lui. Mais comment, à l'heure présente, un Italien garderait-il sa pleine santé intellectuelle ? Le milieu entier est contaminé. Des biologistes eux-mêmes, Morrelli, Foa, en arrivent, tel notre extraordinaire Richet, à admettre les matérialisations ! Ce délire occultiste est naturellement lié à une puissante réaction catholique : dans ce domaine, tout semble se contredire, et tout est confirmation mutuelle (4).
(1) Ou du possible, plutôt. Le mot possibilisme conviendrait peut-être.
(2) Je songe à Jules Bois et à son Miracle moderne. Qu'il apprenne ici qu'il est un véritable pragmatiste.
(3) Le vrai pragmatiste français, et qui ne s'ignore pas, lui, au contraire, c'est M. A. Chide. Son livre l'Idée de Rythme est un des bréviaires des nouveaux possibilistes.
(4) Le peuple de Rome, au milieu de ces précieuses divagations, vient de s'offrir un conseil municipal, non pas en majorité, mais à l'unanimité anti-clérical. La vie est tout de même amusante.
Le nouveau Syllabus. Le pape vient de promulguer un nouveau Syllabus. C'est une excellente idée. Ce document sera fort apprécié des libres esprits, qui ne voient pas bien pourquoi, Jésus de Nazareth étant ressuscité d'entre les morts et monté au ciel, miracle admis par les théologiens les plus disputeurs, il serait absurde de prendre à la lettre le miracle de Josué arrêtant le soleil. C'est ce que le pape fait observer avec beaucoup de raison aux protestants égarés dans son Eglise. Il faut croire tout ou ne rien croire. La position de Luther est la plus absurde du monde, et celle de M. l'abbé Loisy n'est guère plus recommandable. Pourquoi, dans l'amas de folies qui constitue le dogme chrétien, faire un choix ? Quoi ! Vous admettez l'incarnation et vous disputez sur les sept jours de la création du monde ? Vous croyez à un Dieu qui a un fils et vous niez les sept plaies d'Egypte ? Vous vous inclinez quand on vous dit que noir est blanc, et vous vous révoltez, quand on vous dit que bleu est rouge ?
Le pape répond à ces contradictions par une parfaite leçon de logique ; en même temps, il détruit à jamais la profession agréable (paraît-il) de catholique libéral, celle d'exégète orthodoxe et celle encore de conciliateur patenté entre la religion et la science : M. Lamy, M. l'abbé Loisy et M. de Lapparent s'effondrent du même coup, tombent en poussière. C'est aux deux dernières professions que s'est attaqué particulièrement le pape d'aujourd'hui, les catholiques libéraux avaient été exténués par le pape d'avant-hier. Voici donc M. de Lapparent forcé de croire et d'enseigner que les chauves-souris sont des oiseaux, les baleines, des poissons, et le lièvre un ruminant. C'est Dieu lui-même qui nous enseigne cela, affirme le pape, et qui mieux que le pape est au courant des intentions divines ? Pie X nous affirme en propres termes que Dieu est vraiment l'auteur de la Bible, car il condamne la proposition suivante : « Ceux qui croient que Dieu est vraiment l'auteur de l'Ecriture sainte montrent une trop grande simplicité ou ignorance. » C'est donc un fait désormais incontestable ; Dieu est un de nos meilleurs poètes et son œuvre va de pair avec les Védas, l'Iliade.
J'ai précisément relu, l'autre semaine, la Genèse dans la version de M. Ledrain et j'en ai gardé une impression assez forte. Les premiers livres sont bien, en effet (que ce pape a d'esprit !), quelque chose comme les mémoires de Dieu. Ainsi que César, Dieu parle de lui à la troisième personne, mais nul homme de bonne foi ne s'y est jamais trompé. Il n'y a que Dieu qui pouvait se permettre, dans ses commentaires, d'aussi divines contradictions. Un auteur humain aurait mis un peu d'ordre dans ces récits confus (comme la vie) qui recommencent sans cesse et ne finissent jamais. Il aurait unifié le nom de son héros, tandis que Dieu, avec la désinvolture de qui se sent au-dessus de toutes les lois, se donne des noms différents de chapitre en chapitre : ici, c'est Jéhovah, et là, c'est Elohim. Autre curiosité : tantôt il se donne comme le Dieu unique, tantôt il avoue qu'il y a plusieurs Dieux et qu'il les représente. Ah ! Seigneur, c'est un livre bien curieux que votre Bible, mais vous vous y moquez de nous un peu cruellement ! Et puis, vraiment, ce code de la morale divine blesse la pudeur humaine. Il n'est pas d'usage chez les peuples civilisés qu'un homme parle en termes précis des organes sexuels de sa bien-aimée. On dit généralement : « Ton cœur ! Donne-moi ton cœur ! » Et elle répond : « Mon âme, mon cœur, tout est à toi ! » Cela suffit, on se comprend fort bien, encore que, dans l'opération qui s'ensuit, il ne s'agisse plus ni de cœur, ni d'âme, ni d'aucune métaphore. Seigneur, je ne puis transcrire ici le mot dont vous vous servez dans votre voluptueux Cantique des cantiques pour exalter les beautés secrètes de votre épouse favorite. Saint Jérôme avait reculé devant l'image que vous évoquez avec une hardiesse toute divine. Le brave homme, au lieu de... mit pudique[ment] nombril, ce qui coupe court à toutes les curiosités, le mot étant sans issue. Vos théologiens ont décidé que vous avez entendu chanter, en ce poème énervant, non pas les beautés périssables de quelque jolie bédouine, mais les immortelles beautés de votre sainte Eglise et les noces perpétuelles qu'elle célèbre mystiquement avec vous. Alors, pourquoi parler de sa...? Est-ce que l'Eglise catholique, apostolique et romaine a une... « pareille à une tasse ronde qui ne manque pas d'un vin mélangé » ? Je ne m'en serais jamais douté et il faut vraiment, pour que je le croie, votre autorité et celle de M.Ledrain. Elles sont grandes, surtout la vôtre, depuis qu'elle a été certifiée à nouveau par le pape régnant.
Mais puisque c'est vous, Seigneur, qui avez dicté le Cantique des cantiques, comment se fait-il que vos prêtres viennent nous défendre d'en mettre en pratique la voluptueuse morale ? II y a, là encore, une contradiction qui nous déroute un peu. Serait-ce que vos prêtres ne vous ont pas compris ? Ils sont si intelligents, pourtant ! Permettez-moi, puisqu'il y a désaccord, de m'en tenir, moi qui ne suis qu'un profane, au sens littéral de votre agréable poème. J'aime mieux que la gloire charnelle que vous chantez soit une vérité humaine qu'une métaphore théologique. Mais, frère de Zeus, comme on reconnaît bien là votre divinité ? Comme vous êtes bien de la famille de celui qui aima tant les filles des hommes et leur fit tant d'enfants ! Cygne de Léda, colombe de Marie ! Seriez-vous aussi l'auteur des métamorphoses d'Ovide ? Mais la Bible suffit à la réputation de Dieu. Cela fut une encyclopédie et c'est encore un recueil de mélanges des plus amusants à feuilleter. Nulle part on ne voit plus largement étalée l'orgueilleuse naïveté des hommes. Les Juifs furent vraiment représentatifs de cet état d'esprit qui fait que l'humanité se considère comme un monde surnaturel, le qualificatif méprisant de naturel étant réservé au reste de la création. Il a fallu des siècles pour que quelques hommes, un peu moins fous que les autres, en arrivassent à supposer qu'entre le monde animal et le monde humain il y a peut-être quelques analogies de structure, de sensibilité et même de raisonnement. Epicure avait cette notion, assurément, mais elle sombra dans le discrédit avec les épicuriens eux-mêmes, et l'on vit bientôt l'idée juive d'un dieu juif, père et conservateur des Juifs, conquérir le monde.Ces bédouins entêtés ont fini par faire adorer leur Jéhovah par la plus grande partie du monde civilisé, et par lui imposer leur plus singulière croyance, la Providence. Les idées judéo-chrétiennes ont fait beaucoup moins de mal sous leur forme religieuse que sous leur forme philosophique ; aussi, pour en revenir au nouveau Syllabus, doit-on remercier vivement le pape d'avoir creusé encore le fossé qui sépare la philosophie de la religion. Les deux mondes sont séparés par de telles lacunes qu'ils ne se rejoindront pas d'ici bien des années. On ne verra pas, comme on en était menacé par le succès des Loisy et des Mignot, les nations catholiques se protestantiser peu à peu, c'est-à-dire accorder à la théologie une importance ridicule et fâcheuse. Nous échapperons à cette atmosphère de religiosité biblique qui rend irrespirable l'air anglais et l'air américain. Il y aura encore des peuples pour lesquels la religion, purement sociale, est un ensemble de cérémonies que l'on accomplit à jours fixes dans des temples dont quelques-uns sont fort beaux. La religion, ainsi sentie, ne fait de mal à personne. S'il est vrai que le sentiment religieux ne doive jamais disparaître, conservons-lui, par amour pour la civilisation, ses formes les plus catholiques, c'est-à-dire les plus païennes, les plus gonflées de superstition, d'absurdités, de folies. Le danger pour l'intelligence humaine, c'est la religion raisonnée et qui tend à se faire raisonnable. Elle n'est pas dangereuse, l'eau de cet étang, verdie, épaissie par toutes sortes d'herbes et de feuilles ; elle ne l'est pas, parce que nul n'est tenté d'y boire. Le danger, c'est l'eau d'aspect pur : si elle contient la mort, on est contre son attrait sans défense.
Remercions donc notre excellent pape d'avoir déclaré que l'évangile de S. Jean, qui contredit les trois autres, est cependant tout aussi vrai. Est-ce avec cela, en effet, qu'un esprit sain s'empoisonnera ? Je ne le pense pas.
[le Volume complémentaire date cet épilogue du 16 juillet]
Cinématographe.
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