André Dinar |
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Un hommage à Remy de Gourmont. Justice n'est pas tellement rendue à Remy de Gourmont qu'on ne se réjouisse de lire les lignes qui suivent. Elles font partie d'une étude que M. André Dinar consacre aux Grands Critiques d'hier (France, Gourmont, Lemaitre, Souday, Thibaudet) dans le bulletin de la « Maison du Livre Français », Nouveautés (N° 11, février 1940). Remy de Gourmont, écrit M. André Dinar, n'a pas la place qu'il mérite dans l'opinion publique. Quand on compare les hommages rendus à Anatole France, mort, et même vivant, la ferveur des admirations qu'il suscita, le nombre de ses lecteurs assidus en France et à l'étranger, aux tirages trop modestes des livres de Remy de Gourmont, on est confondu. Dans son étendue et sa diversité l'œuvre de Gourmont, qui mourut avant d'avoir atteint la soixantaine, enchante ceux qui se risquent à sa lecture pour peu qu'ils détiennent eux aussi un minimum de sens critique. Malheureusement les lecteurs de Gourmont constituent une élite de moins en moins nombreuse. Quand on interroge des lettrés, ou soi-disant tels, ayant dépassé quarante ans, ils répondent généralement : « Gourmont ? Ah ! oui, je n'ai pas lu grand chose de lui ! » Le « pas grand-chose » est un euphémisme qui se traduit par zéro. Quant aux moins de quarante ans, ils ignorent presque tous jusqu'au nom de Gourmont. En ne considérant ici que ceux des livres de Gourmont qui concernent l'information littéraire, on se contentera ainsi de fixer son apport dans le trésor de la critique littéraire de la France. Ce qui le distingue, ce qui le surclasse, c'est une curiosité d'esprit sans parti pris. Ses investigations dans le maquis littéraire ne s'inspirent d'aucun dogme. Pour Gourmont tout ce qui est imprimé a droit à un examen objectif et minutieux. C'est ce qui l'oppose à un Lemaitre, à un France chez qui le conformisme de leur temps impose une politique littéraire. Gourmont a une préférence marquée pour les auteurs qu'on ne discute même pas, pour les débutants, pour les inconnus. Il est le seul à avoir parlé de certains livres qui sans sa perspicacité n'auraient laissé aucune trace de leur court passage sur le marché du livre. Ce n'est pas Gourmont qui se serait acharné contre Georges Ohnet. Il y avait tant d'autres livres à ce moment qui attiraient son attention. Faire le procès d'un auteur d'actualité ne l'échauffait pas ; mais dénicher un écrivain ignoré du xv siècle ou de son temps, voilà qui piquait son goût de la littérature. À côté du Livre des masques, du Problème du style, de l'Esthétique de la langue française, les cinq volumes de ses Promenades littéraires forment à eux seuls une somme savoureuse et profitable, où les aperçus les plus inattendus voisinent avec un savoir qui émerveille. C'est un guide jamais en retard pour un rapprochement fécond, pour une dissociation qui éveille un monde d'idées : par malheur, il n'est pas assez suivi. Des cinq critiques littéraires cités, Remy de Gourmont, dit en terminant M. André Dinar, demeure celui qui réunit les meilleures garanties pour le lecteur cultivé. Non seulement par ce qu'il a écrit sur les livres lus, mais par le choix personnel de ses lectures. On conclut donc en se demandant si ce qui classe davantage sa critique littéraire n'est pas plutôt la sélection qu'il sait faire dans la production de son siècle et des siècles précédents que les jugements qu'il porte. N'est-ce pas là le secret de la réussite dans le difficile emploi de critique littéraire ? Tout cela très justement raisonné, et qui ne pouvait être dit à un moment mieux choisi qu'au lendemain du cinquantenaire du Mercure de France. G. P. [« Echo » de Gaston Picard, entoilé par Michel Courty, le 21 décembre 2019.]
« Le Mercure de France », La Croisade symboliste, Mercure de France, 1943, p. 169-178.
Curieusement, cet ouvrage qui se place sous le signe de Gourmont et qui ne manque pas d'appréciations élogieuses à son égard (voir l'extrait ci-dessous), ne lui consacre aucun chapitre. Bel exemple, ils sont plus nombreux qu'on ne le croit, de ce que je serais tenté d'appeler l'effet de la lumière invisible : l'importance de Gourmont va tellement de soi qu'on n'en parle pas. Extrait du chapitre LE MERCURE DE FRANCE : Le Mercure devint, en 1894, une société anonyme régulièrement constituée, dont Vallette, Jules Renard et Remy de Gourmont étaient nommés administrateurs statutaires. Ce n'était plus un groupement d'amis, mais un mécanisme ayant une responsabilité légale et une destination précise. Neuf ans plus tard, le succès de Claudine en ménage (d'abord signé : Willy plus tard : Willy et Colette Willy), permit au Mercure de quitter le modeste logement de la rue de l'Échaudé Saint-Germain, pour s'installer rue de Condé, en cet hôtel qui avait déjà un passé et qui, de ce fait, s'enrichit encore de souvenirs et de services. A ce moment, la revue le Mercure de France avait fixé une formule qui lui valut ce rayonnement sans cesse plus étendu jusqu'à son interruption de 1940 ; il devenait ce merveilleux organe d'information capable de satisfaire toutes les curiosités intelligentes. Chaque numéro contient déjà, dans sa première partie, des articles choisis avec la plus grande vigilance sur les sujets les plus divers, des poèmes, des nouvelles et généralement un roman ; la seconde partie est prise par cette « Chronique de la Quinzaine » qui tient ses lecteurs au courant de tout ce dont l'esprit peut faire son profit. Cette Chronique qui a vu le nombre de ses rubriques atteindre progressivement le chiffre stupéfiant de soixante-dix-sept, constitue une mine inépuisable pour les chercheurs, les professionnels de l'information littéraire, pour tout ce qui suit avec intérêt la vie de l'esprit ; c'est une véritable encyclopédie, mais vivante puisque tenue à jour d'une façon constante par des collaborateurs qui se sont ainsi créé dans chaque compartiment, une spécialité. Il suffit de parcourir cette Chronique pour y surprendre le reflet des événements de toute sorte qui ont préoccupé le monde depuis cinquante ans. Et rien que ce qu'y a jeté de suggestions hardies, de vues personnelles, l'inventeur de la dissociation des idées, Remy de Gourmont, vaut déjà les plus fructueuses prospections dans ce trésor. Un historique, si résumé soit-il, de l'ascension du Mercure de France serait incomplet si l'on n'évoquait pas la personnalité de Remy de Gourmont à côté de celle d'Alfred Vallette. Remy de Gourmont ne s'est pas contenté d'une collaboration d'une activité constante et toujours en alerte à la revue, en des centaines d'articles, de notes, d'études, etc., où se décèle une interprétation toujours originale des caractères, des choses et des œuvres ; il ne s'est pas contenté de donner à la librairie du Mercure tous ses livres : romans, vers, critiques littéraires ou philosophiques, essais, enrichissant peu à peu le fonds de la maison ; il a été l'auxiliaire le plus précieux, le plus diligent d'Alfred Vallette. Il a secondé celui-ci, sinon dans le gouvernement intérieur et administratif, du moins dans la conduite spirituelle de la maison, partageant enfin d'une façon purement intellectuelle la fortune du Mercure. Le Mercure est l'œuvre de Vallette principalement, mais aussi de Gourmont. Ce n'est pas en quelques lignes que l'on peut faire le portrait moral d'un homme qui fut un grand écrivain, mais surtout une des plus claires intelligences de son temps et de tous les temps, à qui rien n'échappait de ce qui est humain. Un observateur de génie, une rare conscience, un indéfectible dévouement à la cause humaine ; un des hommes qui, sans passion, avec délicatesse, a levé le plus de voiles... Mais je ne veux ici qu'indiquer ce que Remy de Gourmont représente dans le groupe initial du Mercure. Remy de Gourmont mourut en 1915, à 57 ans, après une existence dont l'activité cérébrale est attestée par une cinquantaine de volumes qui éblouissent par leur variété et qui troublent par leur profondeur, sous une forme légère, parfois même narquoise. Quand il disparut, la maison du Mercure prouvait sa solidité dans l'épreuve d'une longue guerre ; mais l'on peut dire que l'esprit de Gourmont continua à régner dans cette maison qui fut aussi la sienne et que, jusqu'à nos jours, on y a accepté son influence comme l'impulsion d'Alfred Vallette. Sans bouder. Et c'est fort honorable. |
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