1. « Mercure de France », Mercure de France, janvier 1890 (reproduit dans le Mercure de France, n° 999-1000, 1er juillet 1940-1er décembre 1946).

2. G. D., « Journaux et revues », Mercure de France, novembre 1892.

3. « Le Mercure de France bimensuel », Mercure de France, 1er janvier 1905 (reproduit dans le Mercure de France, n° 999-1000, 1er juillet 1940-1er décembre 1946).

4. Notice adressée à Galtier-Boissière en 1934 (reproduite dans le Mercure de France, n° 999-1000, 1er juillet 1940-1er décembre 1946).

5. « Gazette : Anniversaire de la mort d'Alfred Vallette », Mercure de France, 1er novembre 1955.


1. « Mercure de France », Mercure de France, janvier 1890 (reproduit dans le Mercure de France, n° 999-1000, 1er juillet 1940-1er décembre 1946).

« MERCVRE DE FRANCE »

par ALFRED VALLETTE.

Nous reproduisons ici l'article d'Alfred Vallette qui fut en quelque sorte le manifeste du Mercure de France ; il parut en tête du numéro 1 de la revue (janvier 1890).

Peut-être ne messied-il point de redire, alors que la PLÉIADE devient MERCURE DE FRANCE, ce qui a été répondu naguère aux imputations d'une Presse mal avertie, et de défendre par avance notre œuvre contre les appréciations erronées ou maladroites. Il est d'accoutumée, en effet, parmi nos confrères des grands quotidiens, d'infliger l'ironique épithète de décadente à toute publication où s'essaient de jeunes écrivains aimant l'art, curieux, certes, de formules inédites, mais surtout consciencieux, ayant horreur de la phrase toute faite et du mot banal, du cliché quel qu'il soit. Nullement, d'ailleurs, nous ne nous rebellerions si par décadent nos chroniqueurs cotés n'entendaient charabia, pathos, incohérence, pour avoir étudié le cas en de petites feuilles où, apparemment, l'incohérence, le pathos et le charabia tenaient lieu d'esthétique et de pensée. Mais ces éphémères gazettes furent stériles, et il importe de distinguer entre les humanistes de dix-sept ans qui les rédigeaient, Charlots de lettres vite exténués, et les jeunes laborieux en quête d'une vierge expression du beau et du vrai tels qu'ils les conçoivent en ces temps complexes. Or, au sens que les quotidiens attribuent à cette étiquette, la PLÉIADE ne fut pas décadente et le MERCURE DE FRANCE ne le sera pas davantage.

Mais, pour ne point choir dans la puérile hérésie de forme qu'on sait, il est cependant possible que, sans jamais cesser d'être clairs, nous n'écrivions pas absolument de ce style et sur ces idées qui s'imposent aux auteurs ambitieux d'accaparer tous les suffrages, et qui partant se résignent à une banalité de bon ton. Ils ont évidemment raison au point de vue pratique, et le nombre de ceux, qui ont ainsi raison fut toujours de beaucoup le plus considérable; mais à l'autre point de vue — celui de nos maîtres, sans les nommer — il n'apparaît pas que nous ayons si grand tort. Il y eut bien, voici quelque trente ans, des écrivains réputés maîtres dont l'outil fut la langue bonne fille, lâchée, musarde, que de charitables critiques ne se lassent point de nous offrir comme modèle de la langue classique de France ; encore ceux-là vécurent-ils à une époque autrement bénévole au littérateur que ne l'est ce dernier quart du siècle, en des jours où il était admis qu'on « écrit comme on parle » et où l'on croyait à la « vieille gaîté gauloise ». Mais, depuis cet âge d'or, combien d'illusions mortes ! Outre qu'il faille aujourd'hui, pour être classé quelqu'un, mettre au moins une pensée dans un livre, le nihilisme scientifique et le positivisme de la vie moderne, excessivement dure à l'individu pensant, ont fait de nous des êtres trop peu semblables aux hommes de ces générations pour que nous nous intéressions aux choses où ils se complurent, et que nous les disions aussi verbeusement et avec le même bon garçonnisme. Il semble que nous sommes nés trop réfléchis, et nous avons dû, en venant au monde, tourner sept fois notre langue avant de pousser ce premier cri qui était comme l'acquiescement à l'existence égoïste, étroite, affairée, vide de toute foi réconfortante, qu'on nous léguait. Si nous portons dans le monde, par instinct de sociabilité, un visage souriant et une certaine bonhomie, il est avéré — presque toutes les productions littéraires et artistiques des hommes nouveaux en témoignent — que notre moi intellectuel sourit bien rarement, dit juste ce qu'il doit dire, sans digressions inutiles, sans flânes ni promenades, si tentantes soient-elles, parmi les idées à côté.

Et ce qu'il doit dire, pour peu qu'il soit sincère, ne semble pas précisément conforme aux rabâchages de convention dont on nous sature l'intellect. Un journaliste écouté, point suspect de pessimisme, a pourtant osé cette récente affirmation que « le monde va vers une morale nouvelle ». Il est pertinent qu'en tout, partout, à tous les étages sociaux, il y a évolution rapide, et qu'on ne voit plus aujourd'hui comme on voyait il n'y a pas vingt ans. Mais, soit respect de la tradition, soit flagornerie auprès d'un public inconsciemment hypocrite la Presse se tait volontiers sur le fond des questions brûlantes. Or ce que chacun pense et que personne ne formule, ces idées paradoxales et subversives en 1890, codifiées en 1900, il nous serait agréable d'en écrire. Œuvre de démolisseurs soit ; mais quand l'écroulement final de la maison n'est plus qu'une affaire d'heures, n'y point aider prouverait qu'on n'en désire point la reconstruction prochaine.

Aussi, des trois buts que peut se proposer un périodique littéraire — ou gagner de l'argent, ou grouper des auteurs en communion d'esthétique, formant école et s'efforçant au prosélytisme, ou enfin publier des œuvres purement artistiques et des conceptions assez hétérodoxes pour n'être point accueillies des feuilles qui comptent avec la clientèle — c'est ce dernier que nous avons choisi, nous connaissant du reste trop déplorables spéculateurs pour espérer la métamorphose de nos écrits en or, et sachant introuvables en cette transitoire période que nous traversons les éléments d'une école littéraire.

Au surplus, qu'on me permette de le rappeler cet article est une simple précaution contre d'adventices erreurs de jugement, et n'a aucune tendance à s'ériger en programme : chacun est ici absolument libre responsable de ses seuls dires et point solidaire du voisin. Je ne veuille pas non plus avancer que nous serons toujours originaux, présomption juvénile dont nous sommes tout a fait incapables. — Mais si dans notre collection pourtant, se révèle çà et là une œuvre d'art originalement conçue et parfaitement eurythmique, nous n'aurons pas été inutiles, ayant intéressé non le public, indifférent en ces matières, du moins les artistes ; et si d'aventure, en morale, il se rencontrait dans nos pages une vérité neuve ou quelque idée d'avant-garde, nous aurions justifié notre titre — un peu prétentieux sans doute, mais dont l'archaïsme nous plaît.


2. G. D., « Journaux et revues », Mercure de France, novembre 1892.

M. Georges Brandimbourg a entrepris, pour le Courrier Français, d'interviewer les directeurs des revues de littérature et d'art sur le passé, la physionomie, la marche et le but de leurs publications. Six articles déjà ont paru : MM. Léon Deschamps, Henri Hamel, Emile Strauss, Alfred Vallette, Bernard Lazare, Léon Vanier.

C'est dans le numéro du 2 octobre que M. Brandimbourg relate sa conversation avec notre rédacteur en chef, qui déclare entre autres choses :

« ... Aujourd'hui, on peut sans doute inférer de l'ensemble du recueil des tendances plutôt idéalistes, mais à aucune époque la rédaction ne fut esthétiquement homogène. Les formules d'art, les idées et les opinions les plus opposées s'y rencontrent. L'imputation d'être un « cénacle », qu'entre autres bourdes on nous décocha, n'en est que plus drôle......

L'unique but des fondateurs du Mercure de France était donc de créer une publication sérieuse, durable, où dire tout ce qu'ils voulaient, dans la forme qui leur convenait, sans se soucier le moins du monde de plaire ou de déplaire au public, au risque même de ne point trouver de public. Ils en ont un maintenant et qui grossit tous les jours, preuve manifeste que leurs idées, jugées si subversives par nos bons Prudhommes, correspondent tout de même à quelque chose dans le public... » Après avoir exposé la nécessité pour nous d'avoir une publication qui nous appartînt, les journaux ne laissant jamais la pleine liberté que nous réclamons, M. Alfred Vallette ajoute : « ...Nous sommes, par rapport à eux (les journalistes), en morale, en esthétique, en sociologie, d'épouvantables révolutionnaires... Le devoir de nos grands frères était de nous étudier, non de nous répudier. Ils se plaignent de nous, je crois : ils oublient qu'ils ont manqué de bienveillance. Et pour s'épargner de nous comprendre, ils affectent pour nous, bien que nous les préoccupions cependant, une indifférence dédaigneuse, et ils nous tiennent aux yeux de leur public en une perpétuelle minorité par la qualification ridicule de « jeunes », c'est-à-dire des gens qui en sont à l'âge où l'on jette sa gourme et où ce qu'on écrit est sans importance..... Mais jamais le Mercure de France — qui n'est certes pas rédigé par des vieux — ne fut une « revue de jeunes » au sens actuel de cette sottise. »

G. D.


3. « Le Mercure de France bimensuel », Mercure de France, 1er janvier 1905 (reproduit dans le Mercure de France, n° 999-1000, 1er juillet 1940-1er décembre 1946).

LE

MERCVRE DE FRANCE

BIMENSUEL

par ALFRED VALLETTE.

Mensuel jusqu'à la fin de 1904, le Mercure de France commença le 1er janvier 1905 à paraître deux fois par mois. A cette date Alfred Vallette annonça et expliqua ce changement dans l'article que nous reproduisons ci-après.

Dans ses Promenades Littéraires, M. Remy de Gourmont note que vers 1890 la presse était peu accueillante aux écrivains nouveaux, et que, pour imprimer sa pensée avec liberté, il fallait fonder soi-même une revue. « On se groupait, on recueillait quelque argent, et l'on cherchait un imprimeur. C'est ainsi, et non autrement, que naquit, il y a quatorze ans, jour pour jour, une revue, alors minuscule, le Mercure de France. » — C'est bien ainsi, et il y a maintenant, jour pour jour, quinze ans que, dans un article qui parut en tête de la première livraison, j'eus l'honneur de présenter notre recueil, car c'était alors un recueil plutôt qu'une revue.

Son histoire n'est pas sans intérêt, au triple point de vue littéraire, psychologique et financier, et j'essaierai peut-être un jour de la dire : on y verrait comment la bonne volonté d'un groupe d'écrivains, l'esprit de suite et aussi quelque désintéressement valent mieux parfois que de gros capitaux ; comment un périodique né indépendant, formé des éléments les plus hétérogènes, a pu garder sa liberté tout entière, suivi du reste par un public compréhensif qui voulut bien entendre les paroles les plus contradictoires ; on y verrait surtout qu'il fallait son effort personnel pour rassembler l'effort épars de publications d'une vitalité moindre et disparues depuis 1884, et qu'il est ainsi l'expression de plusieurs générations. Sa naissance était marquée, son développement fut logique et chacun de ses accroissements nécessaire : il n'y eut qu'à savoir l'écouter vivre pour ne point l'orienter dans une fausse direction. Et si aujourd'hui nous modifions sa périodicité, c'est avant tout que les besoins de son organisme nous indiquent cette mesure; mais, pour nous y engager, il y a aussi des circonstances extérieures.

La presse quotidienne — je ne dis rien de la presse exclusivement politique et de combat — touche presque au terme d'une évolution qui s'est précisée lors des grands krachs financiers. Antérieurement aux cataclysmes économiques de l'Union Générale, du Crédit de France, de Panama, etc., les fondateurs d'un quotidien pouvaient n'être pas nécessairement des hommes d'affaires, parce qu'il y avait des affaires et qu'elles venaient naturellement à l'organe qui avait trouvé un public. Depuis lors, ceux qui créèrent des journaux durent être uniquement des gens d'affaires, parce que les affaires n'existaient plus en proportion des énormes besoins de la presse et qu'il fallut continuellement en inventer. C'était la vie ou la mort. Ce fut la vie, la vie surabondante sans doute, puisque le prix de vente des journaux est inférieur à leur prix de revient : la perte sur la vente du papier importe peu si le fort tirage amène la publicité et en justifie les prix exorbitants. Pour obtenir ce résultat, la presse a « commercialisé » tout ce qui pouvait l'être, et bientôt, en dehors de l'information télégraphique et du grand reportage, ce sera, sous toutes ses formes, de la plus apparente à la plus ingénieuse, la publicité, car toute actualité est guettée par la réclame vigilante. Les articles où l'on trouvait autrefois des opinions libres, ou à peu près, sur les faits contemporains ne disparaîtront point : ils seront essentiellement viciés par la réclame. Il y a longtemps que les gens clairvoyants discernent l'évolution commerciale des journaux ; mais voilà que le grand public, la masse des lecteurs s'en aperçoit aussi et commence à savoir quoi penser de telles signatures et de telles rubriques. La presse aura donc perdu demain ce qu'elle offrait jadis dans ses articles, chroniques, variétés, feuilletons hebdomadaires : l'opinion désintéressée d'écrivains qui savent ce qu'ils disent et qui, autant que possible, ont eu le temps de l'écrire. Il est vrai qu'elle a tenté, pour rétablir l'équilibre, de s'incorporer la littérature ; cet essai, qui donna quelque argent aux auteurs et leur fit un tort considérable, fut malheureux, et il est en passe de mal finir.

On n'arrête pas une évolution, et la presse quotidienne actuelle n'y peut rien. Mais les revues se sont tenues à l'écart de ce mouvement, et c'est chez elles que le public retrouverait, en mieux, ce qu'il a perdu ailleurs, s'il ne se heurtait à deux difficultés : la conception même de la publication incomplète à laquelle on applique le nom de revue, et le prix trop élevé de l'abonnement. J'entends les revues générales et non les périodiques spéciaux ou techniques, dont plusieurs sont excellents et atteignent directement leur but. Si le journal, obligé de parer rapidement au manque d'affaires consécutif aux grandes banqueroutes, est allé trop loin, entraîné par la vitesse acquise, la revue est vraiment restée trop en arrière : la revue n'est pas une revue, c'est un recueil. Et comme presque toutes les matières qu'on y voit composent des volumes qui sont le lendemain en librairie, ce genre de publication est inutile. Les revues générales n'existeraient plus que tout ce qu'elles produisent se produirait également. Il serait même imprudent d'arguer que le public gagne d'y lire plus tôt ce qu'il ne lirait que plus tard, car les écrivains attendent d'ordinaire plusieurs mois l'insertion de leurs œuvres dans les revues, et l'hypothèse est plausible que ces œuvres auraient paru plus tôt en librairie que dans des périodiques bimensuels au nombre de pages limité.

La revue générale offre donc le double inconvénient de ne répondre à rien et de coûter trop cher. Or, le Mercure de France, qui, dès le début, avait sa raison d'être en ce qu'il groupait des forces à peu près négligées, a toujours en outre, attentivement suivi les manifestations de l'art et de la pensée, aussi bien à l'étranger qu'en France et alors qu'il se qualifiait encore lui-même de « recueil », il était déjà plus « revue » que la plupart des revues. Il le fut tout à fait, et revue unique quand en 1896 il organisa méthodiquement sa « Revue du Mois », compétente, variée, nombreuse, universelle. C'était l'alliance de la formule recueil avec la formule journal — ancien journal — et de cette union, à laquelle il semble que nul n'ait songé avant lui, naissait la véritable revue. Il est clair qu'une publication ainsi établie, rédigée par des esprits libres et d'ailleurs sans aucun souci de vulgarisation, fait mieux que combler les vides d'une presse d'où l'omnipotente réclame et l'actualité ont chassé tout le reste Mais on conçoit qu'elle s'accommode mal de la périodicité mensuelle, et c'est pourquoi nous paraîtrons désormais deux fois par mois.

Ce n'est pas à nos lecteurs habituels que s'adressent ces notes : ils savaient ce que j'y expose, et je n'ai pas même à les assurer que nous travaillons au développement, non à la transformation de notre revue, et que nous ne modifions en rien notre programme : parler sans contrainte de tout ce qui nous — eux et nous — intéresse. Je les ai réunies pour apprendre à ceux qui nous ignorent qu'il existe un périodique répondant de façon exacte à ce que signifie radicalement le mot « revue », et dont le prix d'abonnement excède à peine celui des journaux à un sou.


4. Notice adressée à Galtier-Boissière en 1934 (reproduite dans le Mercure de France, n° 999-1000, 1er juillet 1940-1er décembre 1946).

QUELQUES MOTS SUR

LE « MERCVRE DE FRANCE »

par ALFRED VALLETTE.

En septembre 1934 M. Galtier-Boissière, directeur du Crapouillot, préparant le tome II de son Histoire de la Presse, demanda à Alfred Vallette une documentation sur le Mercure de France. Vallette lui envoya une notice que le Crapouillot put utiliser largement, et dont M. Galtier-Boissière nous autorise à publier ici pour la première fois le texte complet. Il l'accompagna de la lettre suivante :

Nous n'avons jamais commémoré nos faits et gestes, nous ne nous sommes jamais réunis en un banquet révélateur de notre « activité », comme on dit aujourd'hui, nous n'avons jamais eu, n'en ayant point prononcé, à recueillir de discours rappelant nos étapes, ni jamais rien publié sur nous. Même, peut-être l'avez-vous remarqué, il n'est jamais question, dans nos échos, des accidents mémorables, heureux ou autres, qui nous touchent; seulement une notice nécrologique quand nous mourons, ce qui arrive quelquefois, ou une citation dans le Sottisier quand nous commettons une bourde, ce qui arrive souvent.

N'ayant donc aucun document tout prêt à vous envoyer, j'ai rassemblé les quelques notes précises que vous trouverez ci-jointes, lesquelles, je pense, avec la connaissance personnelle que vous avez de notre maison, vous suffiront...

Je n'ai pas insisté, bien entendu, sur le département « Edition », puisque votre ouvrage est une « Histoire de la Presse ».

ALFRED VALLETTE.

Le premier numéro du Mercure de France « série moderne », qui se qualifiait « Recueil de Littérature et d'Art » et non « Revue », parut le 1er janvier 1890. Il va donc entrer dans sa 46e année. Le Recueil était fondé, ainsi que l'a noté un jour Remy de Gourmont, par « un groupe de jeunes gens sans relations, sans notoriété, sans argent ». La presse ayant souvent confondu les fondateurs avec leurs amis, en voici la liste exacte : G. Albert Aurier, Jean Court, Louis Denise, Edouard Dubus, Louis Dumur, Remy de Gourmont, Julien Leclercq, Ernest Raynaud, Jules Renard, Albert Samain, Alfred Vallette. Les seuls survivants de ce groupe sont Ernest Raynaud et Alfred Vallette, qui assuma dès le début la direction du périodique et le dirige toujours. L'affaire, si on peut dans la circonstance employer ce mot impropre, comme on va le voir, reposait sur une société en participation exclue de la nomenclature des associations reconnues par la loi.

La rédaction était installée chez le directeur, dans une maison qu'avait naguère habitée Paul Arène, 15 rue de l'Echaudé-Saint-Germain, vieille dénomination qui convenait le mieux du monde au vieux titre que de jeunes écrivains avaient jugé piquant de ressusciter. En 1903, on émigra rue de Condé, 26, dans un petit hôtel bâti vers la moitié du XVIIe siècle et qui avait appartenu à Beaumarchais. Beaumarchais, dit Lenôtre, habita là avec ses trois femmes — successives — et ses cinq sœurs de 1761 à 1773. C'est peut-être là, ajoute-t-il, « que fut écrit le Barbier de Séville ».

Les rédacteurs-propriétaires du Recueil ne se proposaient aucun objet commercial. Prudence justifiée : la première année leur apporta onze abonnements, et les frais d'encaissement de la vente au numéro en excédaient le montant. Leur unique but était de publier librement ce qu'ils croyaient avoir à dire, la jeunesse croyant toujours avoir quelque chose à révéler. Ils s'étaient d'ailleurs fait une règle, qui fut rigoureusement observée, de ne jamais solliciter la collaboration des grands aînés. Sans qu'on y prît garde, le Recueil était né à son heure, juste à temps pour empêcher la dispersion d'un mouvement littéraire effervescent, bien que peu connu du public, et dont les organes de combat, en France et en Belgique avaient disparu ou allaient disparaître un à un. Tous les éléments actifs et jeunes du moment convergèrent rue de L'Echaudé. La publication se développa. Ce ne fut bientôt plus l'exclusif « Recueil de Littérature et d'Art » et ses livraisons s'amplifièrent au fur et à mesure qu'elle élargissait son champ d'action. Le Mercure de France est ainsi représentatif d'une époque, sur laquelle les 877 numéros aujourd'hui parus apportent une collection unique de documents de toute sorte.

La rédaction eut la chance, à ses débuts, que les confrères à qui elle faisait le service du Recueil ne le mirent pas tous au panier. On s'intéressa vite à Jules Renard, Remy de Gourmont, Laurent Tailhade qu'on redoutait un peu. Aurier avait révélé Vincent van Gogh, dont la correspondance technique fut passionnément suivie. Les poésies d'Henri de Régnier, Albert Samain, Emile Verhaeren, étaient attendues et discutées. La publication d'Aphrodite, de Pierre Louys, sous le titre L'Esclavage, de la Nichina d'Hughes Rebell, eurent du retentissement. Certains articles firent scandale. Puis le Mercure de France fut le premier périodique qui publia des enquêtes, autrement significatives que celles d'aujourd'hui. L'enquête franco-allemande (avril 1895), entreprise d'un commun accord avec la Neue Deutsche Rundschau, fit pénétrer la revue dans des milieux nouveaux ; elle fut bien souvent consultée lors de la guerre de 1914. L'enquête Alexandre Dumas (janvier 1896) qui mit si fort en colère Edmond de Goncourt : « Les cochons ! Voilà comment ils nous traitent quand nous mourons ! », fit un gros tapage dans la génération de La Dame aux Camélias (1). L'enquête sur l'Alsace-Lorraine, l'enquête sur l'influence allemande, l'enquête sur-la question religieuse furent très lues. Mais quand le « genre » devint pour d'autres un simple instrument de publicité, le Mercure l'abandonna.

La « Revue de la Quinzaine », jadis « Revue du Mois », quand, avant 1905, la périodicité était mensuelle, est une invention du Mercure de France. Aux trois ou quatre chroniques que donnaient autrefois les revues sur la politique, le théâtre, la finance, il en a substitué vingt par numéro, pénétrant ainsi en de nombreux domaines et répondant réellement par cette abondance documentaire à ce que signifie le mot revue.

Il faut enfin noter que le Mercure de France est la première revue française qui se soit instituée éditeur, car c'est lui qui édite et non une maison d'édition qui le publie. Et voici pourquoi il se fit éditeur. Lors de l'édition du Latin mystique, de Remy de Gourmont, comme nous n'avions aucune organisation commerciale, le volume fut mis en dépôt chez le « bibliopole » Léon Vanier. A quelque temps de là, j'eus le sentiment très net qu'il y avait lieu de faire pour les livres ce que nous avions fait pour la revue : rassembler les œuvres éparses du groupe, assez peu connu des grands éditeurs ; réunir en 3,50 à couvertures jaunes les nombreuses plaquettes dont les auteurs avaient gardé la propriété et qui étaient en dépôt chez Vanier, à la Librairie de l'Art indépendant, et à Bruxelles chez Lacomblez et chez Deman, et les mettre dans la circulation générale, en contact avec le grand public. J'essayai de décider Vanier à entreprendre l'affaire. Il parut s'y intéresser, atermoya, si bien qu'un jour je lui dis : « Si vous ne le faites pas, nous le ferons, mais avec moins de chances que vous, car vous avez des relations commerciales et de l'argent, ce dont nous sommes dépourvus. » Il ne le fit pas et nous le fîmes, ce qui ne nous a pas trop mal réussi.

Nos projets d'avenir ? Nous n'avons d'autre ambition que de continuer. Après bientôt un demi-siècle, le Mercure de France est ce qu'il fut toujours : une tribune vraiment libre, ouverte aux opinions les plus contradictoires, à tous les talents, neufs et anciens, que les auteurs soient connus ou obscurs, la qualité de l'œuvre important autrement que la notoriété du nom. Il se méfie toutefois un peu de certains snobismes, des admirations grégaires, et ne se croit pas obligé de « couper » dans tous les bobards contemporains. En outre, aujourd'hui comme naguère et jadis, il est affligé du défaut, nuisible à ses intérêts, d'avoir le bluff en horreur.

(1) Enquête suggérée à Alfred Vallette par Remy de Gourmont. Note du Cercle des Amateurs.


5. « Gazette : Anniversaire de la mort d'Alfred Vallette », Mercure de France, 1er novembre 1955.

Anniversaire de la mort d'Alfred Vallette. Le 28 septembre 1935 — il y a un peu plus de vingt ans — mourait Alfred Vallette, fondateur du Mercure de France. Rappelons à ce propos quelques-uns des hommages qui lui furent rendus par ses collaborateurs. Et d'abord celui de Georges Duhamel, qu'il avait désigné pour lui succéder (Mercure du l-X-1935) :

(...) Si les mots de fidélité, d'autorité, de sagesse et de droiture n'ont pas perdu leur valeur en notre époque troublée, c'est que certains hommes s'emploient à leur conserver un sens. Alfred Vallette était de ces hommes. Sa vie a été pour nous tous, amis et collaborateurs, un enseignement, un exemple, un réconfort. Il n'abusait ni des mots ni des idées. Il ne donnait que de justes conseils. Il avait une étonnante connaissance des hommes, connaissance qui ne s'est jamais colorée de mépris : ce noble esprit ne diminuait pas ceux qui l'approchaient. Il savait les éclairer sans les éblouir.

En un temps où le destin des lettres s'accomplissait trop souvent dans les querelles et l'animadversion, les fondateurs du Mercure de France avaient eu le désir d'édifier une maison qui fût la citadelle des esprits libres. De ce désir, Alfred Vallette a fait une réalité durable. A travers les épreuves de la guerre et de la paix, le Mercure de France est demeuré ce qu'Alfred Vallette désirait qu'il restât : une société de poètes, de lettrés indépendants, d'artistes, d'observateurs attentifs, de philosophes, d'encyclopédistes.

Gabriel Brunet (le titulaire de la chronique « Littérature ) écrivait, sous le titre » « Un homme secret (dans le numéro spécial du 1er décembre 1935)» :

Un lecteur assidu du Mercure, c'est-à-dire de la revue que n'effrayait aucune des audaces de la pensée la plus moderne, en pénétrant dans l'hôtel de la rue de Condé, s'étonnait d'une installation insoucieuse de tout modernisme. Parmi cette absence de toute fièvre, il se sentait imprégné d'une atmosphère patriarcale que je n'ai trouvée nulle part ailleurs et qui émanait de Vallette lui-même (...) II avait bien sa large part dans ce qu'on a appelé le tour d'inspiration de la revue (...) Ce qui lui appartient d'abord et avant tout, c'est ce qui ne peut jamais avoir d'allure officielle, c'est ce qui ne peut relever ni du conformisme de gauche ni du conformisme de droite. C'est toujours et partout un esprit d'éveil et de recherche (...) Définir ce tour d'esprit Mercure, c'est envisager l'esprit caché de Vallette tel qu'il m'apparaissait. Je vois en lui l'Indépendant typique. A cet homme qui était un si curieux mélange d'esprit patriarcal, de méthodes artisanales et de pensée audacieuse, il était aussi indifférent de passer pour réactionnaire que pour anarchiste !

Et Charles-Henri Hirsch, dans le même numéro :

On a cru juste de comparer Alfred Vallette à François Buloz. L'erreur est manifeste. Celui-ci exerça une sorte de dictature sur les écrivains. Il a créé une doctrine de la revue. Il imposait ses idées. L'autre, au contraire, quand il avait retenu un texte ou accepté une collaboration périodique, n'intervenait plus sous aucun prétexte. Le Mercure fut, demeure et demeurera un faisceau d'écrivains indépendants entre eux et devant la direction.

Dès l'origine, tous les collaborateurs du Mercure de France bénéficièrent de cette liberté absolue qui, écrivait le plus illustre d'entre eux, Rémy de Gourmont, « a permis l'éclosion de ma personnalité ».

Le citant, notre cher grand patron confessait : « ce témoignage m'est infiniment précieux ».

Pour conclure, quelques mots de Paul Léautaud, le grand « irrespectueux , qui d'ailleurs nomme Alfred Vallette avec déférence presque à chaque page de son Journal » :

(...) Je lui dois tout comme écrivain. Je me demande où j'aurais pu écrire ce que depuis vingt ans j'ai écrit au Mercure. La réponse est indéniable : nulle part.


Auriant, « Notes et documents littéraires : Alfred Vallette romancier », Mercure de France, 1er décembre 1935, p. 404-415

J. Bollery, « Mort d'Alfred Vallette », Cahiers Léon Bloy, sept.-déc. 1936

Gabriel Brunet, « Littérature : Hommage à Alfred Vallette, Revue belge », Mercure de France, 1er janvier 1936, p. 134

Charles Henry Hirsch, « Les revues : Le Correspondant : sa résurrection ; ses directeurs ; ses patrons ; son jugement sur Vallette et le Mercure par un anonyme disciple de Basile », Mercure de France, 1er décembre 1935, p. 383-384

Charles-Henry Hirsch, « Les revues : Les Amitiés : Bloy et Vallette, Revue belge », Mercure de France, 1er janvier 1936, p. 166-168

A. Mabille de Poncheville, « Notes et documents littéraires : — Alfred Vallette et Le Scapin », Mercure de France, 1er décembre 1935, p. 416-420

« Echos : Un hommage à Alfred Vallette. — Alfred Vallette « oiseau rare ». — La philosophie dans la maison de Vallette. — Alfred Vallette et le « Mercure de France ». — Alfred Vallette », Mercure de France, 1er janvier 1936, p. 212-219