Gaston Rageot, « Revue des livres. Littérature étrangère : La Gloire de Don Ramire, par Enrique Larrêta », Les Annales politiques et littéraires, 10 juillet 1910, p. 30


Dès les premières pages, on comprend l'extrême plaisir qu'un écrivain tel que M. Rémy de Gourmont a pu goûter à la traduction, dans sa belle langue, de la Gloire de Don Ramire. Ce livre d'Enrique Larrêta est, en effet, une évocation d'art d'un très grand mérite : elle est somptueuse et riche, variée, émouvante troublante, d'une forme très belle, et qui fait penser à nos œuvres les plus célèbres du même genre, presque à Flaubert.

C'est au temps violent de Philippe II. Don Ramire porte dans son sang toute la frénésie trouble de l'époque. Il est fils d'une chrétienne et d'un Maure. Il aspire pareillement à la volupté et au sacrifice, et les fluctuations de sa jeunesse passionnée, du désir farouche à la foi fanatique, sont le thème éclatant du livre. C'est en se dévouant à la cause sacrée, pour remplir, une mission qu'il croit divine, qu'il se lie d'une ardeur trop humaine avec Aissa la Mauresque. Le récit de cette aventure avec l'exquise et mystérieuse fille est parmi les. plus plastiques que je connaisse. Puis, l'ayant abandonnée et même trahie comme renégate devant l'Inquisition, il assiste, lorsqu'elle est brûlée vive, à sa mort héroïque et muette : admirable tableau que cet autodafé...

Sans doute est-il difficile de juger en lui-même le livre d'Enrique Larrêta : il faut le prendre comme nous l'a donné le traducteur. Pour une fois, il est fort possible que le traducteur ait embelli. Rémy de Gourmont est un des plus purs écrivains de cette époque, et, s'il n'est pas connu de tous, il est apprécié des meilleurs : il connaît la langue comme Anatole France. Il est aussi un artiste qui, visiblement s'est épris du caractère esthétique de l'œuvre à laquelle il a prêté la parure de son esprit et de son goût. La Gloire de Don Ramire est un roman espagnol : c'est surtout un très beau livre de Rémy de Gourmont.

GASTON RAGEOT