En secret René s'initie et travaille. Il se plongeait dans les numéros du Mercure, de la Nouvelle Revue française naissante et chacun, suivant les heures, l'emplissait d'espérance ou lui cassait les reins. Chaque article élevait aux nues une attitude différente, un nouveau génie, et les portait tour à tour si haut qu'il lui fallait battre des ailes, à se les briser, vers le lyrisme dionysiaque, ou planer dans les sérénités apolloniennes, se jeter tantôt vers le stendhalisme, tantôt vers Nietzsche. Il y avait des heures où il vêtait son âme de pierreries comme une Salomé, d'autres où il la mettait à nu comme un ver. Il ne savait plus où donner de la tête : dépouillement classique, cynisme, culte du moi, unanimisme à la Walt Whitman qui donne des baisers au monde. Il était déchiré.

Il attend. Le premier du mois, le quinze, il se jette sur le Mercure. Parle-t-on de l'Enfance trouble ! Rien encore ! Il guette la chronique de Souday, d'Abel Hermant, de Lanson. La mère et l'enfant, Jean Barois, le Rail, le Retour de l'Enfant prodigue... Pas d'Enfance trouble. — Il écrit des lettres suppliantes à Rémy de Gourmont, à Rachilde, à Ernest-Charles. Chaque matin il guette le facteur comme jadis pour les lettres de sa mère. Enfin les coupures de l'Argus !

(J. Gaument & C. Cé, Largue l'amarre, Bernard Grasset, 1924)