Octave Uzanne (1851-1931) |
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Mort d'Octave Uzanne. Avec une vive émotion, que ressentiront tous ceux qui l'ont approché, nous avons appris brusquement la mort d'Octave Uzanne, survenue le 31 octobre, à Saint-Cloud, dans cet appartement familier à tous ceux qui, par lui, avaient appris à connaître les livres et à les aimer. Puis, la conversation de l'écrivain presque octogénaire il était né à Auxerre le 14 septembre 1852, était demeurée attachante et charmante. Son âge l'y autorisant, il appartenait à une autre génération, où parler était resté une science. Il était fertile en souvenirs et, malgré un monocle, dont il n'abusait pas, sa vieillesse s'était parée d'une bienveillance extrême, facilement affectueuse. Il était un peu le survivant de ce boulevard, mort à jamais, où les terrasses des cafés étaient volontiers bureaux d'esprit ; à une époque où la chronique est morte, tuée par l'information, il la représentait dans sa dernière et sa meilleure expression. C'était au 62 du boulevard de Versailles, au point terminus du tramway de la Porte-Maillot, qu'il ne fallait pas prendre les jours de courses à Saint-Cloud, sous peine d'être bousculé par l'ignoble public de la Pelouse. Après avoir traversé une cour, on montait quatre étages, une gouvernante d'âge canonique vous venait ouvrir, avenante et bien stylée, puis, une antichambre encombrée de livres traversée, c'était son cabinet, double joie des yeux largement ouverte, la fenêtre donnait sur tout le Val-d'Or, tandis que les murs étalaient les trésors de sa bibliothèque, les panneaux piqués çà et là d'aquarelles et d'eaux-fortes originales, entre autres ce Barbey d'Aurevilly, déconcertant d'allure, qu'on ne pouvait oublier, quand une fois on l'avait vu. Octave Uzanne, qui l'avait bien connu, avait conservé toute sa fidélité à ce culte de sa jeunesse sous sa parole, comme sous sa plume, le connétable revivait il lui consacra, en 1927, dans la collection de l' « Alphabet des lettres » un de ses derniers volumes, le dernier peut-être, étrangement vivant et évocateur. Au cours d'une vieillesse qui fut laborieuse et heureuse, en dépit d'opérations chirurgicales répétées, ne songeait-il pas à écrire un « Eloge de la vieillesse » ? Uzanne possédait plus qu'aucun autre le don de faire revivre ceux qui n'étaient plus. Sans parler de la chronique consacrée dans l'Echo de Paris alors qu'il y abritait, sous le pseudonyme de « La Cagoule », ses Visions de notre Temps, à son cher Fély, au lendemain de la mort de Félicien Rops, c'étaient, dans le Figaro (6 octobre 1923) une nécessaire réhabilitation de Charles Monselet, ce journaliste qui fut un grand érudit, et, à la veille du 17e anniversaire de la mort de Huysmans, une lumineuse étude sur J.-K. Huysmans, réaliste-mystique (10 mai 1924). De tout temps, sa curiosité avait embrassé tous les sujets : le premier, il avait publié des inédits de Baudelaire je ne saurais d'ailleurs oublier quels avaient été son attitude et ses précieux encouragements, lors du fâcheux papier timbré des Amœnitates ; nul autant que lui ne connaissait le XVIIIe siècle, et Casanova nous avait mis en rapport. Lui-même avait eu des ennuis pour la publication des lettres d'Adèle Hugo, et il avait trop connu Poulet-Malassis, de qui il avait tenu sa documentation baudelairienne, l'infortuné Liseux et Henry Kistemaeckers, pour ne point savoir que le métier d'éditeur est difficile et ingrat. Membre fondateur de la plupart des sociétés de bibliophiles qui précédèrent la guerre, de tout temps il avait été un ami du Mercure de France, et, feuilletant ses tables, je relève quatre articles de lui, marquant bien la variété de ses connaissances et portant le sceau de sa curiosité, toujours en éveil : Edgar Poe et son ami F. Holley-Chivers (1er novembre 1907) ; L'Art graphique et figuratif de M. Ingres (1er mars 1911) ; Les marques de possession du livre ; ex-libris français (16 juin 1911) ; Mme de Pompadour intellectuelle, comédienne et organisatrice de théâtre intime (1er mars 1912). A la Dépêche de Toulouse, l'un des seuls journaux qui ait conservé une place à cette chose désuète, surannée et charmante, la chronique, Octave Uzanne apporta, jusqu'à son dernier jour, une fidèle et inégalable collaboration ; n'ayant rien perdu de la vigueur de son intelligence et de sa plume, il y apportait son savoir et un peu de cet esprit de Paris qui tend à disparaître. Il fallait, dans le calme de cet appartement de Saint-Cloud dont nos modernes arrivistes, les « moins de trente ans », ignoraient le chemin, entendre Octave Uzanne remuer les cendres tièdes encore de ce passé qu'il aimait. Les gens y revivaient avec leur relief et leurs ridicules, sur lesquels il n'insistait pas, ayant assez de talent et ayant tenu une place suffisante pour être indulgent et bienveillant. Sa dernière lettre que je retrouve datée du 16 juillet 1930 et écrite d'une maison de santé d'Auteuil, où il venait de subir une nouvelle opération, est tout affectueuse, et à la relire me donne un peu l'impression d'un adieu : J'ai été opéré il y a plus de trois mois, après avoir été patraque cette dernière année. Le choc de cette intervention grave, surtout à mon âge, s'est fait sentir avec rigueur et j'ai bien cru que la lutte pour la survie n'en valait pas la peine, car le dernier tournant de route à faire ne m'offre pas d'avantages appréciables à mon gré, et il faut, en naissant, se tenir prêt à partir tôt ou tard et il est déjà nuit pour moi. Mes forces reviennent au compte-gouttes, le temps seul pourra me rafistoler à peu près, suffisamment pour gagner ma demeure d'éternité. Elle est belle, cette lettre par laquelle, pour la dernière fois, Octave Uzanne m'exprimait ses affectueux souvenirs. Hélas ! le temps, une course sottement remise au lendemain, puis au surlendemain, ne m'ont pas permis d'aller prendre congé du Maître qui, pour moi, avait été un ami et un guide. C'est un devoir tardif que je remplis aujourd'hui, avec émotion. L'œuvre d'Octave Uzanne, qu'appréciait fort Remy de Gourmont, est considérable et demanderait une page du Mercure. A côté des collections du Livre, du Livre moderne, de l'Art et les Idées et des Petits poètes et des Petits poètes du XVIIIe siècle, on doit mentionner parmi ses principales publications : Caprices d'un bibliophile, Le Bric-à-Brac de l'amour, Le Calendrier de Vénus, Les Surprises du cœur, L'Eventail, le Gant, l'Ombrelle et le Manchon, Son Altesse la Femme, La Française du siècle, Nos amis les livres, La Reliure moderne, Le Miroir du monde, Zigs-zags d'un curieux, Les Quais de Paris, La Femme et la mode, Contes pour les Bibliophiles, Dictionnaire biblio-philosophique, Visions de notre heure, Parisiennes de ce temps, La Locomotion à travers l'histoire, etc., etc. PIERRE DUFAY. (« Echos », Mercure de France, 15 novembre 1931, p. 247-250.) Voir aussi : L'Echo d'Alger. A consulter : |